Douches « glaciales », matelas « rongés de moisissures », humiliations de la part de surveillants... Les conditions de détention à la maison d’arrêt de Strasbourg-Elsau se sont encore dégradées depuis la première visite du Contrôle général des lieux de privation de liberté, en 2009. Adeline Hazan a déclenché la procédure d’urgence à l’issue d’une seconde visite, du 9 au 13 mars 2015. Ce qui lui a valu sa première passe d’armes avec la garde des Sceaux.
Les conditions de détention portent gravement atteinte à la dignité des personnes et représentent un traitement inhumain et dégradant », indique Mme Hazan. Elle rappelle que « des observations relatives à l’état de saleté des cours de promenade […], à la nécessité de procéder à la rénovation des douches et à rendre le réseau de distribution d’eau chaude opérationnel dans les cellules » avaient déjà été formulées à l’issue d’une première visite, en mars 2009. « Force est de constater que […] la situation n’a guère évolué sur ces points, voire que les conditions de détention se sont dégradées. »
Froid et humidité
« Malgré les travaux effectués, relèvent les contrôleurs, l’eau des douches est glaciale. » Explication de la garde des Sceaux : « Les installations de production d’eau chaude ont été calibrées pour un effectif théorique de 444 personnes ». Ils étaient 720 au 1er mars 2015. Les détenus continueront donc de subir et la promiscuité et l’eau gelée. « Un haut degré d’humidité règne dans les cellules », susceptible de favoriser « différentes pathologies respiratoires et dermatologiques ». S’y ajoute le froid : 17° dans une cellule du quartier mineurs, en pleine jour- née. « Afin d’élever la température à un niveau convenable, beaucoup de personnes maintiennent allumée leur plaque chauffante en permanence, risquant ainsi de provoquer des accidents domestiques tels des brûlures ou incendie. » Au quartier disciplinaire (QD), les contrôleurs ont trouvé « une personne punie, transie de froid », par une température de 14,6°. En état de « crise suicidaire », le détenu avait été revêtu d’une dotation de protection d’urgence: pyjama déchirable et deux couvertures indéchirables, l’une « faisant office de drap ». Réponse du ministère : c’est à cause des détenus qu’il fait froid au QD. Le chauffage est en effet « exclusivement assuré par la distribution d’air pulsé », et ceux-ci bouchent les conduits. Fermez le ban. Quant au recours à la DPU, elle respecte « rigoureusement » la réglementation. C’est vrai. Mais on peut s’interroger sur la nécessité d’infliger un tel traitement à une personne suicidaire, sanctionnée pour la « détention d’un téléphone portable ».
Climat délétère
« La détention est apparue livrée à elle-même », dénonce encore la Contrôleure générale. Il est fait état « de façon récurrente et concordante d’humiliations et de provocations de la part des surveillants ». Les détenus se sont montrés réticents à rencontrer les contrôleurs « par crainte de représailles », et les correspondances adressées au CGLPL « ont manifestement été ouvertes », contrairement aux dispositions légales. Les contrôleurs dénoncent par ailleurs « l’absence de mesures efficaces prises par le personnel pénitentiaire pour préserver l’intégrité physique » d’un détenu craignant d’être agressé par son codétenu. Informé par un soignant, un gradé a demandé à ce prisonnier, « en présence du codétenu mis en cause, des précisions sur les motifs de son inquiétude. […] Le lendemain, la personne concernée indiquait avoir été victime de viol pendant la nuit. » Là encore, Christiane Taubira vient au secours de ses troupes, affirmant que la demande du médecin « ne revêtait pas un caractère d’urgence ». Démenti d’Adeline Hazan : « J’ai les preuves que le médecin a demandé que ce soit fait non seulement en urgence mais aussi dans la discrétion. […] Ce que dit la Chancellerie est inexact. (1) »
Audrey Martins et Barbara Liaras
(1) France Info 13/05/15.
L’homme qui voulait cuire sa mère.
Ce n’est pas un énième épisode de « Faites entrer l’accusé », ni un nouveau roman policier. Mais le livre que vient de publier l’actuelle responsable du service médico-psychologique (SMPR) de la maison d’arrêt de Fresnes, ainsi que de l’unité hospitalière (UHSA) pour détenus de l’hôpital psychiatrique de Villejuif. Magali Bodon-Bruzel y expose une douzaine de cas cliniques rencontrés en prison, tous auteurs de crimes sanglants et atteints de « ce qu’on nomme des pathologies mentales dangereuses ». Un récit qui serait « avant tout un hommage aux patients qui le traversent », leur « souffrance et leur intimité » ayant été « des cadeaux » offerts à la psychiatre « avec une confiance et une sincérité » et qui l’ont « infiniment touchée », peut-on lire dans l’avertissement de l’auteur au lecteur. Malaise. « Afin qu’ils ne soient pas importunés, et par respect du secret qui couvre le travail réalisé avec eux, leurs noms et prénoms, les périodes et les lieux (…) ont été volontairement transformés. » Hormis ces mentions, rien ne semble pourtant couvert par le secret professionnel dans ce livre. Dès les premières pages, l’on pourra ainsi reconnaître « le plus vieux détenu de France » lors de son retour dans une prison d’outre-mer après plus de quarante ans « alternativement en prison et en UMD » (unité de soins pour malades difficiles). Celui-là est mort. D’autres sont bien vivants, telle la renommée Louise, sortie depuis peu en conditionnelle, et que des proches ont facilement reconnue en fin d’ouvrage. Forcément, « une femme qui a coupé son mec en morceaux », ce n’est pas commun. Un dossier pénal grand ouvert, le récit d’une patiente (rencontrée une seule fois) utilisé sans son consentement, un jugement professionnel rap- pelant l’inégalable tonalité des expertises psychiatriques sur l’humain : « Des éléments de manipulation sont repérables, Louise apparaissant peu authentique, détachée, plutôt théâtrale. » Malaise encore, devant la description quelque peu idéalisée de l’UHSA (« Du sur-mesure pour les patients ! ») et plus largement du dispositif de soins pour les détenus : « C’est l’institution qui s’adapte aux patients. » L’ouvrage ne se résume pas pour autant à une appréciation négligente du secret médical. Le Dr Bodon-Bruzel montre l’acte monstrueux, mais aussi la grande souffrance et l’humanité de chacun. De quel droit et avec quelle responsabilité écrire sur ses patients condamnés en les dépossédant de leur parole ? Là est la question.
Sarah Dindo
Magali Bodon-Bruzel, avec la collaboration de Régis Descott, L’homme qui voulait cuire sa mère, Stock, 2015