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La difficulté de rester mère

Lorsque l’enfant atteint les dix-huit mois vient le temps de la séparation, comme pour toutes les autres mères – et pères – détenues. Dans le contexte de la détention, difficile de préserver le lien avec ses enfants.

« Pour moi, c’est beaucoup de stress car j’ai laissé trois enfants dehors : le plus jeune avait un an au moment de mon incarcération », témoigne une femme auprès de l’OIP. Comme elle, 42 % des détenues sont mères à leur entrée en prison(1) et pour ces femmes, en règle générale, incarcération rime avec séparation(2). Une rupture d’autant plus douloureuse que celle-ci « est rarement prévue et survient dans un contexte assez souvent traumatisant, lorsque l’interpellation a lieu devant eux [les enfants] par exemple », observe Béatrice Carton, médecin cheffe de l’unité sanitaire de la maison d’arrêt de Versailles et présidente de l’Association des professionnels de santé exerçant en prison. « Des fois, ils n’ont même pas pu se dire au revoir. C’est très violent », poursuit-elle. Une fois en prison, il peut se passer plusieurs jours avant que les mères ne puissent joindre leur enfant. Quant aux permis de visite, ils mettent parfois plusieurs semaines à arriver. « Il y a une espèce de moment comme ça, où personne ne sait ce qui se passe d’un côté ou de l’autre. Des enfants qui se font beaucoup d’idées, des mères qui culpabilisent énormément de les avoir, entre guillemets, abandonnés », complète le médecin.

Enfants placés, des difficultés redoublées

Les données officielles manquent mais aux dires des professionnels, les enfants de détenues sont très fréquemment placés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Dans ces cas-là, il peut se passer plusieurs mois – « parfois jusqu’à six mois », témoigne l’avocate Georgia Moreau-Bechlivanou – avant que mères et enfants puissent se voir au parloir, « alors même que le juge a accordé le droit de visite », souligne une psychologue. En cause, des problèmes d’organisation au sein des services, parfois redoublés par la frilosité de certains acteurs sociaux, « qui ont des représentations erronées sur les personnes détenues », précise la soignante. « Souvent, les éducatrices nous disent qu’elles n’ont pas le temps, qu’elles ont d’autres priorités. Une fois, alors que la juge avait ordonné que l’enfant soit présenté une fois par mois à sa mère, l’ASE ne l’a plus amené pendant deux, trois mois. On m’a dit que l’une était partie en vacances et que l’autre s’était cassé une jambe… Mais ce n’est pas à cette mère et à son enfant de faire les frais de ces problèmes de ressources humaines ! », s’insurge Georgia Moreau-Bechlivanou. Il peut aussi arriver que ce soit l’autre parent qui fasse obstacle, comme en témoigne Aurélie, détenue à Joux-la- Ville. « J’ai deux fils. Je ne les vois pas car leur père refuse de faire le trajet malgré le jugement du juge des affaires familiales et trois plaintes pour non-présentation d’enfant (classées sans suite). »

Au-delà de la séparation physique, « les femmes n’ont plus accès à tout ce qui concerne leur enfant, à ce qu’il vit, que ce soit au niveau de la santé, ou de l’école. Elles ne sont pas consultées sur les décisions importantes à prendre, alors même qu’elles ont conservé l’autorité parentale », déplore Laetitia Léger, qui a décidé d’organiser, à la maison d’arrêt de Versailles, des temps collectifs avec un juriste pour aider les femmes à connaître et faire valoir leurs droits parentaux. Et les conditions dans lesquelles se déroulent les visites ne sont pas forcément propices à la restauration d’une relation éprouvée par la séparation. « Les rencontres ont lieu sur des temps contraints et limités, dans un lieu artificiel, fait pour ça. Tout cela, forcément ça malmène le lien », regrette encore la psychologue. Quant au téléphone, il n’est généralement accessible que jusqu’à 17h30, heure à laquelle les enfants ne sont pas toujours rentrés de l’école. Particulièrement touchées par le problème d’accessibilité des points phone : les femmes originaires de Guyane ou d’ailleurs en Amérique du Sud, dont les enfants sont restés « au pays » : « Le prix des appels est un problème, mais le décalage horaire, c’est un obstacle insurmontable », explique Béatrice Carton. Il arrive aussi que des femmes renoncent à occuper une place dans la vie de leurs enfants. « Certaines se disent : “Ma peine est longue, donc je vais couper les liens parce que je leur fais plus de mal qu’autre chose en leur imposant ça” », témoigne la médecin-cheffe. D’autres choisissent de cacher à leur enfant leur incarcération, se privant ainsi de les voir, et « demandent à l’entourage de leur dire qu’elles sont parties loin travailler, ou alors qu’elles sont à l’hôpital. Mais pour les enfants, ne pas pouvoir les voir, avoir des nouvelles, c’est extrêmement angoissant. » Pour aider les femmes à entretenir ou restaurer le lien, les psychologues de l’unité de sanitaire de la maison d’arrêt de Versailles proposent des consultations de guidance parentale. Et ont mis en place un projet original, en partenariat avec l’Éducation nationale : « Régulièrement, les mères enregistrent des contes, qui sont envoyés aux enfants à l’extérieur. Comme ça, ils ont l’histoire du soir racontée par leur maman, raconte Béatrice Carton. Entendre la voix de sa mère, ça rassure l’enfant. Ça lui prouve qu’elle existe bien, qu’elle est toujours là. »

Par Laure Anelli

(1) D’après le fichier national des détenus de 2002, cité par Coline Cardi : « Le contrôle social réservé aux femmes : entre prison, justice et travail social », Déviance et société, 2007/0, vol. 31.
(2) Théoriquement, la loi permet aux femmes qui le souhaitent d’être incarcérées avec leur nouveau-né et de le garder auprès d’elles jusqu’à ses dix-huit mois, notamment dans les cas où celui-ci est encore allaité. En pratique, rares sont les femmes à user de ce droit.

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