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Reprise des parloirs entre incertitude et frustration

Reconnue comme prioritaire par l’administration pénitentiaire, la reprise des parloirs, lundi 11 mai, a toutefois été chaotique. Informations lacunaires, réservations compliquées, mesures barrières lourdes et dans certains cas, amende pour avoir dépassé la limite des 100km : une accumulation qui a conduit certaines familles à renoncer aux visites.

Après huit semaines sans se voir – et dans certains cas, sans aucun contact (lire page 42), les personnes détenues et leurs proches ont accueilli avec soulagement l’annonce de la reprise progressive des visites. Mais – première déconvenue –, tous n’ont pas été autorisés à reprendre le chemin des parloirs. La note produite par la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) le 6 mai précisait en effet que leur accès était réservé aux personnes âgées de 16 ans et plus. Et privait donc des milliers de parents incarcérés de retrouver un lien mis à mal par deux mois de confinement. « Mon fils n’a pas vu sa fille d’un an et demi depuis trois mois. À cet âge, un enfant a besoin de voir ses parents – et eux de les voir grandir, de leur parler », explique la mère d’un détenu. Un coup difficile à encaisser pour de nombreuses familles : « Nos enfants pleuraient à la maison de ne pas pouvoir retourner voir leur père », raconte ainsi Sophie. Les plus jeunes ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir été privés de parloirs. Bien que cela ne soit pas prévu dans la note de la DAP, certaines prisons ont en effet interdit l’accès des parloirs aux personnes de plus de 65 ans – comme par exemple à Lille-Annoeullin ou à Tarascon. « C’est honteux que des parents se voient refuser de rendre visite à leur enfant incarcéré ! », s’exclame une proche. Dans d’autres établissements, ce seuil a été élevé à 70 ans – des inégalités révélatrices du flou et du manque d’information qui ont accompagné la reprise des parloirs.

Franchir les 100km : incertitudes et verbalisations

C’est sans doute la question de la limite des cent kilomètres qui a suscité le plus d’interrogations, tant au sein des familles qu’auprès du personnel pénitentiaire. « Mon compagnon étant incarcéré à plus de cent kilomètres de mon domicile, je souhaiterais savoir si l’on peut me verbaliser, ou si ça passe comme motif familial impérieux », nous interrogeait ainsi, comme tant d’autres, la compagne d’un détenu durant le week-end du 8 mai. Nulle réponse à cette question dans la note de la DAP du 6 mai. Interrogée sur le plateau de France Inter le 7 mai, la ministre de la Justice avait expliqué que ces visites pourraient constituer un motif légitime de déplacement. Problème : aucune position officielle du ministère de l’Intérieur n’est venue confirmer ces propos. Nos demandes étant restées lettres mortes, c’est par le biais de la plateforme de tchat mise en place par la Police nationale que l’OIP tenta d’obtenir des réponses. Et finit par apprendre, plus de dix jours après la reprise officielle des parloirs, que « selon la position officielle de la Direction générale de la police », les proches d’un détenu incarcéré hors département et à plus de cent kilomètres pouvaient aller le voir « après avoir pris attache avec l’établissement pénitentiaire pour s’assurer que les visites sont autorisées ».

Certaines personnes se sont pourtant fait verbaliser, comme Madame B., contrôlée et renvoyée chez elle avec une amende après avoir parcouru deux cents kilomètres : les fonctionnaires en charge du contrôle ont estimé qu’en dépit des justificatifs présentés, la rencontre avec son compagnon ne s’apparentait pas à « un motif familial impérieux », ce dernier n’étant « pas en train de mourir ». Une erreur manifeste d’appréciation, peut-être due au fait que la position de la Direction générale de la police n’a pas été officialisée et diffusée aux agents sur le terrain, leur laissant toute latitude dans la façon d’apprécier la situation. Au sein de l’administration pénitentiaire comme des forces de l’ordre, chacun semble avoir son idée sur la question. Un détenu au centre pénitentiaire d’Écrouves expliquait ainsi : « Le directeur nous a informés que le parloir n’était pas une raison de braver l’interdiction de dépasser cent kilomètres. » À Joux-la-Ville, on informe les visiteurs que s’ils dépassent les cent kilomètres, c’est « à leurs risques et périls », détaille Paula, dont le conjoint est incarcéré. Et de fait : sur soixante-dix commissariats et gendarmeries contactés les 27 et 28 mai par l’OIP, les réponses variaient d’une brigade à l’autre. Pour 40 % d’entre eux, ce déplacement était légitime. À l’opposé, 18 % étaient catégoriques : « Ce n’est pas possible, ça ne rentre pas dans les cas autorisés. Vous risquez une amende », nous a-t-il souvent été répondu. Le reste des agents interrogés ont fait part de leur ignorance sur ce point – et souvent répété que la verbalisation dépendrait de la personne effectuant le contrôle, en incitant les visiteurs à attendre la fin de la limite des cent kilomètres, le 2 juin.

Des mesures barrières sources de frustration

Mais avant de pouvoir se rendre au parloir, encore fallait-il pouvoir en réserver un. « Depuis lundi, nous ne cessons d’appeler le service de réservation des parloirs, entre 8h30 et 17h, toutes les vingt minutes. La seule réponse que nous ayons est ‘‘rappelez ultérieurement’’ », expliquait Myriam, qui souhaitait rendre visite à son fiancé, quelques jours après la fin du confinement. Comme elle, des dizaines de familles se sont heurtées à des standards surchargés, bien que les effectifs aient été renforcés dans certains établissements. « J’ai dû passer très exactement 193 appels avant d’avoir un parloir », détaille ainsi Martine, dont le compagnon est incarcéré dans le nord de la France.

Une fois le parloir réservé, il fallait encore se conformer aux différentes mesures venues encadrer son déroulement, afin de garantir un cordon sanitaire autour des établissements pénitentiaires. Les visiteurs étaient d’abord priés de remplir une attestation, certifiant sur l’honneur n’avoir été ni malade, ni en contact avec des personnes malades. Or, la majeure partie de la population n’ayant pas été testée et une partie des malades étant asymptomatiques, comment s’assurer de la véracité de ce que l’on atteste ? Une question d’autant plus cruciale que des sanctions étaient prévues en cas de fausse information.

Ensuite, les visites étaient limitées : une personne par semaine, pour un parloir d’une durée maximale d’une heure. Un temps qui peut sembler bien court lorsque l’on vient de loin : « Je ne vais pas faire six cents kilomètres pour voir ma compagne une heure ! », s’exclame ainsi une femme. Durant les visites, les mesures adoptées ont parfois été mal vécues par les personnes détenues comme par leurs proches. Partout où cela a été possible, les parloirs ont en effet été équipés de vitres en plexiglas et déplacés dans des lieux collectifs, comme les gymnases, afin de permettre aux surveillants de pouvoir veiller au respect des gestes barrières. Lesquels étaient contraignants : visiteurs comme détenus étaient priés de porter un masque et avaient interdiction de se toucher, sous peine de voir le parloir interrompu, le permis de visite suspendu pendant trois semaines et d’être, pour le détenu, placé en quatorzaine immédiatement. Des mesures lourdes et douloureuses pour les proches : « Être près de lui et ne pas pouvoir le toucher… j’en ai pleuré », confiait Émilie. Certains agencements des parloirs ont laissé les visiteurs perplexes : « Je conçois très bien que le port du masque soit indispensable. Mais une table de deux mètres tenant toute la largeur du box et interdisant tout contact l’est-elle réellement ? Sans compter les allées et venues des surveillants derrière les vitres toutes les trente secondes. J’ai énormément pris sur moi pour que mon compagnon ne voie rien, mais lorsque je suis sortie, j’étais en larmes. J’y retourne quand même cette semaine car je sais bien que lui compte sur moi », expliquait une autre femme.

De nombreuses familles rapportaient aussi avoir eu du mal à s’entendre. « Les masques étouffent nos mots, nous entendons les échanges des voisins », détaillait la sœur d’une personne détenue. « Les conditions de parloirs sont très strictes, tellement que nous ne nous entendons même pas parler, expliquait Sandra, dont le conjoint est incarcéré. Il y a une planche de bois du sol au plafond et un petit plexiglas au milieu, mais aucun petit trou pour pouvoir entretenir une discussion ! De plus, nous avons chacun un masque, donc nous nous entendons encore moins bien. Ils pourraient faire au moins de tout petits trous, qu’on puisse s’entendre ! »

Certains établissements ont, à la marge, tenté d’arrondir les angles : dans un établissement du sud de la France, une compagne racontait avoir été autorisée à tenir son conjoint par la main. Mais là où des établissements ont adouci certaines mesures, d’autres les ont renforcées – avec des parloirs réduits à moins d’une heure dans certaines prisons ou encore limités à un tous les quinze jours, comme au centre de détention de Tarascon (lire l’encadré ci-dessous).

Une atteinte excessive au maintien des liens familiaux

Si l’ensemble de ces mesures a été jugé nécessaire par le ministère de la Justice pour former un cordon sanitaire efficace autour des prisons, l’atteinte qu’elles causent au droit et au respect de la vie privée et familiale peut être jugée disproportionnée. Saisi par un référé-liberté, le tribunal administratif de Caen a ainsi, le 26 mai, ordonné au centre pénitentiaire de retirer les séparations en plexiglas séparant les visiteurs des détenus. Le juge pointe notamment dans son délibéré que la prison de Caen étant en zone verte, aucun cas n’ayant été dépisté à l’intérieur et le requérant n’étant pas jugé comme une personne vulnérable, « le dispositif adopté [ndlr : port du masque et séparation en plexiglas] excède ce que l’efficacité de l’“anneau sanitaire” peut justifier et méconnaît son droit au maintien de relation avec les membres de sa famille ». Le détenu pointant notamment l’impossibilité de s’entendre dans le brouhaha ambiant, le juge a enjoint à l’administration de mettre en place une organisation permettant aux détenus et à leurs proches de poursuivre une conversation, et ce à partir du 8 juin. Une décision qui n’a pas dissuadé l’administration pénitentiaire de demander aux établissements, dans une nouvelle note du 2 juin(1), de poursuivre la mise en œuvre « sans aucun relâchement » des aménagements matériels réalisés jusqu’à présent dans les zones dédiées aux parloirs.

En attendant, les dispositions adoptées ont découragé certains proches de faire le déplacement. « Je viens d’effectuer mon premier parloir post-confinement, qui sera aussi le dernier dans ces conditions. Plexiglas, masques, surveillants en permanence derrière la porte, aucune intimité, impossibilité de se toucher ou de parler de choses personnelles. C’est brutal et choquant », expliquait une personne détenue à Rouen. Pour la compagne d’un autre, « le plexiglas, le masque et le manque de contact physique, c’est assez traumatisant. Si la venue des enfants venait à être autorisée le 2 juin et que ces mesures devaient être prolongées, je ne sais pas si j’irais… Mes enfants ne se remettraient pas de voir leur père comme ça. »

Par Charline Becker


Prison de Tarascon : un accès aux parloirs encore plus restreint qu’ailleurs
« Les détenus auront le droit à un parloir tous les quinze jours. » C’est l’une des premières phrases, débitée par une voix automatique, que les proches entendaient entre le 11 mai et le 8 juin lorsqu’ils appelaient le centre de réservation des parloirs de Tarascon. Une disposition illégale, qui portait une atteinte disproportionnée au maintien de liens familiaux déjà mis à mal par deux mois de confinement.
Les conditions de reprise des parloirs ont en effet été encadrées très précisément par la note de la Direction de l’administration pénitentiaire émise le 6 mai. Cette dernière indiquait que « pendant la première phase du déconfinement […] chaque détenu ne pourra bénéficier que d’un seul parloir par semaine ». Une nouvelle note de la DAP émise le 2 juin est venue quant à elle alléger ce principe, en permettant aux chefs d’établissement d’organiser plus d’un parloir s’ils le souhaitaient. Si ces modalités pouvaient donc être adaptées – suspendues ou au contraire élargies – en fonction de l’évolution de l’épidémie, rien ne justifiait que le centre de détention de Tarascon, situé en zone verte depuis le début du déconfinement, ait restreint encore davantage l’accès aux parloirs. Censées être « proportionnées et adaptées aux circonstances locales », ces dispositions devaient de plus, toujours selon la note du 6 mai, être « expliquées aux personnes détenues et à leurs familles, et soumises au contrôle des directions inter-régionales ». Des consignes manifestement ignorées par la prison de Tarascon : « J’ai appelé jeudi 4 juin le centre de détention pour tenter d’avoir un parloir cette semaine : on m’a dit que c’était impossible, que c’était un tous les quinze jours », explique Maria dont le compagnon y est incarcéré. Sans qu’aucune explication ne soit donnée sur cette limitation. Joint le 5 juin par téléphone, le centre pénitentiaire confirmait que la durée des parloirs n’avait pas été rallongée pour compenser : ils ne durent qu’une heure. Maria s’interroge : « Ils ont le droit de faire ça ? »
Manifestement, non. La disposition étant contraire à la note du 6 mai et à celle du 2 juin – et violant de surcroît le droit au respect de la vie privée et familiale tel que garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme –, la direction interrégionale, saisie par l’OIP, a assuré que les parloirs allaient désormais être possibles chaque semaine, comme cela aurait dû être le cas dès le 11 mai.


(1) Cette nouvelle note autorise cependant le visiteur à être accompagné d’un mineur de moins de 16 ans. En revanche, la durée des parloirs est toujours limitée à 1h.

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