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Visio-audience : le Conseil constitutionnel ferme la porte des tribunaux

Par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité soutenue par le Syndicat des avocats de France et l’OIP, le Conseil constitutionnel était invité à se prononcer sur la conformité de la visio-audience imposée à une personne en détention provisoire lors de l’examen de sa demande de mise en liberté. Si les Sages ont tranché en faveur du requérant, la victoire est en trompe l’œil.

Comme souvent dans les brèves proposées ici, l’histoire commence en prison. Monsieur Z. N. est mis en examen et placé en détention provisoire. Un jour, il dépose une demande de mise en liberté auprès du juge d’instruction saisi de son dossier. Celle-ci lui est refusée. Monsieur Z. N. interjette alors appel et porte son dossier devant la Chambre de l’instruction, juridiction d’appel de l’instruction. Soucieux de s’expliquer personnellement devant la Cour d’appel, il sollicite son extraction pour cette audience, en vain. Sans recours possible, le Président lui impose de comparaître par visio-conférence depuis son lieu de détention.

C’est une pratique qui se développe depuis quelques années au sein des juridictions. Justifiée ici par des impératifs de sécurité, là par des objectifs d’économies budgétaires, le champ d’application de la visio-audience ne cesse de s’étendre. L’article 706-71 du Code de procédure pénale la prévoit ainsi pour différents actes de l’enquête ou de l’instruction et notamment lors du débat contradictoire préalable au placement en détention provisoire ou à la prolongation de cette mesure. Dans ces deux derniers cas toutefois, la personne détenue dispose de la possibilité de s’y opposer et d’exiger sa comparution physique à l’audience.

En revanche, cette possibilité n’existe pas lorsque la Chambre de l’instruction est saisie dans le cadre d’une demande de mise en liberté, c’est à dire à l’initiative de la personne détenue elle-même(1). Par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), monsieur Z. N. a demandé au Conseil constitutionnel de statuer sur cette disposition qui permet au président de la Chambre de l’instruction de décider seul de recourir à la visio-audience dans pareille situation.

Préoccupation gestionnaire

Ce sujet portant une question de principe, plusieurs organisations, dont le Syndicat des avocats de France et l’Observatoire international des prisons, se sont jointes à cette requête. Quelques mois après avoir considéré qu’il était nécessaire pour le justiciable de pouvoir se présenter devant ses juges lors de son placement en détention provisoire et de ses différentes prolongations(2), il appartenait au Conseil constitutionnel de transformer l’essai et rappeler l’impératif de comparution personnelle devant les juridictions. C’est malheureusement dans une autre direction qu’il s’est engagé dans sa décision du 20 septembre dernier(3)… Si le Conseil (ré)affirme bien « l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique de l’intéressé devant la juridiction compétente pour connaître de la détention provisoire », il estime néanmoins devoir mettre directement en balance cette idée avec les principes de « bonne administration de la justice » et de « bon usage des deniers publics ». Et donc valider l’emploi de la visio-audience comme substitut aux « coûteuses » et « difficiles » extractions judiciaires. Cette pratique devient ainsi, de fait, acceptable, même si ce n’est que dans certains cas. Car c’est bien là l’aspect le plus gênant de la décision : pour les Sages, c’est moins le principe de la visio-audience qui doit être discuté que les conditions dans lesquelles celle-ci est utilisée. Partant, tant qu’une personne détenue bénéficie d’un droit d’opposition régulier à la visio-audience – ce qui est bien le cas lors des prolongations de la détention provisoire –, il importe peu qu’elle lui soit imposée dans d’autres circonstances.

Néanmoins, le Conseil constitutionnel relève que dans certaines situations, « une personne placée en détention provisoire pourrait se voir privée, pendant une année entière, de la possibilité de comparaître physiquement devant le juge appelé à statuer sur la détention provisoire »(4). Lui imposer une visio-audience en cas de refus d’une demande de mise en liberté serait alors, et uniquement dans ce cas de figure très particulier, contraire à la Constitution. C’est pour ce motif qu’il a abrogé une infime partie de l’article 706-71 du Code de procédure pénale – un texte qui n’est en tout état de cause plus en vigueur, la QPC portant sur une rédaction antérieure de l’article modifié depuis par la loi du 23 mars 2019 de programmation de la justice. La déclaration de non-conformité de cet article est alors, pour ainsi dire, sans effet.

Étrangères à leur propre procès

Cette décision ne doit toutefois pas être ignorée, puisqu’elle vient préciser la position de l’institution sur le droit d’une personne détenue à comparaître physiquement devant une juridiction. À cet égard ne nous trompons pas : si le Conseil constitutionnel rejoint – en apparence – la position de Monsieur Z. N., sa décision est loin d’être satisfaisante. Elle vient sacrifier un idéal de procès pour valider une dangereuse logique gestionnaire. Car aussi économique qu’elle soit, la visio-audience coûte(ra) très cher à l’équilibre judiciaire. Les audiences sont des théâtres débordants de symboles. Elles se caractérisent par une unité de temps, de lieu et d’action. L’éloignement des prévenus vient nécessairement et brutalement bousculer cette dramaturgie et leur impose d’inadmissibles conditions d’exercices de leurs droits. Les avocats de la défense sont ainsi confrontés à un choix cornélien : assister leurs clients depuis la détention, sans pouvoir directement échanger avec les magistrats, ou se présenter physiquement devant la Chambre de l’instruction, laissant alors la personne détenue assister seule et à distance au débat sur sa liberté.

En leur refusant le droit d’exiger de comparaître physiquement lors de l’audience d’appel d’une demande de mise en liberté, le Conseil constitutionnel condamne les personnes détenues à devenir étrangères à leurs propres procès. À l’image du Meursault de Camus, elles voient depuis leurs prisons leur liberté traitée « en dehors » d’elles-mêmes. Lui qui on ne peut plus opportunément disait : « Quand il m’arrive quelque chose, je préfère être là »…

par Matthieu Quinquis

(1) Une personne mise en examen, placée en détention provisoire, dispose de la possibilité de demander, autant de fois que souhaité et tout au long de la procédure, sa mise en liberté.
(2) Dans sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel avait censuré une disposition de la loi de programmation de la justice qui empêchait en toutes circonstances à la personne détenue de s’opposer à l’emploi de ce dispositif.
(3) Décision n°2019- 802 QPC du 20 septembre 2019.
(4) En application de l’article 145-2 du Code de procédure pénale, le premier débat aux fins de prolongation du mandat de dépôt n’intervient en matière criminelle qu’au terme d’une année de détention.