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Perles de compa’

Été 2024, l’Observatoire international des prisons assiste régulièrement à des audiences de comparution immédiate. Récits d’une justice expéditive et particulièrement pourvoyeuse d'incarcération.

Toutes choses égales par ailleurs, une comparution immédiate multiplie par 8,4 la probabilité d'un emprisonnement ferme par rapport à une audience classique de jugement (source : Virginie Gautron et Jean-Noël Retière, La justice pénale est-elle discriminatoire ? Une étude empirique des pratiques décisionnelles dans cinq tribunaux correctionnels, 2013.)

Une justice incompréhensible

29 juillet 2024, 14 heures, Chambre des comparutions immédiates du Tribunal de Bobigny.

L’Observatoire international des prisons s’est rendu en comparution immédiate. Récit d’une justice inconfortable.

H. est jugé en comparution immédiate à la sortie de sa garde à vue pour recel d’un véhicule. Il conteste les faits qui lui sont reprochés, et affirme ne pas être au courant que le véhicule avait été volé.

H. n’a pas de casier judiciaire. Il est commerçant en Algérie, où il est hébergé chez ses parents. Il a des difficultés à s’exprimer en français.

La présidente suspend l’audience pour faire venir un « interprète de confort » (sic).

L’interprète ne traduit ni le réquisitoire du procureur (qui parle en continu), ni la plaidoirie de la défense (qui s’accorde avec la peine requise).

Après 20 minutes, H. est condamné à 10 mois de prison avec sursis et 1 000 euros d’amende.

Une justice insatiable

30 juillet 2024, 14 heures, Chambre des comparutions immédiates du Tribunal de Paris

L’Observatoire international des prisons s’est rendu en comparution immédiate. Récit d’une justice insatiable.

Z.D. est condamné à 6 mois de prison ferme. Avec mandat de dépôt, c’est-à-dire qu’il est immédiatement incarcéré à la sortie du tribunal.

Pour avoir accompagné B.C., qui a illégalement remis un colis à des personnes détenues à la prison de la Santé. Un colis contenant de la viande.

A cette durée d’incarcération, s’ajoutera celle de deux peines de sursis probatoire auxquelles il avait précédemment été condamné.

Z.D. demande au président quelle sera la durée de sa peine. « Vous calculerez ça quand vous serez en prison ! », lui répond ce dernier.

Sans logement fixe, Z.D. devait commencer une formation de pâtisserie en septembre.

Une justice inaudible : « Est-ce que c’est suffisamment audible ? », ironise-t-elle.

29 juillet 2024, 19 heures, Chambre des comparutions immédiates du Tribunal de Paris

L’Observatoire international des prisons s’est rendu en comparution immédiate. Récit d’une justice inaudible.

A 18 ans, Monsieur D., malentendant, est condamné à 140 heures de TIG (travaux d’intérêt général) et 3 ans d’interdiction de paraître dans un parc situé près de chez lui pour rébellion sur personne dépositaire de l’autorité publique. En cas d’inexécution de l’une ou l’autre de ces peines, Monsieur D. exécutera une peine de prison de 6 mois.

L’audience s’est déroulée alors que Monsieur D., porteur d’appareils auditifs, les avait perdus. « J’ai pas compris », répètera-t-il à plusieurs reprises au cours des échanges pendant l’audience.

Ce qui n’aura pas empêché la procureure de s’amuser de la situation :

  • « Est-ce que c’est suffisamment audible ? », ironise-t-elle.
  • « Quoi ? », interroge Monsieur D.
  • La procureure rit.

Aux « policiers qui sécurisent une fan zone », elle oppose ces « jeunes qui refusent de se soumettre ».

Monsieur D. est relaxé des charges de menaces de mort, qu’il contestait. Les propos du policier municipal n’étaient corroborés ni par ses collègues présents sur place, ni par les images des vidéos de la ville et de la caméra piéton.

Il est condamné pour rébellion, caractérisée par le refus de donner ses mains pour être menotté, alors qu’il est menotté par derrière, qu’une lampe torche est braquée sur son visage, qu’il subit une clef de bras et reçoit du gaz lacrymogène.

Une justice folle

30 juillet 2024, 18 heures, Chambre des comparutions immédiates du Tribunal de Paris

L’Observatoire international des prisons s’est rendu en comparution immédiate. Récit d’une justice folle.

AD est condamné à 5 mois de prison ferme pour « menaces de dégradation ». Avec mandat de dépôt, c’est-à-dire incarcération immédiate à la sortie du tribunal.

Il reconnaît avoir crié aux usagers de la station de métro qu’il y avait une bombe et avoir tenté d’éloigner les personnes présentes, en particulier une petite fille.

Selon lui, il ne proférait pas de menaces, mais des avertissements d’un danger qu’il croyait alors réel. Une bombe qu’il imaginait durant un épisode psychotique induit par l’usage de stupéfiants. Les témoignages vont dans ce sens : les personnes présentes n’auraient pas déclaré s’être senties menacées. Il n’y a pas de partie civile.

AD est d’ailleurs relaxé pour violences sur personnes vulnérables (personnes âgées et enfants).

AD est étranger et ne parle pas bien français. L’interprète ne traduit que partiellement les échanges pendant l’audience. Il ne traduit notamment pas la plaidoirie de son avocat. Du fait de la traduction approximative, il ne comprend pas quand il doit prendre la parole ou non.

Selon le travailleur social rencontré en garde à vue, AD est en proie à une addiction à la cocaïne, qu’il consomme tous les jours depuis ses 16 ans, et à l’alcool. Il aurait également vu un psychiatre, qui a conseillé de l’envoyer aux urgences.

Une justice raciste

30 juillet 2024, 15 heures, Chambre des comparutions immédiates du Tribunal de Paris

L’Observatoire international des prisons s’est rendu en comparution immédiate. Récit d’une justice raciste.

« Vous êtes arrivé en France en 2014 et vous ne parlez toujours pas français ? Vous n’avez pas essayé de vous intégrer ? »

Audience de renvoi.

A.F. est en détention provisoire depuis 5 semaines.

La présidente : « Qu’est-ce que vous attendiez quand vous êtes venu en France ? C’était quoi votre projet ? »

A.F. : « Je suis venu travailler pour aider ma famille restée au Maroc »

La présidente : « Vous ne pouviez pas travailler au Maroc ? »

A.F. : « Non »

La présidente (ton sarcastique) : « Et vous trouvez qu’en France ça marche mieux ? »

A.F. est en situation irrégulière, il travaille au noir comme manutentionnaire sur les marchés et est vendeur à la sauvette.

La présidente : « Ce ne sont pas vraiment des preuves que vous essayez de vous intégrer. »

A.F. comprend mal le français. La présidente pose des questions, l’interprète traduit, la présidente coupe pour ajouter de nouvelles questions. Elle semble agacée du temps de réponse, et s’énerve car A.F. parle directement à l’interprète et ne parle pas dans le micro.

A.F. : « C’est trop dur les rapports avec les autres prisonniers qui sont là-bas. »

La présidente : « Ce sont des personnes qui ont commis des infractions ou sont suspectées, donc bon, elles sont pas formidables. »