Dans le monde invisible de la prison, les femmes sont une minorité pénalisée par sa faiblesse numérique. L’OIP a recueilli des témoignages de femmes détenues et fait le point sur les discriminations spécifiques qu’elles subissent.
Une petite population cantonnée à quelques établissements
En janvier 2016, on comptait 2147 femmes sur 66 678 détenus en France soit 3,2% de la population incarcérée. Deux prisons sont entièrement réservées aux détenues femmes : le centre pénitentiaire de Rennes et la maison d’arrêt de Versailles. La majeure partie des femmes sont donc incarcérées dans des “quartiers femmes” de prisons pour hommes. Sur les 188 établissements pénitentiaires français, 56 sont dotés de ces quartiers spécifiques.
Sur le papier, les conditions de vie des femmes en détention peuvent être perçues comme meilleures que celles des hommes : moins nombreuses, elles ne sont pas aussi exposées aux conséquences de la surpopulation carcérale. Avec 2450 places théoriques pour 2075 détenues femmes, elles semblent mieux loties. Pourtant, ces chiffres masquent d’importantes disparités et la surpopulation est problématique dans les quartiers pour femmes de certaines maisons d’arrêt : à Marseille (104 détenues pour 67 places, taux d’occupation 155%), Mulhouse (35 détenues pour 22 places, taux d’occupation 159%), Nice, Strasbourg…
Un enclavement qui réduit l’accès aux activités
Compte tenu de son petit nombre, la population incarcérée féminine subit des formes de discriminations spécifiques. Le principe de non-mixité régit les établissements pénitentiaires et la stricte séparation des lieux d’hébergement des femmes et des hommes s’accompagne néanmoins en théorie d’une possibilité de participer à des activités mixtes.
Dans les faits, les “quartiers femmes” au sein des établissements qui accueillent des hommes et des femmes sont généralement enclavés, isolés du reste de la détention, ce qui rend l’accès aux différents services – comme les services médicaux, la formation ou les ateliers –plus difficile pour les femmes. En outre, les femmes détenues ne peuvent être surveillées que par des femmes, au contraire des hommes. Dans les centres pénitentiaires où des hommes sont également incarcérés, elles doivent être accompagnées dans tous leurs déplacements.
Nous ne pouvons circuler librement pour nous rendre à l’UCSA [infirmerie], aux parloirs famille ou avocat, ou au gymnase. Nous devons obligatoirement être accompagnées d’une surveillante (…) les détenus du centre de détentention pour hommes se déplacent tous seuls. (…) Et s’il arrive, très fréquemment, que le personnel soit en sous-effectif, ils disent à la personne qui vient nous voir : refus. Et nous, nous attendons sans comprendre.
Extrait d’un courrier d’une détenue, octobre 2014
Pour ces mêmes raisons, les femmes n’ont pas accès à la majorité des activités, d’abord pensées pour le plus grand nombre : les hommes.
On me refuse le travail, faut dire qu’il n’y a que huit places à partager avec la maison d’arrêt pour femmes car la direction ne veut pas que nous allions aux vrais ateliers car nous devons passer devant les hommes. La formation de serveuse est nulle (…) l’occupation principale est ‘boire le café’. (…) Nous n’avons pas accès au terrain de sport, à l’extérieur, car ce dernier est entouré par les cellules des hommes.
Extrait d’un courrier d’une détenue, octobre 2014
Les femmes détenues pâtissent de cette situation discriminante, également fondée sur des stéréotypes de genre (les femmes à la couture, les hommes à l’atelier) et des à-priori sur le comportement des détenus masculins. Pourtant, les intervenants en détention et notamment les enseignants se font les avocats d’un minimum de mixité dans le but de normaliser les relations au sein de la détention et de préparer la sortie des détenus.
Une détenue qui souhaitait suivre des cours de préparation au DAEU (diplôme d’accès aux études universitaires) raconte avoir, dans un premier temps, eu accès à des cours en mixité, qui se “sont toujours très bien passés” avec des professeurs “ravis de ce progrès qui offrait un peu d’égalité hommes-femmes”. Malgré cela, cette détenue n’a pas pu continuer à suivre les cours l’année suivante. Sur huit candidates dans cette prison, seules quatre ont pu continuer les cours en mixité, sans justification, alors que plus aucun cours n’est dispensé au quartier femmes. Cette même détenue poursuit : “Nous sommes si peu nombreuses au Q.F. (environ 30 détenues) qu’il y a des choses dont on ne peut bénéficier, faute de budget, ou parce que [il y a] trop peu de demandes (…) les cours ne sont pas un loisir mais un des rares moyens dont nous disposons pour faire fonctionner notre cerveau et nous cultiver pour construire l’après détention”. Faute d’activités, pour réduire les coûts et par peur de la mixité, la plupart des femmes incarcérées passent la majeure partie de leur temps de détention en cellule.
L’isolement, un fait marquant de la détention au féminin qui fragilise “l’après”
La rupture avec la famille et l’isolement sont davantage constatés chez les femmes incarcérées que chez les hommes, qui parviennent souvent à recevoir un soutien moral et matériel plus important de leurs proches. Un rapport du Sénat évoque des détenues femmes “très désocialisées lors de leur incarcération”, qui ont dû faire face à des “situations de violence conjugales ou familiales” et issues de “milieux défavorisés”. Une détenue du centre de détention de Rennes commente la situation de ses codétenues dans un courrier à l’OIP : “La moitié des enfermées n’ont pas de parloirs ou alors avec un visiteur. Un quart ne savent pas écrire et ne reçoivent pas de lettres”. Autre exemple, au centre de détention de Joux-la-Ville, plus de la moitié des détenues n’ont jamais de visites au parloir.
La localisation géographique non homogène des établissements pour peine recevant des femmes complexifie encore le maintien des liens sociaux ou familiaux. En effet, seuls six établissements en France peuvent accueillir des femmes condamnées à de longues peines : cinq sont dans la moitié nord de la France (Rennes, Bapaume, Joux-la-Ville, Roanne, Poitiers et Marseille). Les familles doivent faire de longs trajets pour des parloirs souvent courts et limités à une demi-journée par week-end. Cela représente un coût financier important auquel s’ajoute le stress de manquer l’heure du parloir, ce qui peut décourager certaines familles à rendre visite aux détenues.
A ces difficultés s’ajoute, dans certains établissements, une discrimination entre les quartiers hommes et femmes concernant le nombre de créneaux horaires proposés pour les parloirs. A la maison d’arrêt pour femmes de Corbas, par exemple, les femmes incarcérées peuvent recevoir la visite de leurs proches sur deux créneaux horaires le mardi matin ainsi que le mercredi et le samedi sur quatre créneaux horaires répartis dans la journée. A la maison d’arrêt pour hommes, toujours à Corbas, il existe dix créneaux horaires par jour, du mardi au samedi. Pourtant, ce n’est pas parce que les femmes sont moins nombreuses que leurs familles sont plus disponibles pour leur rendre visite.
A l’isolement à l’intérieur des établissements, s’additionne donc une désocialisation de femmes détenues qui rendra plus difficile leur sortie (difficultés d’hébergement par de la famille ou des proches, pour trouver un travail…) et fait peser la menace d’une resocialisation dans un milieu criminogène.
La délicate question des droits reproductifs et sexuels
Si les femmes enceintes et les mères d’enfants de moins de 18 mois bénéficient d’un régime de détention aménagé, les autres femmes détenues sont logées à la même enseigne que les hommes en ce qui concerne le droit à une vie de famille, une vie affective ou sexuelle.
Pour rappel, seuls 36 établissements pénitentiaires en France sont aujourd’hui dotés d’Unités de vie familiale (UVF) ou de salons familiaux, lieux uniques où une intimité avec des enfants ou un conjoint – et donc des relations sexuelles – sont en théorie possible. 36 établissements qui n’accueillent pas tous des femmes. Et presque aucune maison d’arrêt n’en est dotée.
D’autres détenues posent la question en termes de droits reproductifs. En effet, à ce niveau, les femmes – et notamment celles condamnées à des longues peines – sont dans une situation plus pénalisante que les hommes, compte tenu d’un temps de fertilité restreint.
Je voudrais dire tout simplement que le fait d’être en prison va sûrement m’empêcher d’avoir jamais d’enfants car j’envisage une longue peine et le sexe est interdit aux parloirs (…) aucun texte du code pénal ne mentionne que la sexualité soit interdite mais l’administration pénitentiaire s’appuie sur une faute disciplinaire (…) pour l’interdire et nous punir.
Extrait d’un courrier d’une détenue, en attente de jugement en maison d’arrêt depuis 3 ans
Alors que la loi pénitentiaire autorise la mixité dans les activités, également encouragée par un rapport du Sénat, l’OIP préconise d’intégrer progressivement cette mixité dans les activités proposées en détention, de développer et renforcer les liens avec l’extérieur, de généraliser les UVF et des salons familiaux dans les établissements pénitentiaires ainsi que de permettre la prise en charge des frais de visite aux détenus, qui grèvent le budget des familles les plus précaires. L’augmentation des crédits alloués aux activités des femmes tout comme une offre de formation adaptée aux spécificités de cette population défavorisée et fragilisée apparaît également nécessaire.