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Travail pénitentiaire : le législateur et le gouvernement doivent s’en saisir

L'OIP prend acte avec consternation de la décision rendue ce jour par le Conseil constitutionnel au sujet du travail des personnes détenues. Il ne peut que déplorer qu'il ait une nouvelle fois préféré fermer les yeux sur les conditions inacceptables dans lesquelles plusieurs dizaines de milliers de personnes travaillent chaque jour dans les prisons françaises. Ce label de constitutionnalité délivré à une législation pourtant dénoncée comme ne garantissant pas le respect des droits fondamentaux des travailleurs détenus par près de 400 universitaires n'empêche toutefois pas le législateur et le gouvernement de prendre leurs responsabilités et de mettre fin à la situation archaïque du travail pénitentiaire.

C’est une nouvelle occasion manquée. Saisi pour la seconde fois de la situation des travailleurs détenus, le Conseil constitutionnel vient de juger que le législateur peut renvoyer aux chefs des établissements pénitentiaires le soin de définir les droits fondamentaux des travailleurs détenus dans un « acte d’engagement » sans méconnaitre la Constitution. Pourtant, il appartient en principe au législateur de garantir à tous les travailleurs les droits fondamentaux que leur reconnait la Constitution. Ce qui est valable pour les travailleurs à l’extérieur ne l’est donc pas selon lui pour ceux qui se trouvent enfermés. Pour parvenir à un tel raisonnement, le Conseil rappelle que le législateur a prévu que « l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue les respect de sa dignité et de ses droits » et que l’acte d’engagement signé entre les travailleurs détenus et l’administration peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, fut-il encore aujourd’hui bien plus théorique qu’effectif.

Cette décision, pourtant très attendue tant par les milieux associatifs et professionnels que par le monde universitaire, renvoie le droit pénitentiaire dans les méandres d’un temps que l’on croyait révolu, celui d’un sous-droit défini de manière discrétionnaire par l’administration dans le seul intérêt de l’administration, et également ici, des entreprises concessionnaires. L’affaire dans le cadre de laquelle avait été soulevée cette question prioritaire de constitutionnalité démontre pourtant à elle-seule que l’état du droit ne permet pas, loin s’en faut, une garantie effective des droits fondamentaux des travailleurs détenus. C’est en effet pour avoir fait valoir des « revendications (…) sur ses conditions de travail » qui « [pouvait] s’entendre sur le fond » mais qui le « [maintenait] en état de conflit constant avec l’administration et le prestataire privé au travail » que cette personne détenue avait été déclassée de son travail. En d’autres termes, il lui était reproché d’avoir voulu exercer les droits fondamentaux qu’il appartiendrait à l’administration pénitentiaire de garantir. Or, plus de trois années après, le recours introduit contre ce déclassement était encore en attente de jugement. Loin d’être isolée, cette affaire est un témoignage parmi tant d’autres de ce que l’administration pénitentiaire ne peut être laissée seule garante des droits fondamentaux des personnes détenues.

© Bertrand Desprez

Si le Conseil constitutionnel n’a pas voulu l’y contraindre, le législateur et le gouvernement doivent néanmoins aujourd’hui prendre leurs responsabilités et s’engager dans une réforme du travail carcéral. D’autant qu’en juin 2013, la Garde des Sceaux Christiane Taubira affirmait lors de rencontres parlementaire sur la prison que « le Code du travail devrait être, pour moi, de droit commun y compris dans nos établissements [pénitentiaires] ». Hier encore, Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des lois à l’Assemblée affirmait que « la place de l’arbitraire est encore trop forte et les entorses aux droits fondamentaux demeurent. Il faut donc accepter de créer un acte juridique nouveau. Et à mes yeux, le contrat de travail de droit public s’impose. » Et la Garde des Sceaux, aussitôt la décision du Conseil constitutionnel publiée, de « [prendre] acte qu’il appartient au législateur de modifier les dispositions relatives au travail des personnes incarcérées afin de renforcer la protection de leurs droits ».Faut-il rappeler à la Ministre de la Justice qui s’est également dite résolue à « demeurer attentive [au] respect de la dignité des personnes détenues » que la dignité des personnes détenues ne peut aujourd’hui plus se passer d’un encadrement législatif des conditions dans lesquelles elles sont amenées à travailler et qu’elle dispose, en sa qualité de membre du Gouvernement, toute lattitude pour saisir le Parlement d’un projet de loi permettant de faire entrer le droit commun du travail en prison.