Free cookie consent management tool by TermsFeed

Les conditions d’élaboration de la réforme

Selon la formule de l’éditorial du Monde daté du 21 octobre 2006, “le passé ne plaide pas pour l’avenir“.

En 2000, alors qu’une fenêtre de réforme s’était ouverte, suite à la publication du témoignage de Véronique Vasseur sur la prison de la Santé, de la remise du rapport sur l’amélioration du contrôle extérieur des prisons par la commission présidée par Guy Canivet et de la remise de deux rapports de commissions d’enquête parlementaire, le gouvernement de l’époque n’a pas mené à terme le chantier initié visant à l’élaboration d’une loi pénitentiaire. L’Assemblée élue en 2002 a voté, en annexe de la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, l’engagement d’une présentation d’une loi d’orientation pénitentiaire. Le gouvernement a par la suite exclu une telle perspective dans le cadre de la réponse qu’il a apportée à l’Étude sur les droits de l’homme dans la prison adoptée par la CNCDH en mars 2004. C’est pourquoi, outre ce qui relève du contenu propre de la réforme, les États généraux, tirant les enseignements de la période récente, formulent quelques “éléments de méthode“ pour ce qui est de son élaboration. Plusieurs principes doivent présider à l’élaboration de la réforme. D’abord, elle doit faire l’objet d’un calendrier précis, pour être mise en chantier dès l’automne 2007 et pouvoir être soumise à la discussion du Parlement avant l’été 2008 ou, au plus tard, à l’automne de la même année. La “reconstruction juridique de la société carcérale“ (pour reprendre les termes du rapport de la commission Canivet) implique préalablement “de reprendre l’ensemble des règles actuelles, d’en étudier la pertinence, de déterminer leur niveau juridique dans la hiérarchie des normes et de fixer les besoins normatifs nouveaux“. Cet aggiornamento regroupant l’ensemble des textes législatifs et règlementaires applicables à la prison nous semble indispensable à l’exercice par le Parlement et le gouvernement de leurs responsabilités respectives. Elle ne saurait être laissée aux bons soins du seul ministère de la justice. Cette tâche devrait être confiée à une “mission interministérielle pour la réforme de la condition pénitentiaire“, conduite par une personnalité “incontestable et incontestée“ et composée des représentants de tous les ministères concernés mais aussi de personnalités qualifiées de la société civile. Cet organe de nature pluridisciplinaire se verrait confi er la tâche de prendre en compte la complexité et la diversité des problèmes posés par une réforme d’ampleur des prisons. Une telle démarche nécessite de prendre en compte des temporalités différentes et de distinguer, parmi les attentes qui ont été exprimées, entre les exigences de réforme immédiate et les objectifs qui ne pourront être mis en œuvre qu’à l’échelle d’une législature.

des mesures immédiates

le respect des droits de l’homme dans la prison

Pour assurer le respect de l’État de droit en prison, la loi doit expressément reconnaître l’ensemble des libertés et droits fondamentaux des personnes détenues, à l’exception de la liberté d’aller et venir. Les règlements intérieurs des prisons doivent être harmonisés et mis en conformité avec les règles de rang supérieur. Un dispositif d’information doit être mis en place pour permettre à chaque détenu de connaître ses droits. Pour assurer le respect de ceux-ci, les personnes détenues doivent pouvoir user de voies de recours effectives et rapides devant les juridictions. D’autre part, un organe de contrôle, extérieur et indépendant, doit être mis en place. Cette instance doit être distincte des autorités chargées des missions d’inspection gouvernementale (au sens de l’article 92 des règles pénitentiaires européennes) ou des missions d’observation et de médiation (selon la distinction proposée par le rapport Canivet). Parce que l’opacité du système carcéral favorise l’arbitraire, les détenus doivent jouir de leur liberté d’expression. D’autre part, de façon à rapprocher les conditions d’existence en prison de celles du milieu libre, des rencontres régulières entre détenus et personnels pénitentiaires doivent être organisées pour échanger sur des questions relatives au fonctionnement de l’établissement. C’est par la mise en place de ce cadre que les droits fondamentaux, dont les cahiers de doléances portent la revendication, pourront être reconnus : Le droit au respect de la dignité humaine implique une limitation drastique du recours à la fouille corporelle, à laquelle doit se substituer le contrôle par des dispositifs techniques de détection. La possibilité pour la personne détenue d’assister à la fouille de sa cellule doit participer à une meilleure reconnaissance du droit au respect de sa vie privée. Les établissements doivent être dotés d’installations sanitaires (douches et toilettes) préservant l’intimité de la personne détenue et en quantité suffi sante. L’atteinte à la liberté d’aller et venir doit aussi être limitée, en assurant aux prisonniers la possibilité de circuler durant la journée au sein de leurs quartiers dans tous les centres de détention. L’accès à un revenu minimal, la garantie de prix comparables à ceux pratiqués à l’extérieur pour les produits de cantine, le prêt gratuit d’un téléviseur, doivent permettre d’assurer des conditions d’existences décentes dans la prison. Enfin, il est nécessaire à cette fin de confi er la présidence de la commission disciplinaire à une personne indépendante de l’administration pénitentiaire et d’assurer un plus grand respect des droits de la défense, en reportant l’audience disciplinaire en l’absence d’avocat.

le contenu du temps passé en prison

Le temps de l’exécution de la peine doit être fortement investi pour préparer le retour dans la collectivité. L’action des personnels pénitentiaires, des agents des autres services publics et des intervenants des associations en vue de la préparation de la sortie de prison doit être coordonnée. À cette fin, des réunions pluridisciplinaires doivent être organisées en détention autour du parcours des personnes incarcérées. La collaboration entre le personnel de surveillance et les travailleurs sociaux doit être effectivement développée. Tous les intervenants extérieurs doivent pouvoir travailler en commun avec les personnels de l’administration pénitentiaire en vue de favoriser les démarches d’insertion des personnes détenues. La préservation des liens personnels de la personne incarcérée durant sa période de détention constitue un élément clé pour l’équilibre de l’intéressé et sa réadaptation sociale. Tout détenu doit être affecté dans un lieu de détention proche du domicile familial, y compris s’agissant des prévenus. L’obtention des permis de visite doit être facilitée et la fréquence comme la durée des visites doivent être augmentées. Les personnes placées en quartier disciplinaire doivent conserver le droit de rencontrer leur famille. Enfin, en cas de circonstances familiales graves, les autorisations de sortie doivent être systématisées et organisées dans des conditions garantissant la dignité des personnes condamnées et de leurs proches.

la question des soins aux malades détenus

Le respect du principe selon lequel les personnes détenues se voient dispenser des soins d’une qualité équivalente à celle offerte à l’extérieur implique une série de mesures immédiates. La continuité des soins doit ainsi être garantie, en assurant en particulier l’accès au médecin à toute heure du jour et de la nuit, y compris le week-end. Les prescriptions médicales et les régimes alimentaires spécifiques doivent être respectés. Dans le même sens, le droit disciplinaire doit prendre en compte l’état de santé des personnes détenues. Le placement en quartier disciplinaire des prisonniers présentant un risque suicidaire doit être effectivement proscrit. Afin d’assurer aux personnes détenues un niveau de soin comparable aux personnes libres, l’accès à des consultations à l’extérieur de l’établissement doit être développé. À cet effet, des permissions de sortir doivent être plus largement accordées. D’autre part, les conditions dans lesquelles les soins sont dispensés à l’égard des patients détenus doivent être conformes aux principes éthiques fixés par le droit commun. Ainsi, le secret médical doit être pleinement respecté. Lors de la réalisation d’actes médicaux à l’hôpital, l’utilisation de menottes ou d’entraves doit être prohibée. Enfin, la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades a consacré le principe de la suspension des peines des personnes présentant un état de santé durablement incompatible avec la détention ou dont le pronostic vital est engagé. Le contenu originaire de cette loi, modifié par celle du 9 mars 2004 et par celle du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive, doit être rétabli. Il faut affirmer clairement le principe de la prise en charge des personnes très gravement malades hors du cadre pénitentiaire. Le développement de solutions d’accueil institutionnelles est nécessaire, à court terme, pour assurer l’effectivité de ces objectifs.

préparer, anticiper et accompagner la libération

Limiter les effets désocialisant de l’enfermement impose d’abord d’y recourir moins. À cet égard, il est indispensable que la détention provisoire soit inscrite dans un cadre juridique plus restrictif. Il est ainsi nécessaire de supprimer le critère flou du trouble à l’ordre public et de limiter plus strictement les durées maximales de détention avant jugement. Le recours aux permissions de sortir doit être systématisé pour favoriser la préparation du retour à la vie libre. Enfin, pour faciliter leur réinsertion socio-économique, les détenus doivent pouvoir bénéficier effectivement en prison, ou tout au moins dès leur sortie, des prestations et droits sociaux auxquels ils peuvent prétendre (RMI, AAH, CMU-C, documents d’identité…). Les difficultés juridiques que peuvent poser leur domiciliation doivent être réglées pour y parvenir. De même, les obstacles juridiques à l’accès à l’emploi doivent être limités. Tel doit être le cas pour les empêchements d’accès à la fonction publique liés au casier judiciaire. Par ailleurs, il est nécessaire de prévoir une possibilité de dispense d’inscription des fichiers STIC et JUDEX, sur le modèle de l’inscription au bulletin numéro 2 du casier judiciaire. Enfin, les cas dans lesquels l’employeur peut exiger la production d’un extrait de casier judiciaire devraient être limités.

des objectifs pour la législature

D’autres objectifs ne pourront pas être immédiatement réalisés mais doivent constituer le programme de travail d’une législature.

le respect des droits de l’homme dans la prison

L’amélioration des conditions de détention est une des préoccupations majeures qui se dégagent de la consultation. Elle appelle à la fois l’affirmation d’un certain nombre de principes et la mise en œuvre d’un certain nombre de chantiers du point de vue matériel. Les prisons doivent être mises en conformité avec les normes d’hygiène et de salubrité applicables aux établissements accueillant du public. Les conditions matérielles de détention doivent garantir le respect du droit à l’intimité. Ainsi, tout détenu qui le souhaite doit pouvoir loger dans une cellule individuelle. L’échéance du 12 juin 2008 pour parvenir à l’encellulement individuel, fixée par la loi en 2003, doit être respectée. L’hébergement des personnes incarcérées doit être assuré dans des conditions d’hygiène normales. Des conditions minimales de superficie, de chauffage, d’éclairage et d’aération des cellules doivent donc être prévues et respectées. Afin de ne pas exposer les personnes détenues à des confrontations inopportunes, mais aussi afin de favoriser le travail spécifique que justifient la prise en charge des condamnés à des peines moyennes ou longues et celle des condamnés à des courtes peines, le principe de l’affectation en établissement pour peine des personnes condamnées à un emprisonnement d’une durée supérieure à un an doit être effectivement respecté. Pour autant, parce que l’emprisonnement ne doit priver que de la liberté d’aller et venir, les aspects positifs des conditions de vie en centre de détention (portes ouvertes, accès aux télécommunications, etc.) doivent être appliqués en maison d’arrêt. Enfin, rien ne justifie que les personnes détenues ne soient pas protégées par les principes du droit du travail. Le code du travail doit s’appliquer en prison.

le contenu du temps passé en prison

L’amélioration du travail d’anticipation qu’impliquent la réinsertion et la resocialisation des personnes incarcérées nécessite des moyens humains renforcés. Le nombre des travailleurs sociaux doit être notablement augmenté, de même que le nombre des personnes extérieures à l’administration pénitentiaire intervenant en prison. Ce n’est qu’ainsi que pourra être obtenu un renforcement substantiel des possibilités d’accès à des parcours de qualification professionnelle, par le biais d’une formation, d’une activité d’insertion ou d’emploi. De même, ce n’est qu’à cette condition que davantage d’activités sportives et socioculturelles pourront être proposées, comme la consultation en fait apparaître la nécessité. L’accès quotidien à ces activités doit être possible pour tous les détenus. Corollaire de la priorité qui doit être accordée au maintien des liens avec les proches, les conditions de visite en détention doivent être substantiellement améliorées. Le droit à l’intimité des personnes détenues et de leurs visiteurs doit être assuré par la mise en place dans toutes les prisons d’unités de visite familiale. La rencontre avec un proche emprisonné, ne doit pas, comme aujourd’hui, se dérouler dans des conditions dégradantes.

la question des soins aux malades détenus

Les moyens techniques et humains des UCSA et des SMPR doivent être nettement renforcés, pour parvenir à l’objectif de l’équivalence des soins entre le dedans et le dehors. La privation de liberté et la situation pénale des personnes incarcérées les exposent, indépendamment même de leur état de santé mentale avant l’incarcération, à une fragilisation psychologique. La prévention du suicide, telle que recommandée par le rapport de Jean-Louis Terra en décembre 2003, doit, plus encore qu’aujourd’hui, constituer un objectif prioritaire. Les personnels pénitentiaires et intervenants extérieurs doivent y être spécialement formés. Surtout, un soutien psychologique doit être proposé lors des moments à risque de suicide élevé. Les personnes détenues, en raison de leurs origines sociales, accèdent globalement moins que les autres citoyens aux soins. Nombreuses sont les personnes détenues confrontées à des conduites addictives. L’entrée en détention doit être mise à profit pour leur proposer un bilan de santé, et particulièrement un bilan concernant leur consommation de produits stupéfiants, d’alcool ou de tabac. Ce bilan, effectué à titre préventif, dans un but de santé publique et dans l’intérêt du patient, doit rester confidentiel. Enfin, la question de la présence en prison de personnes souffrant de graves troubles psychiatriques nécessite qu’une réflexion approfondie sur les causes de cette situation et les moyens d’y remédier soit menée, de sorte qu’une action résolue et commune aux ministères de la Justice et de la Santé puisse être mise en œuvre pour permettre le transfert vers des structures hospitalières des personnes dont l’état de santé mental est incompatible avec le maintien en détention.

préparer, anticiper et accompagner la libération

Réduire le recours à la détention provisoire impose de développer les mesures alternatives dans le cadre du contrôle judiciaire. Le contrôle judiciaire socio-éducatif, parce qu’il offre des solutions d’aide et de soutien aux personnes poursuivies, de nature à favoriser, avant toute condamnation, une meilleure insertion sociale et la prévention de la récidive, doit faire l’objet d’une attention particulière. Il est nécessaire de renforcer de manière importante les moyens consacrés à ces missions. De même, le développement des aménagements de peine doit faire l’objet d’une politique volontariste. Les placements à l’extérieur, en lien avec des dispositifs d’hébergement et d’insertion sociale, doivent être redynamisés. Des moyens budgétaires suffisants doivent être consacrés à leur développement. Ils constituent une alternative privilégiée pour favoriser l’insertion des personnes condamnées les plus en difficulté. La continuité des prises en charge médicales ne doit pas souffrir du passage en détention. La poursuite de celles engagées ou continuées pendant la durée d’incarcération doit donc faire l’objet d’une attention particulière, surtout en matière psychiatrique ou dans le domaine des addictions. Le contact avec les centres de soins et la prise en charge en milieu libre doivent être organisés en amont de la libération.