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Participation des détenus aux frais d’incarcération ou « Comment plumer un poulet chauve »

Faire payer les détenus pour alléger le poids de l’enfermement sur les finances publiques. Telle est la teneur de deux propositions de loi déposées par des élus UMP en juin 2015. De contre-vérités en mauvais calculs, l’argumentaire tient difficilement la route.

Monsieur Aboud, député (UMP) de l’Hérault, a enregistré une proposition de loi dont l’unique dis- position est la suivante: « Les personnes détenues condamnées […] contribuent, par le versement d’une somme dont le montant est calculé en fonction de leurs ressources, aux frais qui résultent de leur incarcération. » Seuls « ceux mentionnés à l’article 31 » de la loi pénitentiaire de novembre 2009 sont dispensés de payer la dîme. Autrement dit les plus démunis, dont les ressources mensuelles sont inférieures à cinquante euros. Dans un second texte déposé à quelques jours d’intervalle, d’autres élus UMP n’ont pas cette prévenance : prévenus, condamnés, responsables légaux des mineurs… tous sont appelés à verser « une participation proportionnelle à leurs ressources et à leur patrimoine (1) ». La trentaine de députés, emmenés par Eric Ciotti, invitent à déterminer le montant exigible en fonction de « l’ensemble des moyens d’existence (comme le logement) et le train de vie, parfois conséquents chez les délinquants ». On se demande comment serait évalué le train de vie des détenus : à partir du nombre de paires de Nike en cellule ? De la valeur de la voiture avec laquelle la famille vient en visite au parloir ? Outre l’allègement des finances publiques, les élus attendent de la mesure qu’elle ait « un effet dissuasif et [puisse] éviter le pas- sage à l’acte de certains délinquants ». Alors que la recherche a déjà montré que des peines de prison plus sévères n’ont pas d’effet dissuasif sur la commission d’infraction, tout comme la peine de mort sur la criminalité, comment la prison « payante » le pourrait-elle ? Dernier atout vanté par M. Ciotti et ses amis, la mesure « pourrait également inciter les parents à pleinement assumer leur responsabilité parentale. » Taper les parents au porte-monnaie. Une vieille marotte d’Eric Ciotti, qui avait fait voter en 2010 la suspension des allocations familiales aux parents d’élèves absentéistes (mesure supprimée en 2012). Appauvrir encore les « mauvais pauvres », une perche tendue au « bon citoyen », dont la colère doit se détourner des « petits arrangements » entre amis politiques ? Rappelons que les détenus disposent de peu de possibilités de gagner « honnêtement » de l’argent pendant leur incarcération. Et que les appauvrir encore aggraverait le caractère désocialisant et générateur de récidive de la peine d’emprisonnement. Rendre la réinsertion des détenus définitivement impossible, est-ce vraiment un objectif de la France d’aujourd’hui ?

Mauvais calcul

Pour faire passer leurs idées, les élus ne s’embarrassent pas d’honnêteté intellectuelle. Les prisons sont surpeuplées et coûtent cher, justifie Elie Aboud dans un entretien à Midi Libre (26/05/15). «Est-il normal que les seuls Français à ne pas contribuer à l’effort soient les détenus ? » Première intox : les détenus sont des contribuables comme les autres qui financent le fonctionnement des prisons en payant leurs impôts, selon les mêmes conditions de ressources que tout un chacun. « Je demande un effort modeste, entre cinq et dix euros par prisonnier par jour. Ce qui pourrait rapporter entre 250 et 300 millions d’euros par an » (France Inter, 28 mai 2015). Erreur de calcul. A raison de 46982 condamnés détenus (au 1er mai 2015), il faudrait pour atteindre cette somme exiger en réalité 14,50 à 17,50 euros par personne et par jour.

La télévision coûte 9 euros par mois par cellule dans les prisons publiques, 18 euros dans celles en gestion déléguée.

Et l’addition grimpe encore si l’on exempte, comme le propose le député, les « indigents », qui représentent près du tiers de la population carcérale. Les chiffres annoncés par monsieur Aboud représentent un budget annuel de 1 825 à 3 650 euros par personne détenue. Cet « effort modeste » pour un élu de la République représenterait un Everest pour nombre de prisonniers, même solvables. Les minimas sociaux sont rapidement suspendus après l’entrée en détention et seul un détenu sur quatre travaille, faute d’une offre d’emplois suffisante. Leur rémunération oscille de 1,92 à 4,23 euros de l’heure, soit 45 % du smic horaire brut dans le meilleur des cas. La rémunération à la pièce, interdite par le Code du travail, reste courante. Et tout n’est pas gratuit en prison. Les personnes détenues doivent payer certains produits de première nécessité, ainsi que leurs communications téléphoniques (un euro les cinq minutes depuis les cabines), la location d’un réfrigérateur ou de la télévision. Le budget mensuel nécessaire est estimé à 200 euros. En réalité, ce sont leurs familles qui risqueraient d’être encore plus mises à contribution, alors que l’incarcération d’un proche grève déjà leurs budgets : frais d’avocat, de déplacement pour les parloirs, envoi de mandats au détenu…

De l’huile sur le feu

« Quand vous sortez de prison, vous avez une allocation tempo- raire d’attente qui varie entre 513 et 1 514 euros par mois. C’est pas moral quand on a plusieurs enfants de toucher 50 % de plus qu’un smicard qui se lève à 7 heures du matin et qui rentre à 19 heures », ajoute monsieur Aboud. Il dit n’importe quoi, mais la fausse information est passée sans encombre dans la presse. En réalité, le montant maximal de l’ATA s’élève à 340 euros par mois – soit un tiers du smic et moins que le RSA. C’est le plafond de ressources pour y prétendre qui s’élève à 513 euros mensuels pour une personne seule, et à 1 540 euros pour une personne avec quatre enfants à charge. Une minorité de sortants de prison en bénéficie, pour une durée maximale d’un an.

Ayant (mal) fait ses comptes, E. Aboud fustige « l’approche socialiste» pour régler le problème de la surpopulation et alléger le coût des prisons, qui consisterait à mettre « plus de détenus hors du système carcéral quitte à faire du suivi » (Midi Libre). Faut-il rappeler que depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir, le nombre de personnes détenues a atteint des records (68 648 en juin 2014), avant de revenir à ce qu’il était à la fin de la précédente législature (66 915 en juin 2015 contre 67 073 en mai 2012) ? Quand bien même elle serait effective, l’orientation dénoncée par le député est justement celle préconisée sans relâche par les instances internationales : « Le coût de l’emprisonnement est considérable » observe l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui « invite tous les États membres à promouvoir énergiquement l’utilisation des peines non privatives de liberté, […] évidemment préférables aux peines d’emprisonnement dans tous les cas, sauf les plus graves » (2). Une position constante de l’instance européenne, pour qui les peines et mesures purgées hors de prison « constituent des moyens importants de lutte contre la criminalité et […] évitent les effets négatifs de l’emprisonnement » (3).

« Plumer un poulet chauve »

A l’appui de sa proposition, E. Aboud invoque enfin l’exemple étranger : « Aux Pays-Bas, ils font participer chaque détenu à hauteur de 16 euros par jour pour les frais d’hôtellerie et les frais de bouche. » C’est aller un peu vite. Une proposition de loi en ce sens, introduite en janvier 2014, doit encore être examinée par le Sénat néerlandais. Elle n’est donc pas encore appliquée. Controversée, elle pourrait même se voir enterrée par la coalition issue des élections mars 2015. « On ne peut pas plumer un poulet chauve» (4) s’est emporté récemment Peter Oskam, porte-parole du Parti chrétien démocrate. Si le taux d’emploi frise les 85 % dans les prisons des Pays-Bas, la rémunération horaire n’est que de « 0,76 euros brut de l’heure, avec un maximum de 15,20 euros par semaine » (5) précise Rein Geristen, philosophe et ancien détenu. En imposant « une contribution aux détenus, vous augmentez le risque de récidive, car vous alourdissez leur dette ». Bref, là-bas comme ici, l’idée relève plus du coup d’éclat que de la réflexion.

Barbara Liaras et Camille Rosa

(1) Enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 3 juin 2015.

(2) Résolution 1938 (2013)

(3) Rec R(92)16 relative aux Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté

(4) www.cda.nl, 7/04/15

(5) De Volkskrant, 17/01/14