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Aux Baumettes, l’administration ferme les fenêtres, les détenues trinquent

Au centre pénitentiaire de Marseille, le ministère de la Justice a décidé de remplacer les 117 fenêtres des trois étages supérieurs du quartier des femmes par des fenêtres « anti-bruit »(1). Il s'agit de répondre aux doléances des riverains, qui se plaignent de nuisances sonores.

Saisi de cette situation, le Défenseur des droits a indiqué que deux mécanismes avaient été étudiés : la pose d’une « grille acoustique avec ventelles » (sorte de persienne) ou le remplacement du châssis, avec « une partie ouvrante réduite et équipée d’un piège à son ». La première option a été rejetée car trop occultante, c’est donc le deuxième prototype qui a été retenu. Sur ce modèle, seule une petite partie de la fenêtre peut être ouverte, qui est de surcroît équipée de lames métalliques fixes et d’un filet destiné à prévenir les « yoyos ». Coût estimé des travaux : 1,5 millions d’euros.

Une fenêtre « anti-bruit » installée aux Baumettes en juin 2019 vue de l’extérieur : seule la partie étroite de gauche peut s’ouvrir de l’intérieur, le châssis de droite restant fixe.

Cette modification, en obstruant l’aération des cellules, dégrade les conditions de vie des personnes incarcérées. Dans les cellules de la maison d’arrêt pour femmes, qui sont orientées sud, « la chaleur était insupportable » en cette fin de mois de juin, témoigne le personnel se rendant en cellule. Des conditions qui risquent d’accroître la tension d’ores et déjà palpable en maison d’arrêt, les personnes y étant le plus souvent enfermées en cellule vingt-deux heures sur vingt-quatre.

Le 25 juin, une personne détenue a attaqué ce dispositif devant le tribunal administratif, soutenant que celui-ci ne permettait pas de ventiler suffisamment sa cellule. La direction de l’administration a assuré pour sa part que le système assurait un renouvellement de l’air conforme à la réglementation. Elle ajoute que des systèmes de ventilation par des groupes froids seront installés pour rafraîchir les cellules en période estivale. Un dispositif validé par le tribunal administratif, qui a rejeté la requête, mais dont l’efficacité sera toutefois à vérifier au cours de l’été.

Des intervenants ont également fait remonter leurs préoccupations concernant l’impossibilité matérielle de faire sécher du linge aux fenêtres, particulièrement problématique pour les personnes éloignées de leurs proches, qui ne peuvent recevoir des sacs de linge propre régulièrement. Or, si les femmes sont « les premières à maintenir le lien avec leur père, frère, compagnon ou ami incarcéré, elles sont aussi plus vite abandonnées lorsqu’elles sont de l’autre côté du mur »(2).

Par Charline Becker

(1) Une décision qui a fait l’objet d’un communiqué de la Confédération générale du travail de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille, Confluences Marseille, Ligue des droits de l’Homme Marseille, Observatoire international des prisons – section française publié le 22 mai 2019.
(2) « La solitude des femmes détenues », Dedans Dehors n°102, décembre 2018.


Depuis l’installation de ces fenêtres et les vagues de chaleur de l’été 2019, nous avons reçu des témoignages de femmes détenues dans les cellules concernées :

« Avec les nouvelles fenêtres, il n’y a même pas un brin d’air qui passe. Je suis dans une cellule double, c’est l’enfer. Quand on fait à manger, l’odeur reste dans la cellule. Quand on va aux toilettes, l’odeur reste dans la cellule. Le pire, c’est quand on prend une douche : la buée ne s’en va pas, il y a plein d’humidité. On était privées de liberté, là on est privées d’air. »

« Depuis la pose des fenêtres, nous n’arrivons plus à respirer. L’air ne passe pas. Quand on prend une douche, l’humidité reste 30min avant de s’évaporer, et encore. Nous nous allongeons par terre afin de respirer l’air en dessous des portes. C’est invivable. »

« Je me permets de vous écrire aujourd’hui suite à la pose des fenêtres anti-bruit qui a eu lieu mi-juin. On ne peut pas respirer, l’air est chaud, j’ai déjà fait deux malaises. Avec ma codétenue, nous sommes fumeuses, nous ne pouvons plus fumer ni même nous laver car l’air ne s’évapore plus. Depuis la pose, mon corps et mes cheveux sont toujours humides, j’ai tout le temps les pieds et les mains gonflées. »