Free cookie consent management tool by TermsFeed

La CNCDH en première ligne

Président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Joël Thoraval est venu mettre en perspective le travail des États généraux, en rappelant les principes et les missions poursuivies par l’instance à laquelle il appartient en matière de protection des personnes détenues.

« […] Je voudrais, en tant que Président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, ouvrir mon propos en insistant d’emblée sur trois points : – saluer à mon tour l’utilité et le caractère novateur de notre rencontre qui associe de manière étroite et transversale tous les acteurs concernés par la situation actuelle et l’évolution de la condition pénitentiaire en France. C’était un défi. Il a été relevé. Il ouvre des voies fécondes. – me réjouir de la place occupée par la CNCDH dans le processus de conception et de réalisation de ces États Généraux. Ce rôle tient à la force de conviction et au capital d’expérience de ses membres, toujours mobilisés lorsque la dignité de la personne humaine est en cause. – préciser que, pour l’avenir, la CNCDH entend poursuivre sa réflexion sur la condition pénitentiaire avec le souci d’ouvrir de nouveaux chantiers et d’élargir la réflexion. En un mot elle souhaite faire preuve de vigilance, consolider les chantiers en cours et tracer de nouveaux sillons. Dans cette ambitieuse perspective, la CNCDH s’oriente dans deux directions fondamentales : d’une part changer notre regard sur la condition carcérale en nous questionnant sur le sens de la peine et en le replaçant dans le cadre de l’ensemble de la société ; d’autre part mettre en œuvre les recommandations déjà exprimées et poursuivre les chantiers déjà identifiés afin de les situer au sein d’une réforme progressive, transversale et pluridisciplinaire, globale et profonde.

« changer notre regard sur la réalité du monde carcéral »

Le premier grand préalable est de changer notre regard sur la réalité du monde carcéral dans le monde d’aujourd’hui. Ce regard est encore obscurci par une longue histoire qui remonte du fond des âges sur la représentation que la société se fait du prévenu, du délinquant et du criminel. […] La réalité c’est que la condition pénitentiaire, qui a longtemps été le parent pauvre de l’État dans ses attributions régaliennes et qui a été considérée comme une simple branche du droit pénal, est aujourd’hui plantée au centre des problèmes de notre société. Mieux même elle est le reflet, le miroir, la traduction des dysfonctionnements de cette société. […] Ce que nous observons, c’est qu’aujourd’hui, on ne peut pas évoquer le monde carcéral sans avoir présent à l’esprit, presque comme une obsession, les problèmes liés à l’exclusion et à la précarité, à la santé et à la psychiatrie, au chômage et à l’emploi, à la famille et aux mineurs, à l’immigration et aux discriminations de toute nature. Ces considérations illustrent bien la nécessité de changer de regard pour aborder la réflexion sur la condition pénitentiaire aujourd’hui. La prise de conscience de cette mutation profonde et dérangeante conduit inéluctablement à une approche renouvelée du sens de la peine. […] Les recommandations du Conseil de l’Europe et l’action du Comité de prévention de la torture vont bien dans le même sens, si bien que la Commission présidée par M. Canivet pouvait en conclure : “Ces recommandations ou déclarations ne remettent pas fondamentalement en cause la réalité de l’enfermement. Elles affirment seulement que la peine n’a plus une fonction expiatoire, mais répond à la réinsertion sociale que la société attend pour sa sécurité en conciliant nécessité de punir et volonté de réinsérer socialement“. Et le rapport ajoute : “Pour résoudre le paradoxe qui consiste à réinsérer une personne en la retirant de la société, il n’y a d’autre solution que rapprocher autant que possible la vie en prison des conditions de vie à l’extérieur, la société carcérale de la société civile“. Les choses sont ainsi magistralement dites dans leur double dimension : le détenu a droit au respect de sa dignité en prison et ce respect est gage d’une authentique et efficace démarche de réinsertion sociale après sa libération. […]

« donner un sens à la privation de liberté »

La CNCDH s’est longuement penchée sur l’analyse des améliorations à apporter à la condition carcérale. […] La première préconisation est de “sortir“ la prison de l’exception juridique et d’appliquer le droit commun durant la période de détention, à l’exception bien sûr de la “liberté d’aller et venir“. Seule la loi peut fixer le cadre juridique organisant l’usage des libertés. Une personne incarcérée est et demeure une “personne humaine“ à part entière dont les droits fondamentaux ne peuvent être méconnus. Elle reste également un “citoyen“ exclu de toute mise à l’écart systématique de la société. La prison ne doit pas être vécue comme une éviction. Elle est aussi un “justiciable“ bénéficiant des droits procéduraux. Elle est enfin un “usager“ pouvant se prévaloir d’un certain nombre de services administratifs. Ces quatre degrés dans la qualification du rapport à l’État conduisent à une nouvelle formulation des missions du service public pénitentiaire. La fonction essentielle de ce dernier est la restauration du lien social, la préparation du détenu à sa libération tandis que les mesures de sécurité doivent être strictement limitées au nécessaire et non dans un esprit d’absolue primauté. […] Au-delà de la préoccupation de “sortir“ la prison de l’exception juridique et dans le même esprit, la CNCDH a formulé une deuxième préconisation : le respect des principes du droit répressif dans les établissements pénitentiaires. […] Par ailleurs, notre Commission a insisté sur la nécessité de mieux proportionner les sanctions aux fautes disciplinaires en évitant des rigueurs excessives. […] On voit ainsi, chemin faisant, se profiler les grandes lignes d’un nouveau paysage pénitentiaire interpellant les responsables de tous horizons et apportant un éclairage nouveau en direction d’une opinion publique encore incrédule et même hostile. L’incarcération d’une personne fait naître une responsabilité particulière à son égard à la charge de l’État et de la société. Pour que cette obligation puisse être respectée il faut non seulement donner un sens à la période de privation de liberté, mais également reformuler de multiples dispositions normatives. Il s’agit d’orienter les prises de décisions réglementaires et individuelles dans un sens respectant les droits fondamentaux de la personne. […] Je formule le souhait, certains diront le rêve, que la France qui, il est vrai, a pris le grand retard que l’on sait dans la gestion de la condition pénitentiaire et qui est citée souvent comme donnant un contre-exemple, prenne enfin résolument en main ce vaste problème de société, justifiant ainsi son attachement historique aux droits de l’homme. Déjà, en France, des progrès importants ont été accomplis. Ils sont dus à “ceux qui y croient“, à ceux qui mobilisent leur potentiel au sein des institutions et de la société civile. Je ne doute pas que les États Généraux de la condition pénitentiaire, qui se sont tenus aujourd’hui, ne soient une étape décisive dans cette voie. »


Conseil de l’Europe : un rôle déterminant

À l’image de Joël Thoraval, Marc Nève, avocat et membre du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, a accepté l’invitation faite par les États généraux de la condition pénitentiaire à venir expliquer le travail de son instance, et plus largement de celui du Conseil de l’Europe, en matière de droits des détenus. Il a ainsi mis « en évidence quelques aspects essentiels de ce contrôle international », de ce « regard étranger sur la condition pénitentiaire », et notamment la jurisprudence de la Cour européenne, les recommandations et résolutions du Comité des ministres, les rapports du Commissaire aux droits de l’homme et, bien sûr, le travail de son Comité, « l’un de ses organes les plus récents et sans doute le plus original ». Autant d’instances dont « l’influence […] s’est toujours affirmée davantage », qui font que la France « est aujourd’hui sans cesse appelée à s’expliquer, voire à se justifier » et dont le travail « a été déterminant dans les réformes qui voient enfin le jour dans nombre d’États européens », « en ce qui concerne tout à la fois les garanties à mettre en place mais aussi et surtout les lignes de force à donner au contenu du droit pénitentiaire ». Il a aussi cependant rappelé le caractère « limité » de la démarche, dans un contexte où « aujourd’hui plus que jamais, et tant en France qu’ailleurs, le recours à la prison connaît un regain porté par des politiques pénales se caractérisant par un tour résolument punitif ». Ainsi, conclut-il, « évoquant ou suggérant des réformes, cette perspective à caractère international peut apparaître comme étant de nature à répondre à la crise de légalité caractérisant la privation de liberté et l’exécution des peines privatives de liberté, mais elle laisse bien entendu sans réponse la crise de légitimité de la prison ».