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« La seule réponse valable » : une nouvelle politique pénale

André Vallotton est expert auprès du Conseil de l’Europe, universitaire et ancien directeur d’un service pénitentiaire suisse. Alors que le nombre de détenus dans les prisons françaises bat des records, il revient sur la publication en juin dernier du « Livre blanc sur le peuplement carcéral » du Conseil de l’Europe, qui invite à limiter le recours à l’emprisonnement. Rappelant les enjeux d’une réforme en profondeur du système pénal et pénitentiaire, il trace les priorités d’un prochain gouvernement.

Le quinquennat a été marqué par l’échec des politiques à endiguer la surpopulation carcérale. Récemment, le gouvernement français a annoncé la construction de 33 nouvelles prisons et lancé un « Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire ». Qu’en pensez-vous ?

André Vallotton : Il faut différencier deux problèmes. La situation actuelle est effectivement inadmissible. La suroccupation ne permet pas de gérer les détenus, de répondre à leurs besoins de base, ni de les prendre en charge correctement. Il y a là effectivement une priorité. Mais il y a parallèlement une réflexion à mener – commencée avec la conférence de consensus sur la prévention de la récidive – pour imaginer une nouvelle politique pénale et la mettre en œuvre. C’est la seule réponse valable, mais c’est vrai que ça prend du temps puisqu’il faut dix à quinze ans pour avoir des résultats. Ça ne se fait pas en prenant un décret ou en modifiant une loi.

D’autres pays européens parviennent-ils à limiter le recours à l’emprisonnement ? Si oui comment ?

Deux groupes de pays ont vécu des évolutions assez spectaculaires ces dernières années : les pays de l’Est, dans lesquels la surpopulation a diminué de manière considérable, mais qui sont encore sur des taux de détention supérieurs à 150 pour 100 000 habitants. Et puis les pays nordiques comme la Suède, la Norvège, la Finlande, dont la population carcérale continue de baisser. Ces pays ont un taux de détention de l’ordre de 60 à 70 pour 100 000 habitants ; c’est une norme atteignable que devraient viser tous les pays européens. Les recettes pour y parvenir… D’abord la dépénalisation : trop de comportements sont pénalisés à l’heure actuelle. La déjudiciarisation également : on peut éviter les poursuites en confiant à d’autres instances civiles le soin de régler certains conflits – la médiation par exemple est une voie intéressante. Autre ingrédient : le raccourcissement des peines. En France, les peines sont particulièrement longues. Enfin, il faut une utilisation accrue des peines en milieu ouvert. Et bien sûr, il faut également améliorer la prévention de la délinquance : la lutte contre l’échec scolaire, le soutien social, la qualité de l’intégration dans la société, sont des facteurs extrêmement importants.

Comment expliquer que la France ne soit pas parvenue à mettre en place ces réformes malgré les débuts prometteurs de la conférence de consensus ?

J’ai du mal à l’expliquer. Le sentiment général d’insécurité, qui dépasse la France et touche aussi d’autres pays du sud de l’Europe, contrecarre toute expérience ou tout débat serein. On veut la sécurité immédiate et on ne s’occupe pas de la sécurité à long terme. La montée du populisme est très forte. On suit davantage nos émotions qu’une analyse rationnelle des faits. C’est quelque chose d’assez dramatique, car on prétend rassurer les gens en leur apportant des fausses bonnes solutions. La France accuse aussi un retard extrêmement important au niveau des effectifs : il n’y a pas assez de personnel dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation, dans les tribunaux… Donc mettre en place un système différent – a fortiori dans un contexte de restriction budgétaire – c’est très difficile.

Le livre blanc du Conseil de l’Europe incite les États membres à « ouvrir un débat national sur leur système pénal ». Dans quels termes pensez-vous que ce débat devrait ou pourrait être ouvert ?

Ce n’est pas facile. En Suisse, on assiste actuellement à la remise en question d’une réforme du Code pénal de 2007 qui prévoyait la quasi-suppression des courtes peines privatives de liberté et leur remplacement par des jours-amende ou des travaux d’intérêt général. Et cela ne fait pas suite à une aggravation de la situation : la criminalité et la récidive continuent à diminuer… Mais les autorités fédérales considèrent qu’un système n’est crédible que s’il satisfait l’opinion publique, quand bien même les constats scientifiques montrent le contraire. Toute la difficulté consiste à inverser cette tendance. La seule possibilité c’est d’informer mieux, sans émotion, d’une manière beaucoup plus objective et factuelle, de façon à convaincre la population et les décideurs que la situation n’est pas celle que l’on imagine en termes de réponse à la criminalité.

N’avez-vous pas l’impression que les décideurs sont suffisamment informés mais qu’ils n’ont pas le courage de porter ces questions dans le débat public ?

Il y a effectivement une question de courage. Ce qu’on constate souvent, c’est qu’il suffit d’un incident perturbateur, d’un mouvement de réaction fort, de problèmes de gestion, pour qu’on interrompe le processus de transformation et qu’on revienne au système antérieur. Les réformes vont rarement jusqu’au bout. Il faut effectivement des gens courageux. Comme l’a été Badinter par exemple par rapport à l’abolition de la peine de mort, malgré une opinion publique qui n’était pas particulièrement en sa faveur.

Un des éléments marquants de ce quinquennat a été la lutte contre le terrorisme. En prison, il s’agit notamment de détecter les risques de radicalisation sur la base de grilles d’évaluation complexes. Qu’en pensez-vous ?

Je n’ai pas d’avis spécifique sur ces grilles que je n’ai pas vues. Mais il y en a beaucoup qui se mettent en place un peu partout, notamment par rapport à la dangerosité. On est de plus en plus dans un système d’évaluation actuarielle inspiré du Canada, dont je me méfie beaucoup. Les critères sont rarement suffisamment fins pour pouvoir s’appliquer à des individus. Les grosses ficelles, les généralités, me font peur. Le risque, c’est de mettre dans une catégorie une personne qui n’y est pas, de créer des faux positifs ou des faux négatifs et de faire subir un régime inadapté avec des conséquences néfastes. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas du tout utiliser ce genre d’outils, mais je pense qu’il faut les considérer avec beaucoup de prudence et les compléter par une autre forme d’évaluation, plus individuelle et plus fine.

Que pensez-vous de la différenciation des régimes de détention ?

Il me paraît indispensable de créer des régimes différents en fonction de la durée de la peine, du temps passé dans l’établissement et de l’évolution de la personne. Une grosse partie des pays européens ont des régimes progressifs dans l’exécution de la peine. On commence par un régime d’observation relativement strict mais dès qu’on le peut, on passe dans un milieu beaucoup plus ouvert, avec des libertés beaucoup plus importantes ; puis dans un établissement complètement ouvert dans lequel on peut travailler dehors, puis en semi-liberté et finalement en libération conditionnelle. C’est un système qui me paraît essentiel pour réussir l’individualisation de la peine. Mais le risque de toutes ces classifications, c’est la classification elle-même. Elle ne doit pas être simpliste. Il est essentiel que les critères de choix soient extrêmement rigoureux et qu’il existe des possibilités de recours contre ces décisions pour éviter l’arbitraire.

Est-ce qu’un des risques de cette approche, ce n’est pas que le régime le plus souple s’applique à une minorité, et pas forcément à ceux qui ont le plus besoin d’être accompagnés ?

Il faut en effet inverser les choses. Les personnes qui nécessitent un régime strict sont les plus rares en prison. D’après les règles européennes, l’isolement est vraiment l’exception absolue. Une solution ultime et provisoire, qui doit être réévaluée et revue très régulièrement.

Quels sont selon vous les principaux chantiers que le prochain gouvernement devra engager pour répondre aux problématiques des prisons françaises ?

Il y a deux niveaux. Le premier, c’est la résolution des problèmes actuels. Si la politique pénale ne change pas, il faut un peu plus de places, et surtout beaucoup plus de personnel au niveau de la justice. Il y a des renforts extrêmement importants à mettre en place chez les juges de l’application des peines, pour qu’ils puissent traiter les situations autrement que d’une manière administrative. Il faut aussi plus de personnel pénitentiaire. En prison, le taux actuel d’encadrement est beaucoup trop faible pour pouvoir connaître les détenus et travailler véritablement avec eux. Et en milieu ouvert, il faudrait offrir un encadrement suffisant pour faire des peines alternatives un instrument crédible. Le ratio d’un conseiller de probation pour 120 voire 150 personnes ne permet pas de suivre correctement les gens, d’être présent de manière régulière à leur côté. Il faudrait un agent pour 30, maximum 50 cas, pour arriver à des résultats probants. Il n’y a pas de système gagnant sans investissement. La qualité est à ce prix. Il faut ensuite engager des réformes en profondeur pour mettre en place une nouvelle politique pénale. L’amorce qui avait été faite avec la conférence de consensus était intéressante et de qualité. Il faudrait la reprendre et la faire déboucher sur un véritable projet.

Un peu plus de place, cela voudrait dire construire de nouvelles prisons ?

Ce n’est pas une catastrophe de construire de nouvelles prisons si elles ont pour but, à terme, de remplacer les plus mauvaises. La majorité de l’appareil pénitentiaire français est complètement obsolète et ne correspond pas aux besoins normaux en matière de prise en charge et de parcours d’exécution des peines. Si on construit maintenant des prisons intelligentes, ça permettra plus tard de supprimer les plus anciennes quand la nouvelle politique pénale aura été mise en place.

Qu’est-ce qu’une prison intelligente, selon vous ?

C’est une prison beaucoup plus petite, dans laquelle on peut tenir compte des besoins de chacun, individualiser l’exécution de la peine, préparer l’avenir du détenu, travailler avec lui à la mise en place d’un nouveau mode de vie, de nouveaux objectifs. Une prison beaucoup plus souple, dans laquelle le personnel joue un rôle relationnel très important. Ce modèle n’est pas nouveau : c’est celui des unités de vie, mis en place dans les années 1970 au Canada et dans les pays nordiques. On y apprend la vie en groupe avec un encadrement qui permet d’éviter le développement d’une sous-culture carcérale. Cette architecture doit venir remplacer ce que j’appelle les « prisons HLM » ou les « prisons casernes ». Car plus un établissement est grand, moins le personnel maîtrise la vie interne et plus on favorise les risques de tension, de racket et d’un fonctionnement qui ressemble plus à celui du crime que celui de la société.

Dans les premières annonces du ministère de la Justice, il est pourtant encore question d’établissements de 600 places… Et on voit que la proximité du commissariat ou du tribunal semble être davantage au cœur des préoccupations que celle des structures de préparation à la sortie.

Si c’est le cas, c’est une erreur. Et c’est dommage car c’est un point fondamental dans la préparation de l’avenir, dans le régime de l’exécution de la peine. La prison ne devrait pas être un lieu de stockage dans lequel on attend d’autres décisions.

En novembre 2015, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a effectué une visite en France des lieux de privation de liberté. Le gouvernement n’a toujours pas donné son accord pour la publication du rapport de cette visite. Comment interpréter ce blocage ?

Le gouvernement doit adresser ses commentaires et un certain nombre de réponses. À mon avis, il est parfaitement conscient des constats et des difficultés. Mais la situation actuelle est compliquée et apporter des réponses qui soient satisfaisantes, ça ne doit pas être si simple que ça…

Cela veut dire que le gouvernement a conscience que les réponses apportées ne sont pas satisfaisantes ?

Je pense que oui.

André Valloton est un ancien président du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe. Propos recueillis par Cécile Marcel.


Quand l’Europe fixe le cap

Que prescrit le Conseil de l’Europe en matière de politiques pénale et pénitentiaire ? Dans un corpus de normes, inspiré des recommandations de ses organes de contrôle (Comité de prévention de la torture, Cour européenne des droits de l’homme) et des travaux de recherche, le conseil a dessiné ce qui devrait être la feuille de route des gouvernements. Zoom sur trois grands principes, qui conditionnent tant le respect des droits fondamentaux que la prévention de la récidive.

Le principe de l’ultima ratio

« La privation de liberté devrait être considérée comme une sanction ou mesure de dernier recours […] lorsque la gravité de l’infraction rendrait toute autre sanction ou mesure manifestement inadéquate. » (1)

Pour le Conseil de l’Europe, c’est un principe de base. Il implique l’élaboration par les gouvernements de plans d’actions nationaux incluant l’ensemble des acteurs de la chaîne de justice pénale (2) et prévoyant :

– la décriminalisation de certains types de délits ;

– la réduction du recours à la détention provisoire ;

– la réduction du recours aux peines de longue durée et le remplacement des courtes peines d’emprisonnement par des sanctions et mesures appliquées dans la communauté;

– la mise en place de l’infrastructure requise pour l’exécution et le suivi de ces sanctions, afin d’en faire des « alternatives crédibles à la peine d’emprisonnement » ;

– le développement des mesures permettant de réduire la durée effective de la peine purgée, et notamment de la libération conditionnelle, « une des mesures les plus efficaces et constructives » pour permettre la réintégration du délinquant dans la communauté.

Et c’est possible. Le nombre de personnes détenues dans les prisons européennes a baissé de presque 7 % entre 2014 et 2015, selon une récente enquête réalisée pour le Conseil de l’Europe (3). Des pays comme la Finlande, le Danemark ou la Suède ont connu une baisse de 25 points de leur taux détention en dix ans, pour atteindre respectivement 54, 56 et 58 pour 100 000 habitants en 2015. Sur la même période, le taux de détention en France est passé de 91 à 98 (101 aujourd’hui).

Politique pénitentiaire : les principes de « normalisation » et de « responsabilité »

« La vie en prison est alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur des prisons. » (4)

Pour limiter les effets néfastes de l’incarcération et faciliter la réintégration dans la société, le Conseil de l’Europe pose deux principes fondamentaux : la « normalisation », qui vise à rapprocher la vie en détention de celle hors les murs, et la « responsabilisation », pour donner aux détenus l’occasion d’exercer des responsabilités personnelles dans leur vie quotidienne. S’y ajoute, pour les condamnés, un principe d’« individualisation » invitant à la définition d’un projet d’exécution de la peine en fonction de leurs besoins propres et incluant formation, travail et préparation à la sortie. La mise en œuvre de ces principes exige :

– des conditions matérielles appropriées, répondant aux besoins de confort de base des personnes détenues ;

– un programme d’activités équilibré permettant aux détenus de passer au moins huit heures par jour hors de leur cellule ;

– un régime de détention qui facilite une certaine autonomie, avec un niveau de sécurité le moins restrictif possible ;

– la mise en place de dispositifs permettant aux détenus de prendre part à la vie publique, mais aussi aux discussions et décisions concernant l’organisation de la vie en détention ;

– la limitation des dispositifs de sécurité coercitifs pour privilégier une approche de la sécurité dite « dynamique », basée sur le développement de relations « positives » entre personnels et détenus et la mise en place de mécanismes de médiation pour résoudre les différends.

– la possibilité d’avoir des contacts soutenus avec l’extérieur et de « développer des relations familiales de façon aussi normale que possible ».

De nombreux pays ont mis en place des initiatives allant dans ce sens. La Suède par exemple garantit à ses détenus un minimum de six heures d’activités par jour. Au Danemark, des porte-parole élus par les prisonniers participent à la prise de décision, aux côtés des services pénitentiaires. En Pologne, des bureaux de vote sont installés en détention : le taux de participation frôle les 60 %, contre moins de 2,5 % en France. Au Royaume-Uni, le maintien des liens familiaux est facilité grâce à une prise en charge financière des visites pour les proches de détenus aux revenus modestes.

(1) Recommandation n°R (99) 22 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale.

(2) Livre blanc sur le surpeuplement carcéral, Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC), Conseil de l’Europe, 30 juin 2016.

(3) Annual Penal Statistics. SPACE I, 14 mars 2017.

(4) Règle pénitentiaire européenne n°5.