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L’engagement sur parole

« Nous commençons un combat », a prévenu Henry Leclerc le 14 novembre, lors de la journée de clôture des États généraux. Atteindre l’objectif qu’ils se sont donné nécessitait en effet de ne pas se satisfaire de la consultation et de ses résultats, aussi importants soient-ils, mais de poursuivre la tâche afin de susciter un engagement fort des candidats, mobiliser l’ensemble des pouvoirs publics, impliquer la société civile et déboucher sur un débat national.

Dans leur déclaration finale, les États généraux ont décidé de soumettre leur principe à l’appréciation des candidats à la présidentielle « de sorte à susciter de leur part un engagement personnel de réformer profondément le régime des prisons en France », ainsi qu’aux députés et sénateurs, et au pouvoir exécutif. Ce dernier, en la personne de Pascal Clément, a cependant réagi à la démarche des États généraux avant même la publication des résultats de la consultation, en multipliant les annonces, tel que la mise en place d’un contrôle extérieur ou l’application des règles pénitentiaires européennes dans les prisons françaises (lire p.68). La transformation de la condition carcérale demandée au travers du questionnaire appelait cependant une autre réponse et non pas, comme l’expliquait Robert Badinter le 20 octobre, « un bricolage, rapidement, pour dire que l’on a fait quelque chose in extremis ». C’est pour cela que, depuis le départ, les États généraux ont inscrit leur démarche dans la campagne présidentielle, convaincus que c’est dans un tel moment que se jouera le sort d’une réforme, grâce à une sensibilisation de l’opinion publique et un engagement fort des candidats.

les candidats s’engagent

Au lendemain du 14 novembre, la déclaration finale a été envoyée aux candidats à la Présidence de la République, en leur demandant de prendre position sur les principes de réforme contenus dans le texte et, le cas échéant, de s’engager à les mettre en œuvre. Il leur était demandé d’y répondre par un court texte, avant le 22 décembre. Si un seul a respecté ce délai, tous les candidats sollicités ont finalement répondu, à l’exception de Philippe de Villiers. Ces réponses ont été rendus publiques le 16 janvier 2007, lors d’une conférence de presse au Sénat. Sept candidats sur neuf ont signé sans réserve la déclaration qui leur était soumise : François Bayrou, Olivier Besancenot, Marie-George Buffet, Arlette Laguiller, Corinne Lepage, Ségolène Royal et Dominique Voynet (p.70). Deux candidats ont préféré se démarquer de la démarche qui leur était proposée. Il s’agit de Jean-Marie Le Pen, « dont les réponses attestent d’un rejet catégorique des principes de réforme proposés par les États généraux », et de Nicolas Sarkozy (p.78). « Refusant de souscrire à l’ensemble des engagements qui lui étaient soumis, [le candidat de l’UMP] rejette tout renversement de perspectives ». Une réponse « regrettable » donc, pour tous ceux qui espéraient « que le fait de regarder en face la situation de nos prisons ne pouvait que conduire à une réponse d’ensemble, à hauteur du mal ». Malgré cela, l’engagement commun de la plupart des candidats, appartenant à des partis politiques différents, à droite comme à gauche, « est un événement dont il faut mesurer la portée », parce qu’ « il marque la constitution d’un large consensus démocratique et républicain sur le diagnostic posé sur notre système carcéral et sur les fondements de la réforme à accomplir » et dénote de « l’adoption, par des candidats venus d’horizons très différents, d’une volonté claire de rupture avec le fonctionnement actuel de nos prisons, dont les conséquences désastreuses à la fois pour les prisonniers et pour le personnel pénitentiaire ne sont pas contestées ».

faire œuvre de pédagogie

Pour autant, les États généraux ont tenu à souligner, lors de la conférence de presse rendant compte des réponses, que cet « engagement inédit de la majorité des candidats ne marque pas la fin de notre travail ». Ainsi, « point par point, les États généraux veulent, au fil des campagnes électorales présidentielle et législative, illustrer le sens de ce qu’ils proposent par contraste avec la situation actuelle et montrer que ces transformations seront bénéfiques tant pour les personnes détenues que pour tout ceux qui travaillent en prison et pour la société dans son ensemble. » Des débats sont également, dans la même optique, organisés en régions depuis le 14 novembre. Le premier a eu lieu à la maison des avocats à Pontoise, en région parisienne, le 20 novembre. Commençant par une présentation de la démarche des États généraux et du contenu de la réforme, il s’est prolongé par trois heures de discussion avec les personnes présentes dans la salle. D’autres ont suivis, et suivront encore, à Bobigny, Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Saint-Étienne, Toulouse, Versailles, etc. Avec, à chaque fois, l’opportunité pour les organisations participantes de restituer la parole recueillie lors de la consultation, de faire entendre leurs propositions de réforme et la nécessité pour tous de la mettre en œuvre, et faire ainsi un « travail permanent de pédagogie ». À cela s’ajoutent des interventions des États généraux lors de rencontres plus spécifiques, comme aux 3èmes rencontres parlementaires, au colloque organisé le 12 janvier par le groupe Mialet sur la justice ou encore à l’École nationale de la magistrature. Dans ce lieu en effet, une projection-débat autour de « La honte de la république », un documentaire diffusé par Canal + en soirée de la journée de clôture, a été organisé le 11 décembre. 74 minutes au cours desquelles, du moins peut-on l’espérer, la centaine d’auditeurs de justice présents, soit un tiers de la prochaine promotion de magistrats, aura été amené à réfléchir au sens des peines d’emprisonnement qu’ils seront amenés à prononcer dans l’avenir.

débattre encore et toujours

Ces rencontres sont en effet aussi l’occasion de prolonger la discussion avec les acteurs du monde pénitentiaire, visiteurs, avocats, magistrats, mais aussi, et peut-être surtout, avec les personnels de l’administration pénitentiaire, qui ont répondu faiblement à la consultation. Cela a été le cas dans plusieurs villes, et notamment à Nancy où étaient présents, non seulement les partenaires des États généraux, mais également la nouvelle directrice et un lieutenant de la maison d’arrêt, ainsi que le responsable du service pénitentiaire d’insertion et de probation. Chacun tenant à faire entendre leur voix et prolongeant ainsi localement la prise de parole inédite de la consultation. Autres invités : les hommes et femmes politiques, et notamment les candidats à la présidentielle ou aux élections législatives, ou des membres de leur équipe de campagne. Comme à Lyon par exemple, où étaient présents le responsable de la commission Justice des Verts Henri Balmain, la sénatrice socialiste et vice-présidente du conseil régional de Rhône-Alpes Christiane Demontès, ou encore le député UMP Georges Fenech, qui a tenu à expliquer qu’à son avis la moitié des personnes incarcérées n’avaient rien à faire en prison ! Ainsi, ces débats sont l’occasion d’interpeller encore et toujours. Car, malgré les engagements obtenus, les États généraux ont bien l’intention de se montrer « attentifs sur la manière dont les différents candidats, au travers de leurs programmes respectifs, entendent les mettre en œuvre. Cette vigilance des États généraux étant appelée à se poursuivre au lendemain des différentes élections ». Pour autant, les États généraux sont convaincus que les responsables politiques seront, une fois n’est pas coutume sur ce sujet, au rendez-vous de l’histoire. Parce que, comme l’a souligné Robert Badinter le 14 novembre, « l’histoire enseigne que dans le bilan d’un Président figure toujours au premier rang les actes d’humanité qu’il ou elle aura eu à cœur d’accomplir ». Parce que surtout les principes contenus dans la déclaration répondent à l’intérêt des uns et des autres. Parce que n’ont rien à y perdre, et même ont tout à y gagner, les personnes détenues comme les personnels de l’administration pénitentiaire ou les personnes qui interviennent en détention, et, plus globalement, la société. Cette société dont on sait qu’elle demande avant tout, à ce que les personnes qui ont commis des infractions soient mises en situation, pour reprendre l’expression des Règles pénitentiaires européennes, de mener « une vie responsable et exempte de crime ».

Par Jean Bérard et Stéphanie Coye