Free cookie consent management tool by TermsFeed

Jean-Christophe : « Être homo au placard »

Si l’homophobie n’est pas l’apanage de la prison, vivre en détention est particulièrement risqué pour les homosexuels. Certains décident de tenir leur orientation sexuelle cachée. D’autres, comme Jean-Christophe, font le choix de dire. Témoignage

« Tout le monde sait que je suis homosexuel quand j’arrive dans une prison. C’est simple : lorsqu’un détenu me pose la question, je réponds par l’affirmative. Quand j’étais adolescent, je courbais l’échine. Cela n’a servi à rien. Arrivé jeune en détention, j’ai décidé de relever la tête, tout en sachant que la prison était un milieu très homophobe. C’était en 1980.

Dans ce monde machiste où les hommes sont en manque, les homosexuels, accusés d’avoir des rapports sexuels sans contrainte, suscitent la jalousie. Plus grave, pour eux, mes pratiques font de moi un pervers qui ridiculise la condition de mâle. Les homosexuels qui s’affichent sont considérés comme étant génétiquement des « putes » ; on nous appelle d’ailleurs « tapins ». Et pour beaucoup de détenus, PD et pointeur [condamné pour infraction à caractère sexuel], c’est pareil.

Les violences que j’ai subies ont toujours été l’œuvre d’une minorité, mais une minorité agissante. Quelquefois, ils reconnaissaient que j’avais du courage et me laissaient tranquille. Mais la plupart des détenus m’ignoraient. Soit parce que cela leur était égal que je sois homosexuel, soit parce qu’ils avaient la trouille d’être catalogués « amis de PD ». De rares personnes acceptaient de me parler, mais subissaient aussi des pressions de la part des autres détenus. Certains me laissaient tomber, ne voulant pas se mettre en danger. Etre homosexuel assumé en détention, c’est être souvent seul.

Tentative de viol et passages à tabac

Insultes, moqueries, coups, pressions pour que je reste en cellule… Certains ont tout essayé. Dans les années 1980, on a même tenté de me violer dans la salle de douche. Je me suis débattu ; ils se sont finalement contentés de me tabasser. J’étais très jeune et je n’ai rien dit à l’AP [administration pénitentiaire]. Par contre, j’en ai parlé à un détenu que je pensais ouvert d’esprit. Il m’a répondu : « Jean-Christophe, tu l’as cherché ! » J’étais abasourdi. Je me suis senti vraiment mal. En juillet dernier, j’ai encore subi une agression sur le terrain de sport. « Il paraît que tu aimes les hommes. Tu devrais pas rester là, ou tu vas te faire piétiner », m’a lancé un codétenu avant de me frapper. L’alerte a été déclenchée. Une vingtaine d’officiers de la pénitentiaire sont intervenus, mais je ne m’en souviens pas : j’ai perdu connaissance et m’en suis sorti avec un traumatisme crânien et sept jours d’incapacité totale de travail.

L’AP fait ce qu’elle peut, elle a peu de moyens. Les détenus sont malins : lorsqu’ils tendent un piège à quelqu’un, elle ne peut pas empêcher le passage à l’acte. Au départ, j’en avais tellement ras le bol de me faire insulter et tabasser que je souhaitais que nous soyons regroupés dans des quartiers spéciaux. Puis je me suis dit que ce serait faire le jeu des homophobes et je refuse de plier devant eux. Je sais que ce n’est pas politiquement correct, mais le pire ennemi d’un détenu, à mon sens, c’est son co-détenu. Il faudrait sanctionner systématiquement les actes homophobes. Il faudrait aussi des réunions pour faire comprendre aux détenus que les homosexuels ne sont pas des monstres, mais seulement des hommes et des femmes qui ont une sexualité différente.

« Baiser la peur au ventre »

Cette situation ne m’a pas empêché d’avoir des relations en détention. Je n’ai jamais été sanctionné ni placé à l’isolement pour ce motif. Les personnels pénitentiaires m’ont simplement conseillé de faire attention. Les rapports sexuels sont moins faciles qu’à l’extérieur. Les éventuels partenaires ont souvent peur, j’ai du mal à l’accepter. On se masturbe davantage car quelquefois le partenaire renonce à faire l’amour par peur. Les choses se font là où l’opportunité se présente : j’ai pu avoir un rapport dans un gymnase vide, ou dans une salle de classe déserte. Baiser à la va vite comme je l’ai souvent fait, avec la peur au ventre lorsque des détenus hostiles rôdent, ce n’est pas l’idéal.

En détention, beaucoup d’hommes ayant des relations homosexuelles refusent d’être sodomisés. Ils veulent être sucés ou sodomiser eux-mêmes. Ils culpabilisent moins comme cela. Certains m’ont dit : « Tu sais, je ne suis pas homosexuel car je ne me fais pas enculer. » Ce sont de véritables symboles du machisme, très dominateurs. L’idée de se faire pénétrer « comme une femme » serait insoutenable pour eux, ils s’écrouleraient.

Plus jeune, il m’est souvent arrivé de baiser pour des cigarettes. J’ai vite été repéré ; j’ai pris des coups, mais j’avais besoin de fumer et pas assez de ressources. Je ne conseille à personne de faire cela. Même pour les détenus les plus ouverts d’esprit, nous ne sommes plus que des sex-toys prêts à être violés. J’ai souvent cherché un « protecteur », mais personne ne voulait prendre le risque de se discréditer.

On peut aussi tomber amoureux en prison ; cela m’est arrivé. L’âge aidant, je me suis stabilisé et j’ai essayé d’établir une relation pérenne avec un co-détenu qui me plaisait beaucoup. Cela a duré deux ans. J’étais heureux, j’en oubliais la prison et les menaces, les coups, les insultes. Pour des raisons de sécurité évidentes, nous ne nous sommes jamais embrassés devant les autres détenus ou tenus par la main. A Clairvaux et à Saint-Maur, un couple homosexuel qui s’affiche signe un séjour à l’hôpital. A Poissy et Ensisheim, c’est différent car dans ces maisons centrales, il y a pas mal d’auteurs d’infractions à caractère sexuel. En général, ils sont compréhensifs car ils sont souvent eux-mêmes en situation délicate, surtout s’ils ont été médiatisés. Là-bas, je m’affichais en couple, mais sans provocation.

Je n’ai eu aucune relation avec des personnes extérieures à la détention depuis mon incarcération. Et depuis mon transfert  à Condé-sur-Sarthe, aucune occasion ne s’est présentée : le type de population pénale et la structure de l’établissement rend tout rapport discret impossible. A Poissy, j’avais rencontré quelqu’un. Nous avons beaucoup discuté, mais j’ai fait une connerie et j’ai été transféré ici. Nous nous écrivons très régulièrement, mais il faudrait que nous puissions nous retrouver dans une  même maison centrale pour concrétiser et pérenniser cette relation.

Je témoigne pour dire aux détenus homosexuels de ne pas plier face aux pressions, à la violence : si vous cédez vous ne serez pas mieux considéré, pas moins méprisé. Je souhaiterais aussi poser une question aux détenus homophobes : Vous passez votre temps à revendiquer le respect pour vous-mêmes, alors pourquoi êtes-vous incapables de l’accorder à ceux qui sont différents de vous ? »

Recueilli par Laure Anelli et Sarah Dindo