Dans le cadre du projet de loi sur la justice, le Gouvernement prévoit de revoir le régime du travail en prison. Une réforme qui consacre des avancées, mais à tous petits pas. Car à trop vouloir préserver les employeurs et faire du travail un outil de gestion disciplinaire, elle maintient les travailleurs détenus dans leur condition de main d’œuvre soumise et malléable.
On n’y croyait plus à force de l’attendre. Le gouvernement envisage enfin, dans le cadre du projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire », de réformer le travail en prison. C’était un engagement du président Macron : « Je souhaite que le droit du travail, en étant adapté évidemment à la réalité et aux contraintes de la prison, puisse s’appliquer aux détenus et, à tout le moins, que le lien qui unit l’administration pénitentiaire et le détenu travaillant en son sein soit un lien contractuel avec des garanties qui s’y attachent, et non plus un acte unilatéral avec la négation de tous les droits », avait-il avancé en mars 2018. Il faut dire qu’il y avait urgence à mettre un terme à la situation actuelle, profondément injuste. En 2021, le droit du travail ne s’applique toujours pas aux près de 20 000 personnes détenues qui ont un emploi – 28 % de la population carcérale : sous-payées, privées de protection sociale, elles sont entièrement soumises aux aléas de l’offre de travail et au bon vouloir de l’administration pénitentiaire(1).
Trois ans après l’annonce présidentielle, le texte introduit par le gouvernement ne fait pas encore entrer le travail en prison dans le droit commun. Mais il prévoit que les relations de travail feront désormais l’objet d’un « contrat d’emploi pénitentiaire » et encadre les modalités d’accès au travail, de suspension et de rupture du contrat. La principale innovation concerne l’ouverture de droits sociaux dont les travailleurs détenus étaient jusque-là privés : droit à l’assurance chômage et à l’assurance maladie à l’issue de la détention, affiliation au régime de retraite complémentaire, indemnisation en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, et bénéfice de certaines prestations en cas de maternité, d’invalidité ou de décès. Un progrès bienvenu même si l’on peut regretter que le gouvernement s’arrête, dans ce domaine, au milieu du gué. Ainsi, les personnes détenues restent exclues de certaines protections, sans que cela ne puisse s’expliquer par les contraintes liées à la détention. C’est le cas notamment de l’indemnisation en cas de maladie non professionnelle, de chômage technique ou des congés payés. Le projet consacre par ailleurs d’autres d’avancées : il prévoit un encadrement par décret de la durée maximale du travail, du temps de repos, des heures supplémentaires et des jours fériés. Il applique au travail en prison certains principes qui ont cours à l’extérieur en encourageant l’accès au travail des femmes ou des personnes en situation de handicap, et en intégrant des notions de non-discrimination et de lutte contre le harcèlement. Il tente, enfin, de favoriser le lien entre le dedans et le dehors, en prévoyant la possibilité d’effectuer une période de mise en situation professionnelle en milieu libre, ou encore en ouvrant aux personnes détenues la possibilité d’abonder un compte personnel d’activité ou de formation.
Flexibilité maximale
Malgré ces améliorations, le projet de loi n’inverse pas le paradigme qui prévaut actuellement. Il maintient un déséquilibre disproportionné entre les obligations faites au donneur d’ordre et les contraintes qui pèsent sur les détenus, et enferme ces derniers dans un rapport de soumission aux premiers.
Ainsi, la flexibilité du travail en prison est consacrée par un dispositif qui ajuste la durée du travail aux besoins des employeurs. Tout d’abord, s’il est prévu d’encadrer la durée maximale, rien n’est envisagé en termes de durée minimale : l’employé n’aura dès lors aucune prévisibilité ni garantie sur son salaire. Ensuite, le projet de loi prévoit que la durée du contrat d’emploi pénitentiaire pourra être strictement égale au volume de travail proposé – et donc adaptée aux besoins de l’entreprise. Enfin, le texte dispose que le contrat pourra être suspendu « en cas de baisse temporaire d’activité », mais ne prévoit dans ce cas ni rémunération, ni indemnisation de type activité partielle. C’est ainsi au détenu de supporter les risques de la variation d’activité. Cette conception du travail, conforme à celle du XIXe siècle contre laquelle tout le droit du travail s’est construit, fait fi d’un principe fondamental : le travail doit offrir des garanties de rémunération.
Dans une même volonté de rassurer les entreprises – qui certes ne se bousculent pas au portillon, le projet de loi leur donne par ailleurs un pouvoir nouveau dans le recrutement. Aujourd’hui, c’est l’administration qui décide d’attribuer du travail à une personne détenue. Avec la réforme, le processus se fera en deux temps : une décision de classement continuera d’être prise par le chef d’établissement ; elle devra être motivée et pourra faire l’objet d’un recours. Mais la véritable entrée dans le travail relèvera d’une décision d’affectation qui, elle, ne pourra faire l’objet d’aucun recours et sera prise à l’issue d’un entretien professionnel entre le détenu et le donneur d’ordre. Ainsi, les concessionnaires pourront-ils sélectionner les personnes détenues qu’ils souhaitent faire travailler sans avoir à s’en justifier. Le gouvernement explique ce procédé par le fait qu’à l’extérieur, les employeurs sont libres de leur décision de recrutement : une justification qui passe sous silence l’obligation qui incombe à l’administration en termes de réinsertion des personnes détenues. L’accès au travail en concession, déjà fortement à la marge, risque dès lors d’être réservé aux plus productifs et non à ceux qui en ont le plus besoin.
Un outil de gestion de l’ordre
Il est en revanche un principe qui prévaut à l’extérieur dont le Gouvernement s’embarrasse peu, c’est celui de la force contraignante d’un contrat. Car à y regarder de plus près, le contrat signé entre la personne détenue et le donneur d’ordre n’aura qu’une valeur purement symbolique, la personne détenue restant entièrement dépendante du bon vouloir de l’administration pénitentiaire. En effet, le projet de loi soumet l’accès et le maintien du prisonnier à son poste à son bon comportement en détention, indépendamment de celui sur son lieu de travail. Il consacre ainsi le pouvoir du chef d’établissement de mettre fin au classement ou de le suspendre en cas de faute disciplinaire, et l’autorise à suspendre une affectation « pour des motifs liés au maintien du bon ordre, à la sécurité de l’établissement ou à la prévention des infractions ». En cela, il s’inscrit à contre-courant de la tendance amorcée à la fin des années 1980 consistant à déconnecter le travail de la peine et à en faire un instrument d’émancipation et de réinsertion. Et à rebours des préconisations de l’Organisation internationale du travail (OIT) pour laquelle il faut séparer la relation de travail des détenus de leur situation en prison.
La responsabilisation des personnes détenues, intimées de bien se comporter si elles veulent obtenir puis conserver leur emploi, reste à sens unique. Ainsi, le texte ne prévoit aucune évolution en termes de dialogue social et d’expression collective. Sur nombre d’autres sujets, le projet de loi renvoie à des ordonnances et décrets d’application : c’est le cas de la rémunération, pour laquelle aucune évolution n’est cependant annoncée, de la santé et la sécurité au travail, ou encore des modalités de calcul et d’acquisition des prestations sociales. Sur ces questions pourtant fondamentales, il est donc à craindre que les décisions se prendront sans débat ni concertation. Au-delà du cadre juridique, c’est par ailleurs l’organisation du travail en détention dans son ensemble qui doit être revue pour en faire le levier d’insertion promis par le gouvernement. Pour cela, il faudrait proposer une offre de travail qualitative et non seulement quantitative, articuler travail et formation professionnelle, développer l’activité par l’insertion économique, etc. Des objectifs qui nécessitent des moyens humains et financiers. Et donc une révision des priorités budgétaires : pour 2021, le budget de l’administration pénitentiaire prévoit 556 millions d’euros d’investissement immobilier pour la construction de nouvelles prisons ; 91 seulement sont dédiés aux politiques de réinsertion, dont 44,7 pour le travail en détention et 14,5 pour la formation professionnelle.
Par Cécile Marcel
(1) Voir notamment « Travail en prison : une mécanique archaïque », Dedans Dehors n°98, OIP, janvier 2018.