Pour les familles qui perdent un proche dans un incendie en prison, obtenir réparation relève du parcours du combattant. S’il est souvent vain de vouloir faire condamner, au pénal, les agents responsables des dysfonctionnements ayant entraîné la mort, il reste possible d’engager la responsabilité de l’État devant les tribunaux administratifs. Une démarche souvent longue et fastidieuse.
Pour tout décès en détention, une enquête aux fins de recherche des causes de la mort est ouverte. Elle a pour objectif de déterminer si la cause du décès est susceptible de constituer une infraction, auquel cas une information judiciaire est ouverte. Dans les faits, ces enquêtes sont le plus souvent classées sans suite. Pour les incendies survenus à Villefranche-sur-Saône en 2021 ou encore à Villepinte en 2020, pour ne citer qu’eux, quelques semaines auront suffi pour classer l’affaire. Même lorsque les investigations menées mettent en avant certains dysfonctionnements, il est rare que les parquets les considèrent suffisants pour caractériser une infraction. À Villepinte, où un homme est décédé dans un feu de cellule en juin 2020, l’interphonie et les alarmes défaillantes, tout comme le manque d’effectifs présents ce soir-là, n’auront pas suffi à convaincre le procureur de déclencher des poursuites(1). Il arrive, dans de rares cas, que des instructions soient ouvertes. Un mois après le décès d’un détenu dans un incendie à la prison de Fleury en 2016, le parquet, interpellé par « les conditions d’interventions », décidait ainsi d’ouvrir une information judiciaire. Mais, cinq ans plus tard, la procédure semble au point mort, en dépit des multiples relances de l’avocat de la famille. « Ça fait partie des instructions mises de côté. Cela fait des années que rien ne bouge et la famille est épuisée », peste-t-il.
Souvent pessimistes sur les possibilités d’obtenir une condamnation au pénal, certains avocats écartent d’emblée cette voie pour concentrer leurs efforts sur le terrain administratif. Me Legrand, l’avocat de la famille d’Hamidi Bensouina, décédé dans l’incendie de sa cellule à Douai en novembre 2020, s’apprête ainsi à déposer une requête devant le juge administratif.
Depuis 2003 et l’arrêt Chabba rendu par le Conseil d’État, la procédure administrative permet en effet d’engager la responsabilité de l’État pour une succession de fautes simples. Les incendies en détention étant souvent révélateurs de dysfonctionnements en série (lire page 14), depuis 2004, les condamnations se sont donc multipliées(2). Diverses fautes ont été retenues par les tribunaux : manque de surveillants en service de nuit, absence de repérage et prise en charge inadaptée d’un détenu suicidaire et incendiaire, dysfonctionnements dans le repérage de l’incendie et l’évacuation des fumées, alerte tardive des pompiers…
Ces démarches, longues et fastidieuses, demandent persévérance et acharnement. Salah Zaouiya en sait quelque chose : il lui aura fallu plus de douze ans pour obtenir justice pour son fils Jawad, décédé en 1996 dans un incendie déclenché par son codétenu à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy. Après un premier classement sans suite et une plainte au pénal qui aboutira à un non-lieu quatre ans plus tard, la famille de Jawad se tourne au début des années 2000 vers le tribunal administratif. En première instance comme en appel, les juges retiennent l’existence d’une succession de fautes imputables à l’État. La Cour d’appel pointera notamment des matelas ne respectant pas les normes de sécurité incendie, une évacuation insuffisante des fumées toxiques et l’impossibilité pour le surveillant de nuit d’accéder rapidement aux outils de lutte contre les incendies. Des jugements confirmés par le Conseil d’État, qui déboutera en 2008 le garde des Sceaux de son ultime pourvoi. Une décision importante pour la famille de Jawad : « Ça a été un combat de tous les jours, pendant douze ans. On a fait des sacrifices, la vie de famille en a pris un coup. Ce n’était pas facile. J’en ai connu des familles qui ont explosé. Mais mes proches m’ont toujours poussé à tenir. Sans leur soutien, ce combat aurait été impossible à mener », explique aujourd’hui son père. Une affaire importante juridiquement, mais également symboliquement : largement médiatisée, elle aura, espère Salah, montré la voie à d’autres familles.
Par Charline Becker
(1) OIP, « Incendie à la prison de Villepinte : un mort, et beaucoup de questions », juillet 2020. Et aussi « Incendie mortel à Villepinte : un classement sans suite, et toujours autant de questions », Dedans Dehors n°108, octobre 2020.
(2) Tribunal administratif de Rouen, n°0202252, 17 septembre 2004, Cour administrative d’appel de Nancy, n°06NC00515, 25 janvier 2007, CAA de Marseille, n° 09MA02959, 7 juillet 2011, CAA de Paris, n° 18PA02082, 20 décembre 2019.