Édito. Par Cécile Marcel, directrice de l’OIP-SF.
Ce 9 octobre 2021, la France fête les 40 ans de l’abolition de la peine de mort. Un événement fondateur qu’il importe évidemment de célébrer mais qu’on aurait tort d’acter d’un simple autosatisfecit. « L’abolition nous confronte à un autre problème, qui n’est pas un problème de sang, de mort, mais qui n’en préoccupe pas moins nos consciences et notre sensibilité, c’est celui des personnes condamnées à de très longues peines », rappelait récemment Robert Badinter, artisan de cette abolition. Aujourd’hui, 500 personnes sont condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité dans les prisons françaises. Plus généralement, la France se distingue par un cadre légal qui prévoit des peines tellement longues qu’elles en perdent tout sens, comme l’expriment régulièrement les personnes qui travaillent auprès des condamnés : pendant les dix premières années, il leur est encore possible d’évoluer, de construire un projet, de mener une réflexion sur les actes qu’ils ont commis et comprendre la sanction ; au-delà, c’est souvent peine perdue faute de pouvoir se projeter dans un avenir autre que carcéral. S’ensuit, pour beaucoup, une dégradation psychologique, mais aussi physique : la vue qui décline, la perte du goût, de l’odorat, des repères spatio-temporels, etc. À tel point que certains finissent par n’être plus adaptés à toute vie en dehors de la prison. Et pour ceux qui sortent un jour, on a multiplié, ces dernières années, les possibilités de leur imposer à leur libération des mesures de sûreté susceptibles d’entraver encore leur réinsertion. Ainsi, la peine de mort a certes été abolie, mais on l’a remplacée par des peines infinies, qui s’inscrivent clairement dans une perspective de neutralisation de certains individus et ne constituent rien d’autre qu’une forme de « mort sociale ».
Au-delà du sort de ces « longues peines », les célébrations du moment devraient nous inciter à nous interroger sur le fonctionnement de l’ensemble du système carcéral, à l’heure où la France est condamnée pour l’indignité de ses conditions de détention. Car comment se réjouir d’avoir aboli la peine de mort, d’avoir aboli la torture, quand, tous les jours dans les prisons françaises, des milliers de personnes continuent d’être soumises à des traitements inhumains et dégradants ?
Édito de Dedans Dehors n°112.