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« Adieu Baumettes » : retour sur une opération de communication

Alors que le bâtiment historique de la prison des Baumettes, fermé en 2018, doit être bientôt détruit, l’administration pénitentiaire en propose la visite, cet automne, dans le cadre de l’opération « Adieu Baumettes : d’une prison à l’autre ». Une forme de tourisme carcéral qui, s’il permet d’accéder à un lieu habituellement impénétrable, présente une image bien éloignée de la réalité. Contrepoint de l’OIP, qui a pu se glisser dans un groupe de visiteurs.

Une fois passé le sas d’entrée, nous sommes accueillies par un grand poster : « Des fantasmes sur la prison ? Tout le monde en a. » Dont acte. Nos guides se présentent : un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, un ancien surveillant et le directeur adjoint des services pénitentiaires de la Direction interrégionale (DISP) de Marseille. Ces visites sont organisées principalement dans l’objectif de « rendre hommage au personnel pénitentiaire, qui a travaillé dans des conditions extrêmement dures durant des années », nous expliquent-ils. Le but de l’opération est clair : revaloriser l’image de l’administration pénitentiaire aux yeux du public et attirer de nouvelles recrues. Pas un mot donc sur la « violation grave des droits fondamentaux » des personnes détenues, dénoncées par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) à l’issue de sa visite de l’établissement en 2012. Le constat avait pourtant suscité une vive émotion : rats qui pullulent, sols recouverts de détritus, douches cassées et crasseuses, absence de cloisons d’intimité dans les toilettes, carence d’eau potable, réseau électrique déficient, coursives et cellules inondées à chaque averse… Le tout exacerbé par un taux de surpopulation dramatique, une pénurie d’activités et une situation de violence généralisée. Rien de tout cela ne sera abordé pendant la visite.

La visite n’a pas encore réellement démarré que les premières questions fusent. « Les détenus ont-ils accès à des occupations ? » demande un sexagénaire. Sourire aux lèvres, le conseiller répond : « Oui bien sûr ! L’Éducation nationale propose des cours, ils ont également accès à des activités, à des formations, ainsi qu’au travail. » Et précise : « Enfin, quand ils le souhaitent », laissant entendre que tous ne saisissent pas ces nombreuses opportunités… Le bilan du CGLPL était pourtant, sur ce point aussi, peu reluisant : « Compte tenu de la faiblesse du nombre de postes de travail et de l’offre d’activités éducatives socioculturelles et sportives, la plupart des personnes détenues passent leur journée en cellule ou en cour de promenade. » Le taux d’emploi à la maison d’arrêt des hommes était alors de 10,4 %, pour un salaire mensuel moyen oscillant entre 175 et 213 euros(1). Au bâtiment A, qui accueillait 606 détenus au moment de la visite des contrôleurs, l’enseignement n’était assuré que par trois enseignants à temps plein et un professeur vacataire.

La visite commence. Le groupe s’engouffre dans le bureau du greffe, où ont lieu les premières formalités à l’arrivée des personnes écrouées. Désignant un coffre-fort, le directeur précise que c’est là qu’étaient gardés les effets personnels des détenus interdits en détention : « Certains d’entre eux pouvaient avoir des milliers d’euros sur eux ! » Ou comment entretenir les fantasmes… Car si à n’en pas douter, cela a pu arriver, pourquoi passer sous silence qu’une majorité des personnes incarcérées sont issues de milieux défavorisés et en situation de grande précarité ? User de ce stéréotype pose d’autant plus problème que le coût de la vie en détention est présenté ici comme particulièrement avantageux. Ainsi, quand un visiteur demande s’« il y a une boutique en prison », le directeur explique le principe de la cantine et du compte nominatif. Et précise : « Contrairement à ce que l’on dit, les prix ne sont pas plus élevés en détention qu’à l’extérieur. Ils sont même plus bas. La télé, par exemple, ne coûte que 8 euros par mois. Essayez de trouver moins cher ailleurs ! » Là encore, on est loin de la réalité. De manière générale, si certains produits proposés à l’achat en détention sont en effet moins chers qu’à l’extérieur, la plupart sont au même prix, voire plus chers. La vie en prison, dans son ensemble, est coûteuse : à la nécessité de compléter les produits alimentaires et d’hygiène fournis par la prison et à la location de la télé s’ajoutent celle du réfrigérateur, d’une éventuelle plaque chauffante, les frais de téléphone – qui fonctionnent encore avec une tarification à l’unité –, ceux de la buanderie… En tout, le coût de la vie en prison a été estimé par un rapport sénatorial à 200 euros par mois minimum, il y a plus de dix ans. Des frais difficiles à supporter quand les seules sources de revenus des détenus sont les mandats envoyés par la famille ou, pour les plus chanceux, un travail dont la rémunération dépasse rarement les 200 euros par mois. Les visiteurs se remettent en marche. Le long du couloir central sont exposés différents objets fabriqués par les détenus. Si certains témoignent du système D qui règne en détention (un mixeur artisanal, par exemple), l’accent est principalement mis sur la dangerosité : couteaux, cachettes à lames dans les chaussures, outils d’évasions… Le portrait-type du détenu est achevé : oisif, parfois riche, souvent violent et dangereux.

Nous pénétrons dans le quartier arrivants, le seul qui sera ouvert au public. Tous les efforts sont mis pour créer une ambiance carcérale. Un bruit de fond, cris et portes qui claquent, est diffusé. L’ancien surveillant qui guide la visite renoue avec son métier. Il agite à tout bout de champs son trousseau de clés aux oreilles de visiteurs et s’écrie « PROMENADE ! », « RÉINTÉGRATION ! ». Mais la ressemblance s’arrête là. L’état des cellules présentées est à des années-lumière de celui qu’ont connu la plupart des détenus qui ont séjourné aux Baumettes. Les douches et les parloirs ne sont quant à eux pas accessibles aux visiteurs. Les cellules que nous visitons ne sauraient être plus différentes des photos diffusées par le CGLPL en 2012.

À gauche, les Baumettes en 2012 ; à droite, les Baumettes présentées au public en 2019 avant leur destruction. © Grégoire Korganow/CGLPL · © OIP-SF

Tout au long de la visite, le temps utilisé est le passé : « C’est ici qu’ils donnaient leurs empreintes », « c’est ici qu’ils étaient fouillés »… Un ton qui laisse un sentiment étrange, comme si nous visitions une institution tombée en désuétude, un vestige des temps anciens depuis longtemps hors d’usage. Les parents prennent leurs enfants en photo dans les cellules, ou en train de laisser leurs empreintes digitales sur la borne. Comme on laisserait les enfants jouer aux petits soldats dans les châteaux moyenâgeux. On en oublierait presque que, à quelques centaines de mètres de là, plus de 1000 détenus vivent dans les nouveaux bâtiments des Baumettes, déjà surpeuplés(2), déjà dégradés(3).

par Charline Becker 

(1) CGLPL, Rapport de visite des Baumettes, 2012.
(2) Au 1er juillet 2019, le taux d’occupation au quartier maison d’arrêt des hommes était de 145 %.
(3) OIP, « Bilan un an après l’ouverture des Baumettes 2 : une prison low cost déjà dégradée », communiqué du 14 mai 2018.