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Accès aux activités en prison : le parcours d’obstacles

Offre insuffisante, déficit de moyens, absence d’intérêt en vue de la sortie, manque d’initiatives laissées aux détenus… les difficultés qui entourent les activités en détention sont nombreuses. Et le chemin pour y accéder semé d’embûches. Enquête sur une prise en charge socioéducative a minima.

Si l’on en croit le site Internet du ministère de la Justice, une « journée ordinaire dans une maison d’arrêt » est bien remplie. De 8h à 11h15 : « Travail ou activités, promenade, loisirs (sport, bibliothèque, etc.), parloirs ». Suit le déjeuner puis la promenade pour les détenus ayant un travail. Et de nouveau, de 14h à 17h : « travail, activités, promenade, loisirs, parloirs, douches ». Pourtant, les personnes détenues témoignent d’une réalité bien différente, rythmée par l’attente de la promenade, souvent le seul moment passé en dehors de la cellule.

« C’est trop triste à raconter »

« A 7 h 30 les surveillants ouvrent les portes pour nous réveiller. Ensuite on attend la promenade. En revenant de promenade on attend le repas du midi, puis on attend à nouveau la promenade de l’après-midi. En revenant, on voit si on a du courrier puis on attend les repas du soir qui passent vers 17 h 45. Les surveillants ferment la porte à clé et la soirée d’ennui commence », raconte à l’OIP un détenu incarcéré à la maison d’arrêt de Vivonne. « Avec le système des promenades alternées (un jour le matin, un jour l’après-midi), il arrive qu’on reste enfermés vingt-huit heures avant de pouvoir repartir en promenade », témoigne un autre, détenu à Fleury-Mérogis. « C’est trop triste à raconter », résume une personne incarcérée à la maison d’arrêt de Pau.

Le déficit d’activité est certes moins criant dans les établissements pour peine. Cependant, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) note que « dans la majorité des établissements pénitentiaires, l’offre globale d’activités est insuffisante au regard du nombre total de personnes détenues, toutes catégories confondues ». Le travail ne concerne qu’un quart des détenus, parfois pour des durées très courtes ou pour seulement quelques heures par semaine. La situation est très variable d’une prison à l’autre, avec une offre particulièrement limitée dans les établissements où aucun concessionnaire n’est présent : ainsi, tous les détenus de la maison d’arrêt de Montluçon ont eu du travail en 2014, contre 18 % seulement de la population de celle de Varces. Même constat pour l’enseignement ou la formation professionnelle. En 2014, seules 25,6 % des personnes détenues ont été scolarisées pour en moyenne 6 h 30 de cours par semaine (pour les hommes). A la maison centrale de Poissy, qui héberge près de 300 détenus essentiellement condamnés à de longues peines, seules cinq formations de dix détenus ont été proposées en 2014.

© Grégoire Korganow

Les activités socio-culturelles sont souvent les plus mal loties. En 2010, année à laquelle remontent les derniers chiffres disponibles, le budget qui leur était consacré était de 60 € par détenu et par an. Conséquence de l’indigence des moyens, les activités sont souvent limitées. Au programme de la maison d’arrêt de Rodez en 2013 : ateliers lecture, échecs, journée du goût, journée conférence débat, concert et goûter de Noël. Inauguré la même année, l’établissement promettait pourtant « un large accès aux activités, comptant plusieurs salles dédiées ». A la maison d’arrêt de Carcassonne, dont le taux d’occupation frôle les 190 %, seulement trois activités sont proposées : code de la route, premiers secours et bibliothèque. Pour cacher la misère, la maison d’arrêt de Bonneville n’hésite pas, de son côté, à comptabiliser les promenades comme des activités, aux côtés de la scolarité, du sport et de la télévision ! Le week-end et pendant les périodes de congés, le désœuvrement est presque total : « Aujourd’hui dimanche, on reste enfermées presque vingt-deux heures. Il y a zéro activité. On ne nous laisse même pas aller à la bibliothèque », raconte une détenue incarcérée à la maison d’arrêt d’Agen.

Accéder à l’information : « la première difficulté »

Pour participer au peu d’activités existantes, c’est souvent le parcours du combattant. Pour Franck, détenu à Fleury-Mérogis, « la première difficulté », c’est de connaître les activités proposées : « Il arrive assez souvent qu’on ne sache rien. » Au quartier arrivants, les détenus se voient remettre un livret détaillant l’ensemble des activités proposées. Encore confrontée au choc carcéral, une partie d’entre eux est incapable de se projeter et de faire les démarches nécessaires pour s’inscrire. Au Centre de détention de Val de Reuil, un détenu arrivé en janvier 2016 explique par ailleurs que « le livret, qui date du 4 novembre 2015, est déjà obsolète ».

Le problème perdure tout au long de la détention. Dans certains établissements, les activités sont affichées sur des feuilles volantes – « souvent arrachées » au centre de détention de Roanne. A la prison de Melun, « nous prenons connaissance des activités par des affiches déposées dans les ronds-points. Mais elles sont rares et pas forcément placées aux endroits stratégiques », regrette un détenu. Il souligne également qu’il n’y a « pas beaucoup de tentatives pour intéresser les bénéficiaires ». Dans d’autres établissements, il faut rencontrer son conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation pour connaître la liste – ce qui peut prendre des mois voire ne jamais arriver. Ailleurs, les informations sont diffusées sur le canal de télévision interne de l’établissement. Aux Baumettes, il y a «  le journal, le canal vidéo et la radio interne, mais visiblement, la direction préfère l’affichage, qui reste inexistant dans certains bâtiments ou ailes », constate un détenu. Au quartier Centre de détention de Nancy Maxéville, « l’affichage au niveau des coursives n’est systématique qu’au bâtiment d’activités, ce sont donc les détenus qui participent déjà à des activités qui sont les premiers et parfois les seuls informés. Les places étant limitées… on voit toujours les mêmes », conclut un détenu.

Une offre limitée, dans un cadre opaque et peu compatible avec la vie en détention

Une fois informé d’une activité, le détenu qui le souhaite n’est pas pour autant assuré de pouvoir y prendre part. Si le code de procédure pénale prévoit que « l’emploi du temps hebdomadaire doit permettre à tout détenu qui le souhaite de participer à ces activités » (art. D440), elles sont en réalité réservées à un petit nombre de personnes. Marcel, incarcéré à Baie-Mahault, explique : « Il y a plus de 600 détenus et les activités ne peuvent accueillir qu’un nombre restreint d’individus (une dizaine, parfois moins), par conséquent la majorité n’a pas accès à des activités. » Idem pour la maison centrale de Clairvaux : « Ici, par exemple, pas plus de cinq personnes par activité ! », précise un détenu. A Salon-de-Provence, les activités socio-culturelles et formations professionnelles sont limitées à douze places, tandis que les activités scolaires et sportives ne peuvent accueillir plus de dix personnes.

Un détenu rappelle que l’administration continue d’utiliser les quelques places disponibles pour récompenser ou non le comportement en détention : « Si on a un refus c’est « manque de place » ou « mauvais comportement ».» Mais obtenir une réponse n’a rien d’automatique. Depuis plus de deux ans, les détenus de Rouen demandent de pouvoir être informés de leur inscription à une activité : en 2014, la direction de l’établissement répondait qu’elle allait « y réfléchir », et puis plus rien, malgré des relances des détenus en 2015 et janvier 2016. Une Responsable locale d’enseignement (RLE) témoigne : « Les réponses négatives ne sont jamais signifiées aux détenus, et pour les réponses positives, il est possible que le détenu apprenne à 14 h qu’il est accepté pour participer à l’activité de 14 h, donc pas de possibilité d’anticiper sur la gestion de son emploi du temps, de ses parloirs par exemple ! »

Car, difficulté supplémentaire, les horaires des activités entrent souvent en conflit avec les autres moments hors de la cellule : rendez-vous médicaux, parloirs, promenade… Lorsque les activités se chevauchent avec les parloirs, « il est souvent difficile de choisir entre l’un et l’autre », rapporte un détenu. Au final, constate Franck, « un droit est annulé par un autre ». Une situation qui, selon lui, « produit des tensions (les détenus essayent de forcer une sortie en promenade) ou des absences aux activités. Et même lorsqu’on accepte d’aller en activité en laissant tomber la promenade, il est clair que naît un sentiment de frustration et d’amertume durant l’activité (on a souvent le regard du côté de la promenade) ». Une promenade d’autant plus précieuse que, dans un établissement aux portes fermées toute la journée, c’est aussi le seul moment où les détenus peuvent appeler leurs proches. Enfin, pour les détenus qui travaillent, il faut souvent choisir entre le travail rémunérateur ou l’activité socio-culturelle car « tous les horaires tombent en même temps », précise une personne incarcérée à Roanne.

Un accès entravé par des contraintes logistiques et sécuritaires

Ultime difficulté une fois inscrit à une activité : pouvoir y accéder. Dans les nouvelles prisons, le CGLPL estimait en 2010 qu’en raison des contrôles internes, entre un quart et un tiers des détenus partant pour un rendez-vous médical, une activité, un parloir, n’y arrivent jamais. Une ancienne RLE témoigne en ce sens : « La grande difficulté pour assurer mon intervention était de surmonter les attentes interminables avec les usagers. Malgré les listes fournies et validées par les chefs en amont, malgré les vérifications de la bonne distribution des listes, malgré les rappels par téléphone à chaque rond-point… Le déplacement des détenus vers les salles de classe était toujours aléatoire et soumis à toutes sortes d’empêchements : blocage pour départ promenade, blocage pour transfert d’un isolé, blocage retour promenade, blocage pour transfert sanitaire, blocage pour départ atelier, départ parloir, retour atelier, retour parloir… »

Un détenu incarcéré à Fleury-Mérogis raconte : « Pour aller à une activité, il faut pointer quatre fois. Le surveillant d’aile a une liste, il fait sortir le détenu qui doit aller pointer au rond-point (2e liste), pointer auprès d’un surveillant qui est près de la salle d’activité (3e liste). Enfin, on pointe auprès de l’animateur (4e liste). Juste pour une activité, c’est trop lourd. Si l’un des rouages n’a pas sa liste, on ne peut pas y aller. » Quand on n’est pas purement et simplement oublié. Il précise : « Parfois, il faut sonner à l’interphone pour qu’on vienne nous chercher mais il arrive que personne ne réponde. » Pour un autre détenu, « le principal obstacle est la bonne volonté du surveillant d’étage. Même quand la porte est ouverte, c’est pile à l’heure de l’activité, les surveillants ne prenant pas en compte le temps qu’il faut pour se rendre à la salle donc on arrive au compte-gouttes. » Un retard qui rogne sur le temps déjà court de l’activité. « Certains ne se déplacent plus, par lassitude », remarque un intervenant.

Des activités occupationnelles, insuffisamment orientées vers la sortie

En principe, les personnes incarcérées doivent se voir proposer des activités ayant pour finalité leur réinsertion et étant adaptées à leur âge, capacité, handicap et personnalité (Article 27 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009). Mais les activités proposées demeurent trop souvent occupationnelles : jeux de société, loisirs créatifs… Pour Franck, « il s’agit d’activités passe-partout. La plupart des détenus finissent par y aller pour les RPS [remises de peine supplémentaires] ou juste pour sortir de la cellule, peu importe que ce soit la lecture, le jonglage ou l’atelier photo ». Si l’objectif est d’« apporter quelque chose en plus (formation, enrichissement personnel, etc.) » précise-t-il, « on est totalement à côté de la plaque ». Pour un autre détenu, les activités ne sont pas adaptées aux besoins « ni aux envies des personnes détenues ». D’autant que « ce sont exactement les mêmes activités » qui sont programmées « tous les ans, depuis cinq ans ». Le décalage est souvent important entre les activités proposées et la vie à l’extérieur, renforçant la marginalisation des sortants de prison. Un détenu regrette, par exemple, le peu d’initiatives pour se familiariser avec l’environnement informatique, pourtant essentiel pour se réinsérer : « La majorité des détenus, comme dehors, souhaitent évoluer avec les nouvelles technologies. »

Côté travail, les activités proposées en atelier sont également peu formatrices. Les concessionnaires offrent essentiellement des travaux de manufacture ou de production industrielle qui ne nécessitent aucune qualification et consistent le plus souvent en des tâches simples, répétitives, et sans grande valeur ajoutée : la maison d’arrêt de Montluçon, par exemple, propose l’assemblage et le conditionnement de pinces-à-linge ou de petits objets en plastique dans des sachets, notamment en cellule, si bien que certains peuvent y travailler sans limite, le jour et la nuit.

Consultation des détenus : une chimère ?

« Le plus grand changement serait de faire participer les détenus au choix des activités », écrit un détenu à l’OIP. Depuis la loi pénitentiaire de 2009, les personnes incarcérées doivent pourtant être consultées sur les activités qui leur sont proposées. Une démarche qui demeure marginale. En juillet 2012, le rapport d’information parlementaire sur l’application de la loi pénitentiaire relevait que le texte n’avait reçu qu’une « application limitée ». Moins de vingt directions d’établissements ont répondu à l’OIP sur la mise en place d’un dispositif de consultation. Quand il existe, il fonctionne avec une instance consultative, appelée par exemple « conseil de vie sociale » à Mont-de-Marsan. Elle associe un nombre variable de détenus représentant l’ensemble de la détention, désignés par la direction, après avis des responsables de détention chargés d’évaluer les candidatures volontaires. Elle se réunit une à quatre fois par an, les détenus devant être consultés « au moins deux fois par an ». En amont de ces temps d’échange, certaines directions proposent un questionnaire. A la maison centrale de Lannemezan, la collecte d’informations a lieu à l’initiative des représentants mais tous ont le droit de saisir la commission consultative par écrit. Quand l’instance fonctionne bien, la consultation semble porter ses fruits. A la maison d’arrêt de Rouen par exemple, un café-philo à la bibliothèque et des ateliers de débat autour de l’actualité devraient ainsi être mis en place en 2016, à la demande des détenus.

Par Delphine Payen-Fourment et Cécile Marcel