Motivation des décisions et obligation d'organiser une procédure contradictoire préalable
La loi impose à l’administration d’organiser une procédure contradictoire préalable avant de prendre certaines décisions, afin de recueillir l’avis de la personne détenue. Les décisions de l’administration doivent par ailleurs être motivées et fait et en droit. Ces principes ne sont cependant pas toujours respectés, soit parce que l’administration ne les met pas en œuvre de façon scrupuleuse, soit parce que les textes ou la jurisprudence prévoient des exceptions à leur application.
Toute décision individuelle défavorable prise par l’administration pénitentiaire doit en principe être motivée (article L.211-2 code des relations entre le public et l’administration).
Par décision « défavorable », il faut notamment entendre une décision qui inflige une sanction, qui restreint l’exercice d’une liberté publique ou qui constitue une mesure de police, qui impose des sujétions ou qui refuse une autorisation ou un avantage dont l’attribution constitue un droit. De très nombreuses décisions intervenant dans le domaine pénitentiaire sont ainsi soumises à l’obligation de motivation (sanctions disciplinaires, placement à l’isolement, refus ou suspension d’un permis de visite, déclassement d’un emploi, refus d’accès à une formation, saisie d’un ordinateur possédé en cellule, etc…).
Les décisions individuelles défavorables doivent être motivée en droit et en fait. L’administration doit donc indiquer les textes juridiques qui servent de fondements à sa décision (c’est la motivation « en droit ») et les raisons concrètes qui justifient cette décision (c’est la motivation « en fait ») ( article 211-5 code des relations entre le public et l’administration)
La motivation doit en principe être écrite, claire et précise.
En pratique, quand elle existe, cette motivation est souvent succincte et stéréotypée, se bornant à reproduire des formules types (« votre comportement justifie que » ou telle mesure «s’avère nécessaire ») sans autre précision.
Par ailleurs, les textes et la jurisprudence prévoient des exceptions à l’obligation de motivation.
L’administration peut se soustraire de cette obligation en cas d’« urgence absolue », c’est-à-dire lorsque les circonstances imposent que la décision soit prise dans de très brefs délais (article L.211-6 du code des relations entre le public et l’administration). Par ailleurs, la loi admet que les demandes formulées par les personnes détenues puissent être rejetées implicitement (dans le cas où l’administration ne répond pas à une demande pendant plus de deux mois). Par définition, les décisions implicites ne comportent pas de motivation écrite. Dans ces deux situations, la personne concernée par la décision peut demander à l’administration de lui préciser par écrit les motifs de cette décision. La « demande de communication des motifs » de la décision défavorable doit être formulée dans le délai du recours contentieux, c’est-à-dire dans les deux mois suivant la notification ou la naissance de cette décision (pour des précisions sur les délais de recours contentieux », voir la fiche « Saisir le juge administratif »).
En réponse à la demande de communication des motifs, l’administration doit faire connaître à l’intéressée les motifs de fait et de droit qui constituent le fondement de sa décision dans le délai d’un mois à compter de la demande (art. L.211-6 et art. L. 232-4 du code des relations entre le public et l’administration)
Si elle ne répond pas à la demande de communication des motifs, ou si elle ne motive pas sa décision en fait et en droit, le défaut de motivation est constitutif d’une illégalité susceptible d’entraîner l’annulation de la décision défavorable par le juge administratif.
En outre, la jurisprudence administrative a estimé que certaines décisions de l’administration pénitentiaire échappent à l’obligation légale de motivation. Le Conseil d’État a jugé que cette dernière n’est pas obligée de motiver les décisions de placement en régime différencié « porte fermée » (CE, 28 mars 2011, B c/ ministre de la Justice n° 316977), les décisions de changement d’affectation entre établissements de même nature (CE, 13 novembre 2013, M.P., n° 355742). La Cour administrative d’appel de Nancy a, quant à elle, estimé que les décisions d’inscription sur le registre des détenus particulièrement signalés (DPS) n’ont pas à être motivée (CAA Nancy, 27 juin 2013, n° 12NC01609) mais cette solution n’a pas été confirmée par le Conseil d’Etat.
L’administration pénitentiaire est tenue de respecter une procédure contradictoire préalable avant de rendre une décision qui va s’avérer défavorable pour le détenu ou à tout autre personne en relation avec la prison (visiteur, famille…) (art. L 121-1 du code des relations entre le public et l’administration).
L’obligation ne s’applique pas dans le cas où la décision a été prise en réponse à une demande de la personne concernée (comme par exemple le refus de délivrer un permis de visite), en cas d’« urgence », de « circonstances exceptionnelles » ou lorsque l’existence d’un « risque de trouble à l’ordre public » s’oppose au suivi de cette procédure (art. 121-2 du code des relations entre le public et l’administration).
Ces circonstances s’apprécient au cas par cas. Par exemple, l’administration se trouve en situation d’urgence lorsqu’elle détient des informations certaines concernant l’imminence d’un incident. Ainsi, le chef d’établissement pourra suspendre à titre conservatoire un permis de visite de façon à ce que l’intéressé ne se présente pas à l’établissement avant que soit prise la décision définitive. L’administration ne peut se fonder de façon générale sur la « dangerosité pénitentiaire » d’un détenu pour estimer qu’il y a urgence (Tribunal administratif de Paris, 7 octobre 2011, n° 1005374). Quant aux circonstances exceptionnelles, elles supposent que les événements en cours soient imprévisibles et revêtent tant par leur ampleur que par leur durée une particulière gravité (mutinerie, destruction de bâtiment, mouvement social des personnels désorganisant gravement le service…).
Par ailleurs, les textes prévoient l’existence d’une procédure contradictoire préalable spécifique dans certains domaines, comme en matière disciplinaire (Circulaire du 9 juin 2011 relative au régime disciplinaire des personnes détenues majeures).
L’administration est tenue d’informer le détenu ou la personne intéressée (par exemple, le membre de la famille à qui le chef d’établissement refuse le permis de visite) qu’elle envisage de prendre une décision défavorable à son égard. Elle doit lui indiquer la nature de la décision envisagée et les motifs qui constituent le fondement de cette décision.
L’administration doit laisser à la personne détenue un délai suffisant pour faire valoir ses observations écrites. Cette dernière peut également demander à présenter des observations orales.
Elle doit permettre à l’intéressée de consulter son dossier et de préparer sa défense en lui laissant un délai de trois heures minimum (article R.57-6-9 du Code de procédure pénale).
Dans cette phase, la personne détenue doit pouvoir s’entretenir avec son défenseur (avocat ou mandataire) s’il le souhaite. Les frais d’avocat ne peuvent toutefois pas être pris en charge au titre de l’aide juridictionnelle, sauf en matière disciplinaire ou en cas de placement à l’isolement (article 64-3 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique).
L’administration refuse parfois de communiquer certaines pièces du dossier en se fondant sur une loi qui protège les documents dont la consultation porterait atteinte à la « sécurité publique ou celle des personnes » (L.311-15 du code des relations entre le public et l’administration et article R.57-6-9 du Code de procédure pénale). Une telle justification doit cependant être fondée, la loi prévoyant que le document doit tout de même être communiqué « après occultation ou disjonction » des éléments portant atteinte à la sécurité (par exemple, le nom des auteurs d’un document). En pratique, le refus de communication de pièces ou tout simplement l’absence de réponse restent fréquents.
De façon générale, le « débat contradictoire » s’apparente le plus souvent à une procédure de pure forme, aux termes de laquelle l’administration prend généralement la décision qu’elle avait envisagée et qui était parfois déjà mise en œuvre par la voie d’une mesure conservatoire.