Dans un arrêt du 25 avril 2013 (Canali c. France), la CEDH a condamné la France pour les conditions dans lesquelles une personne a été détenue dans la maison d'arrêt surpeuplée de Nancy en 2006. La Cour a ainsi considéré que la promiscuité, combinée avec la durée du séjour en cellule, la vétusté des locaux et l'inadéquation de la cour de promenade caractérisent un traitement dégradant au sens de l'article 3 de la Convention. Cette condamnation, qui sanctionne pour la première fois la France pour sa surpopulation carcérale, doit encourager le gouvernement à développer rapidement une véritable politique pénale de moindre recours à l’emprisonnement.
De juin à novembre 2006, Enzo Canali a été détenu à la maison d’arrêt Charles III de Nancy, dont le taux de surpopulation était alors de 108% (283 détenus pour 262 places). Dans cette prison (qui a fermé ses portes en 2009), il partageait avec un autre détenu une cellule de 9 m² en principe prévue pour une seule personne. Il y était confiné la majeure partie de la journée, avec une heure de promenade le matin ou l’après-midi dans une cour de taille réduite (50m²) ne permettant pas aux détenus de « tourner » (ils ne pouvaient qu’y rester statiques).
La cellule qu’il a occupée était par ailleurs très dégradée. Le lit à étage était situé à 90 cm des toilettes qui n’étaient pas cloisonnées (ce qui engendrait des bruits et des odeurs lors de son usage par l’autre détenu), la chasse d’eau des toilettes était défaillante, l’aération et l’éclairement de la cellule était particulièrement faibles (petite fenêtre située en hauteur et obstruée par une succession de barreaux et grillages). N’ayant pas obtenu des juridictions françaises la reconnaissance du préjudice subi durant ses six mois d’incarcération, Monsieur Canali a saisi la Cour européenne le 20 juillet 2009.
Dans son arrêt rendu à l’unanimité ce 25 avril, la Cour considère, après avoir souligné «l’état de permanent surencombrement» de l’établissement de Nancy qui « ne permettait pas de faire bénéficier les détenus d’un encellulement individuel », que « l’effet cumulé de la promiscuité et des manquements relevés aux règles de l’hygiène ont provoqué chez le requérant des sentiments de désespoir et d’infériorité propres à le rabaisser et à l’humilier » et que « ces conditions de détentions s’analysent en un traitement dégradant qui conduit à une violation de l’article 3 ». La Cour estime également «que les modalités et la durée très limitées des périodes que le requérant était autorisé à passer hors de la cellule qu’il occupait aggravaient sa situation ». Rappelant par ailleurs que « l’accès, au moment voulu, à des toilettes convenables et le maintien de bonnes conditions d’hygiène sont des éléments essentiels d’un environnement humain et que les détenus doivent jouir d’un accès facile aux installations sanitaires et protégeant leur intimité », elle observe que dans ce cas « les toilettes se situaient dans la cellule, sans cloison, avec pour seules séparations un muret et, en l’absence de réparation de porte, un rideau », dénonçant « l’absence d’intimité » d’une telle situation. Et la Cour de condamner la France à verser 10 000 euros au requérant en réparation de son préjudice moral.
Fréquemment sanctionnée pour des conditions de détention dégradantes par les juridictions internes (CAA de Douai, 1ère ch., 12 novembre 2009, CAA de Bordeaux, 2ème ch., 4 octobre 2011 ou encore CAA de Bordeaux, 2ème ch., 18 octobre 2011), la France se voit pour la première fois condamner par la plus haute juridiction européenne en raison de la surpopulation carcérale. Une situation loin d’être isolée puisque 117 des 138 maisons d’arrêt ou quartiers maison d’arrêt français sont aujourd’hui surpeuplés, avec de nombreuses conséquences pour les personnes qui y vivent en termes de promiscuité, de violences, d’accès aux activités, au téléphone ou aux parloirs… Dans son avis du 22 mai 2012 relatif au nombre de personnes détenues, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté estime que dans ces conditions, « le système carcéral actuel a toutes chances de faciliter, à l’opposé de sa mission et malgré les efforts déployés, les sorties insuffisamment préparées, par conséquent favorisant, nolens volens, la réitération et la récidive ».
Sérieux avertissement pour la France, cette condamnation doit amener le gouvernement à engager enfin une politique pénale faisant véritablement de l’emprisonnement un ultime recours, au bénéfice d’une probation renforcée et d’une réduction du champ d’intervention de la justice pénale. Estimant disposer « d’éléments fiables pour remettre en cause l’efficacité de la peine de prison en termes de prévention de la récidive », le jury de la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive a ainsi recommandé « de s’orienter vers une politique de limitation de l’incarcération ». Il en va du respect de l’article 46 de la Convention par la France, qui prévoit que les États « s’engagent à se conformer aux arrêts » de la Cour, de la dignité des personnes détenues et de la lutte contre la récidive dont se prévaut aujourd’hui le gouvernement.
L’OIP rappelle :
– l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ;
– l’article 22 de la loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009 : « l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits » ;
– l’article D.349 du Code de procédure pénale : « l’incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d’hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l’aménagement et l’entretien des bâtiments (…) que (…) la pratique des exercices physiques »
– la recommandation n°1 de la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive : « Le jury de consensus considère, de manière générale, que la sanction doit prioritairement se traduire par une peine qui vise l’insertion ou la réinsertion des personnes qui ont commis une infraction. (…)».