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Contre la misère affective et sexuelle, des prisons mixtes ?

Six détenus sur dix sont célibataires en France. Dans cet univers clos monosexué, difficile d’envisager initier une relation pour des personnes en grande majorité hétérosexuelles. Et si la solution, c’était la mixité ? L’Espagne et le Danemark l’expérimentent depuis plusieurs années. Les avis des spécialistes de ces pays sont partagés.

A la question « quelles améliorations pourraient être apportées aux conditions de détention en matière de sexualité ? », posée par l’OIP dans le cadre d’une enquête sur sexualité des personnes incarcérées, une réponse est revenue plusieurs fois parmi les détenus se déclarant célibataires : « rendre les prisons mixtes ». Une disposition expérimentée notamment par l’Espagne et le Danemark.

Quatre-vingt couples formés en prison

La prison de Brians 1, à Barcelone, est le seul établissement pénitentiaire mixte en Catalogne, et ce depuis 1992. Ici, 300 femmes et 1 200 hommes se côtoient quotidiennement. « Ils ont des activités communes, telles que les formations, le travail ou les activités culturelles. En dehors de ces temps mixtes, hommes et femmes vivent dans des départements distincts », explique Juan Carlos Navarro Perez, psychologue dans l’établissement. Un mélange des genres bien encadré qui a tout de même permis à quatrevingt couples de se former… Dans cette prison, pas question pour autant d’envisager le partage de cellule : chacun doit regagner son aile le soir venu. Et qu’ils soient en couple ou non, toute relation sexuelle en détention est proscrite en dehors des espaces dédiés. Les couples de détenus sont soumis aux mêmes conditions que les détenus ayant un partenaire à l’extérieur : ils ont la possibilité de réserver des parloirs intimes, à raison de deux heures, deux fois par mois. « Mais cela peut être plus souvent et plus longtemps si la détention se passe bien », note Juan Carlos Navarro Perez. Le psychologue ne voit que du bon à la mixité en détention, à l’instar de son confrère Rodrigo J. Carcedo, chercheur à l’université de Salamanque.

Ce dernier a mené plusieurs enquêtes sur la qualité de vie et la santé psychologique des détenus dans les prisons mixtes en Espagne. Comparant les résultats de trois catégories de détenus – les célibataires, ceux qui ont un partenaire en dehors de la prison, et ceux qui ont un partenaire
à l’intérieur de la prison – cette étude, basée sur une enquête par questionnaires, conclue que les derniers présentent le plus bas niveau de solitude et les plus hauts niveaux de satisfaction sexuelle, de qualité de vie et de santé psychologique. Si l’on considère, comme l’ont montré d’autres études, que l’une des dimensions de la qualité de vie, la meilleure santé psychologique, est associée à un meilleur comportement en détention et à une baisse de la récidive à la libération, on peut conclure que la mixité est globalement bénéfique, « surtout si les prisonniers sont autorisés à initier et maintenir une relation de couple et des rapports sexuels », concluent les chercheurs.

Normalisation, vraiment ?

Au-delà des questions affectives et sexuelles, la mixité en détention poursuit un objectif plus général, selon Juan Carlos Navarro Perez : celui de la normalisation des conditions de vie en détention. « Nous vivons dans une société mixte. Appliquer le principe de mixité en prison, c’est reproduire au maximum les conditions de vie en société et atténuer la rupture entre le dedans et le dehors », estime ainsi le psychologue. Un argument que conteste la chercheuse et psychologue danoise Charlotte Mathiassen. « Dans la mesure où les femmes ne représentent que 4 à 6 % de la population carcérale [3 % en France], le rapport entre les deux sexes est nécessairement asymétrique. On trouve dans certaines prisons trois femmes pour vingt-six détenus hommes. La mixité en détention ne peut donc en aucun cas être comparée à celle de l’extérieur », estime-t-elle.

Au Danemark, jusqu’en 2000, les femmes étaient toutes regroupées dans un établissement, où elles occupaient une aile réservée. « Suite à la fermeture de cette prison pour cause de vétusté, les femmes ont été réparties dans quatre prisons », explique Charlotte Mathiassen. Les modalités pratiques de la mixité varient suivant les lieux. Deux établissements – l’un ouvert, l’autre fermé – fonctionnent de la même manière que la prison de Brians 1. Dans une troisième prison (fermée), les détenues peuvent vivre dans une aile accueillant des couples, déjà formés lors de leur incarcération. Dans la quatrième, une prison ouverte, hommes et femmes partagent une aile totalement mixte, de jour comme de nuit. « Ils ne sont pas ensemble en cellule, mais ils partagent les cuisines, les salons, les salles de bain et les toilettes. Les relations sexuelles y sont théoriquement prohibées, et doivent avoir lieu dans les salles de visite. En pratique, les cellules n’étant pas surveillées, on s’imagine bien que cette interdiction soit facilement contournée… », commente Charlotte Mathiassen.

De la domination masculine

Pour elle, les établissements mixtes constituent un problème dès lors que la violence, la prostitution et le deal ne peuvent avec certitude être évités. « Quand des femmes ont été très marginalisées, ont connu des relations problématiques aux hommes, on court le risque de les voir reproduire en prison le même type de rapport de domination et de dépendance qu’elles entretenaient à l’extérieur. » Des observations qui valent pour les prisons accueillant des couples. « J’ai pu m’entretenir avec deux couples incarcérés. Pour l’un, le maintien de la vie commune était très positif. Pour l’autre, c’était une très mauvaise chose, car la femme était totalement sous l’emprise de son partenaire. »

Outre la question de la sécurité des femmes, se pose aussi celle de l’inadaptation des programmes de réinsertion à leur égard. « Les femmes étant en infériorité numérique, les activités proposées, pensées pour des hommes, ne prennent pas toujours en compte leurs spécificités. » Le Danemark étant un petit pays, Charlotte Mathiassen plaide pour que les femmes soient regroupées dans un établissement, « ce qui permettrait la mise en place de programmes réellement adaptés à chaque problématique. Dans cette optique, les femmes ayant vécu une relation d’emprise pourraient faire l’objet d’un accompagnement spécifique, afin de leur permettre d’éviter de reproduire le même schéma à la sortie. »

Nos sources pour cet article :

– Annie Kensey et Aline Désesquelles, « Les détenus et leur famille : des liens presque toujours maintenus mais parfois très distendus », Insee, 2006 ; Francine Cassan et France-Line Mary-Portas, « Précocité et instabilité familiale des hommes détenus », 2002

– Rodrigo J. Carcedo, Daniel Perlman, Félix López, Begoña Orgaz, « Heterosexual romantic relationships, interpersonal needs, and quality of life in prison », The Spanish Journal of Psychology, 15, 1, 2012.

– E. M. Wright, E. J. Salisbury & P. Van Voorhis, « Predicting the prison misconducts of women offenders : The importance of genderresponsive needs », Journal of Contemporary Criminal Justice, 23, 2007 ; P. Gendreau, T. Little, & C. Goggin, « A meta-analysis of the predictors of adult offender recidivism : What works ! » Criminology, 34, 1996.