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Le 1er mai s’arrête aux portes des prisons : les personnes détenues ne pourront toujours pas s’associer aux revendications sociales

En ce 1er mai, journée internationale de lutte pour les droits des travailleurs, les prisonniers ne pourront toujours pas s’associer aux revendications sociales.

Les travailleurs incarcérés sont privés de tout droit collectif, même les plus fondamentaux : créer un syndicat, faire grève, être collectivement représentés ou simplement exprimer une parole collective sur les conditions de travail. En prison, participer – ou seulement « tenter » de le faire – à « toute action collective de nature à compromettre la sécurité des établissements ou à en perturber l’ordre » est constitutif d’une faute du premier degré – le niveau le plus élevé – et passible de vingt jours en cellule disciplinaire[1]. Car, « du point de vue de l’administration pénitentiaire, le “collectif” est subversif par nature »[2]. De fait, il n’est pas rare que des personnes soient sanctionnées pour de simples pétitions. Plus généralement, protester, sous quelque forme que ce soit, contre ses conditions de travail emporte le risque de perdre son travail.

Pourtant, les droits collectifs ne sont pas antinomiques par essence avec le milieu et l’ordre pénitentiaires. Au contraire, la parole ou la revendication dans des formes pacifiques, négociées et démocratiques, sont des vecteurs d’apaisement. En outre, le cadre juridique et les conditions de travail en prison sont particulièrement contestables et les personnes détenues se retrouvent privées de levier de revendication ou de négociation leur permettant de se constituer en acteurs du respect et de l’amélioration de leurs droits.

Un salaire dérisoire et non respecté

La rémunération horaire minimale consiste quant à elle en un pourcentage indécent du minimum légal (Smic – Salaire minimum interprofessionnel de croissance). Elle varie entre 20 et 33% du Smic (respectivement 2,33€ et 3,84€) pour une personne détenue travaillant pour l’administration pénitentiaire au service général, c’est-à-dire réalisant une activité qui participe au fonctionnement de l’établissement pénitentiaire. Elle est de 45% (5,24€) pour une personne détenue travaillant en production.

Ces taux, bien que dérisoires, sont en outre régulièrement bafoués à travers la pratique dite de la rémunération « à la pièce ». Interdite par la loi française depuis 2009, elle consiste à calculer le salaire en fonction de la production réalisée et non du nombre d’heures effectivement travaillées. En se fondant sur les condamnations de l’État par les tribunaux nationaux, les rapports de visite des prisons par le Contrôle général des lieux de privation de liberté ou encore les rapports annuels de la Direction des affaires juridiques du ministère de la Justice, le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe conclut en mars 2023 à la non-conformité de la situation française à la Charte « au motif qu’il n’est pas établi que le salaire minimum soit équitable »[3].

Toujours pas de droit du travail entre les murs

 En dépit de la réforme votée fin 2021[4], le droit du travail ne s’applique toujours pas dans les prisons françaises. Le nouveau cadre juridique entérine en effet un régime dérogatoire qui enferme le travailleur dans un statut précaire, avec une rémunération indécente, sans droit collectif et protection individuelle, et des droits sociaux restreints. Outre que ces différences ne trouvent aucune justification dans d’éventuelles spécificités du monde carcéral, ces dernières devraient au contraire conduire à ancrer le travail en prison dans une logique de réinsertion.

La précarité du travailleur détenu tient d’abord à l’absence de garantie quant à la pérennité de son emploi. En particulier, en prison, les contrats à durée déterminée (CDD) n’ont pas de durée maximale et peuvent être renouvelés indéfiniment[5]. Elle tient ensuite à la recherche d’une flexibilité maximale des travailleurs captifs au profit des donneurs d’ordre. Ainsi, la durée minimale de travail hebdomadaire est de dix heures – contre vingt-quatre dans le droit commun – mais le nombre d’heures complémentaires que le donneur d’ordre peut imposer au travailleur est bien plus important – jusqu’à la moitié de la durée de travail prévue au contrat contre 10% hors les murs.

Par ailleurs, la suspension de l’activité donne lieu à la suspension du contrat sans aucune indemnisation financière. Le donneur d’ordre peut encore librement modifier le planning de travail jusqu’à vingt-quatre heures avant, contraignant éventuellement le travailleur qui choisirait d’honorer des rendez-vous parfois programmés de longue date et sur lesquelles il n’a pas la main, avec des soignants, le juge ou un visiteur par exemple, à perdre sa rémunération. Le donneur d’ordre peut aussi, dans le même délai, modifier le nombre d’heures de travail : prévenu au moins vingt-quatre heures avant, le travailleur détenu ne peut refuser d’accomplir des heures complémentaires ; à l’extérieur, le délai est de trois jours.

Concernant les jours fériés, ils sont chômés en prison sans donner lieu à rémunération[6], alors qu’ils sont rémunérés en droit commun pour les salariés dont l’ancienneté est supérieure à trois mois. Les travailleurs détenus restent également exclus du bénéfice des congés payés, un droit acquis depuis près de 90 ans à l’extérieur.

Enfin, l’effectivité des avancées apportées par la réforme n’est nullement garantie. L’inspection du travail, qui détient hors les murs une compétence générale sur la relation de travail, est cantonnée en prison au contrôle de l’hygiène et de la sécurité : échappent donc notamment à son contrôle les modalités d’exécution du contrat de travail et la rémunération.

Une protection sociale parcellaire

Si la réforme de 2021 consacre quelques évolutions positives en termes de protection sociale, elle ne suffit pas à établir des conditions de travail équitables. Tout d’abord, nombre de ces avancées ne sont toujours pas entrées en vigueur et la date butoir annoncée est décembre 2024, soit trois ans après l’adoption de la loi. C’est le cas notamment du droit à l’assurance chômage à l’issue de la détention, ou du droit à des indemnités journalières en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.

Ces avancées restent de plus largement parcellaires. Les mesures relatives à l’assurance chômage et à l’assurance maladie sont ainsi restreintes à l’issue de la détention : les personnes détenues ne pourront en bénéficier pendant la durée de leur détention. De plus, les modalités de calcul et d’acquisition des prestations sociales seront déterminées par ordonnance, sans aucune garantie de leur caractère équitable par rapport au reste de la population française. Enfin, les travailleurs détenus restent exclus d’une importante partie des mesures de protection sociale. C’est le cas en particulier de l’indemnisation en cas de maladie non professionnelle.

Alors pourquoi travailler en prison ?

Selon le code pénitentiaire français, « toutes dispositions sont prises pour assurer une activité professionnelle aux personnes incarcérées qui le souhaitent »[7]. Cependant, seules 31% des personnes détenues travaillent selon les dernières données rendues publiques par l’administration française.

Or la demande de travail en prison est très importante. Le travail relève en effet d’une nécessité économique pour faire face aux frais inhérents à la détention, en particulier eu égard à la très grande précarité de la population carcérale française. Le salaire peut ainsi permettre de « cantiner », c’est-à-dire acheter des produits, notamment d’hygiène ou alimentaires pour compenser les carences quantitatives et qualitatives, ou des crédits téléphoniques – dont les coûts restent exorbitants par rapport au marché extérieur – pour contacter ses proches ou son avocat. La rémunération permet encore de préparer la sortie de prison et de pouvoir, le cas échéant, indemniser les victimes.

Les activités de travail sont en outre fortement sollicitées puisque « prises en compte pour l’appréciation des efforts sérieux de réinsertion et de la bonne conduite des personnes détenues condamnées »[8], tout comme les versements volontaires des sommes dues aux victimes et au Trésor public. Ces éléments sont essentiels : ils conditionnent l’octroi de réductions de peine par le juge, et sont pris en compte dans le cadre d’une demande d’aménagement de peine.

Plus largement, accéder au travail, c’est pouvoir sortir de sa cellule, se mouvoir, ce qui est loin d’être fréquent, en particulier dans les maisons d’arrêt, où sont incarcérées les personnes en attente de jugement et celles condamnées à des peines inférieures ou égales à deux ans. La surpopulation y avoisine 150%, et les prisonniers passent souvent 22 heures, voire 23 heures / 24 dans des cellules de 9m² à deux, trois, parfois plus.

Enfin, outre l’insuffisance quantitative de l’offre de travail pour garantir un libre choix, les activités de travail proposées demeurent très orientées vers la production industrielle et manufacturière, et consistent majoritairement en des tâches répétitives et non qualifiantes, souvent automatisées à l’extérieur.

Par Prune Missoffe

 

Pour aller plus loin – Documentation produite par l’OIP-SF :

 

 

[1] Article R. 232-4 du code pénitentiaire.

[2] « Le droit d’expression collective des personnes détenues » (rapport), Cécile Brunet-Ludet, Direction de l’administration pénitentiaire, 2010.

[3] https://rm.coe.int/conclusions-2022-france-f/1680aa9c95

[4] Loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

[5] En droit commun, le nombre de renouvellements est limité à deux, et sur une période qui ne peut excéder dix-huit mois.

[6] Article R. 412-62 du code pénitentiaire.

[7] L.412-1 alinéa 2 du code pénitentiaire.

[8] L.412-1 alinéa 1 du code pénitentiaire.