Une nouvelle fois, les politiques pénale et pénitentiaire menées dans notre pays font l’objet d’accablantes critiques de la part d’une instance internationale1. Et, une fois encore, la réaction du gouvernement minimise ou élude les constats dressés ou les questions soulevées, opposant une fin de non recevoir aux demandes pressantes qui lui sont faites en matière de protection des droits de l’homme.
Dans son rapport rendu public aujourd’hui, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, dénonce « les conditions de vie inacceptables de nombreux détenus, qui doivent faire face à une surpopulation, une absence de vie privée, des locaux vétustes, et une hygiène pauvre » ou encore « le haut niveau de suicides dans les prisons françaises […] symptôme des défaillances structurelles du système pénitentiaire »2. Face à cette situation, le Commissaire « appelle instamment les autorités françaises à répondre immédiatement aux conditions inacceptables de détention des détenus contraints de vivre dans des cellules surpeuplées et souvent vétustes ».
En guise de réponse, le gouvernement tente comme à son habitude de mettre en avant, outre la nécessité d’augmenter le nombre de places de prison, « la mise en oeuvre des Règles pénitentiaires européennes » et « l’élaboration du projet de loi pénitentiaire ». Or, le Commissaire exprime de nombreuses réserves sur ces différents points.
Concernant les Règles pénitentiaires européennes, T. Hammarberg déplore que « l’expérimentation en cours ne porte que sur un nombre limité de recommandations et ne concerne qu’une partie des établissements ». « Il faut souhaiter que ces nouvelles dispositions soient rapidement appliquées à l’ensemble des détenus, ce qui n’est pas encore le cas », ajoute-t-il, tout en insistant sur le fait que les RPE sont un « socle fondamental qu’il convient de respecter et de mettre en oeuvre au plus vite » qu’elles « ne sont qu’une base minimum » et qu’elles «ne devraient pas empêcher les autorités d’adopter une loi plus protectrice pour des détenus». Sur ces points, force est de constater l’indigence de la réponse des autorités qui ne fournissent aucun élément d’engagement ni même d’information sur les perspectives d’extension de l’expérimentation (8 règles) aux autres recommandations (108 en tout) et la généralisation de leur application à tous les établissements (28 sites-pilotes sur un total de 192 lieux de détention).
Concernant le projet de loi pénitentiaire, si le Commissaire souhaite s’en tenir à « quelques observations générales », son propos aboutit à une sévère mise en cause du texte élaboré par la Chancellerie. D’abord, T. Hammarberg se fait l’écho des regrets exprimés par un « certain nombre de professionnels » déplorant que le texte « ne reprenne pas plus largement certaines propositions formulées par les Etats généraux, la CNCDH ou le COR3 et ne fasse qu’entériner des pratiques déjà existantes ». Il précise notamment à ce propos qu’il « restera vigilant à ce que des pratiques telles que les fouilles corporelles soient strictement encadrées ou que la mise en place de régimes de détention différenciés ne soit pas légalisée ». Il invite par ailleurs les autorités « à reconnaître de nouveau l’encellulement individuel comme un droit pour tous les prévenus, à permettre sa mise en oeuvre dans les faits » sans attendre l’ouverture des nouvelles places de prison et sans recourir aux programmes de construction car « l’extension du parc pénitentiaire devrait être plutôt une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement ». Ensuite, le Commissaire « estime que les questions du maintien des liens et contacts familiaux, de l’accès aux prestations sociales de droit commun, du droit de vote en prison, du travail équitablement rémunéré, de la réduction substantielle de la durée de placement en quartier disciplinaire ou du placement en isolement ne doivent pas être éludées ». Enfin, T. Hammarberg souligne pour conclure que « la réforme proposée de la législation pénitentiaire ne doit pas occulter le respect des droits fondamentaux des personnes détenues, et davantage de solutions effectives et de moyens doivent être apportées pour améliorer les conditions matérielles ainsi que le traitement des personnes atteintes de troubles mentaux ».
Les constats opérés par le Commissaire européen aux droits de l’homme sur la situation des prisons françaises corroborent les critiques émises par l’ensemble des instances nationales ou internationales depuis une dizaine d’années. Pour T. Hammarberg, « Le plein respect des droits de l’homme ne doit pas souffrir des considérations sécuritaires » et « les projets actuels de modifications législatives ne doivent pas ignorer les droits fondamentaux des détenus ». Dans ces conditions, face à l’attitude de déni dans lequel s’enferme le ministère de la Justice, la section française de l’OIP appelle le gouvernement et le Parlement :
– à prendre les mesures immédiates réclamées par le Commissaire afin de résorber la surpopulation carcérale, notamment en inscrivant au plus vite le volet sur les alternatives et aménagements de peine du projet actuel de loi pénitentiaire au calendrier parlementaire et en prévoyant, dans le cadre de la loi des finances 2009, les moyens nécessaires à une politique de moindre recours à l’emprisonnement,
– à confier à une commission indépendante la rédaction d’un nouveau projet de loi « pénitentiaire » s’inscrivant dans la lignée des rapports des commissions d’enquête parlementaires de 2000 et respectant scrupuleusement tant les principes établis par les Etats généraux de la condition pénitentiaire que l’ensemble des recommandations du Conseil de l’Europe.
1 Après le rapport du précédent Commissaire aux droits de l’homme en 2005, ceux du Comité européen de prévention de la torture en 2004 et 2007, ou encore du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies cet été.
2 Communiqué du Commissaire européen aux droits de l’homme, 20 novembre 2008.
3 Etats généraux de la condition pénitentiaire, Commission nationale consultative des droits de l’homme, Comité d’orientation restreint (ministère de la Justice).