La surpopulation carcérale atteint un niveau inégalé, mais les chiffres officiels n’en donnent pas toute la mesure. En dépit des demandes répétées de l’OIP, les statistiques mensuelles publiées par le ministère de la Justice font en effet l’impasse sur les taux d’occupation affolants de certains quartiers de détention dédiés aux hommes.
Chaque mois, le ministère de la Justice rend publics les taux d’occupation des prisons françaises. Toujours plus effarantes(1), ces données ne reflètent pourtant pas toute l’ampleur du naufrage. Elles portent en effet sur chaque établissement et sur certains quartiers de détention, notamment ceux réservés aux femmes, aux mineurs ou aux personnes détenues en semi-liberté. Mais, au nom du secret statistique, l’administration persiste à ne pas publier les taux d’occupation des quartiers dédiés aux hommes détenus(2), largement majoritaires et généralement beaucoup plus denses.
Comme les années précédentes(3), l’OIP a donc calculé, par élimination, ces chiffres manquants à partir des données publiées au 1er janvier 2024(4). Et cette année encore, les résultats sont sans appel : la réalité de la surpopulation carcérale, telle que la majorité des personnes détenues la vivent, est nettement plus préoccupante encore que ce qu’affiche l’administration.
À la maison d’arrêt de Laval, par exemple, le taux d’occupation bondit de 193% à 263% quand on retranche le quartier de semi-liberté. À Chambéry, il passe de 168% à 213%. À Lons-le-Saunier, de 203% à 281%. À Marseille, le taux grimpe de 165% à 201% en isolant le quartier dédié aux hommes de ceux où sont incarcérés les femmes, les enfants et les personnes hospitalisées. À Dijon ou Perpignan aussi, resserrer la focale sur la détention des hommes fait apparaître une densité de 208% et 259% respectivement, et non plus 146% et 201%.
De manière générale, les taux d’occupation des quartiers où sont détenus les hommes sont supérieurs d’un à dix points aux moyennes officielles dans 48 prisons, de 10 à 20 points dans 33 autres, de 20 à 40 points dans 25 établissements, et de plus 40 points dans neuf autres. Au total, pas moins de 23 quartiers sont occupés à 200% ou plus – loin des 14 dénombrés par les statistiques officielles.
Alors que la surpopulation carcérale a franchi la barre symbolique des 150% dans les maisons d’arrêt début avril, les autorités doivent – enfin – accepter de faire preuve de transparence. Dans un avis rendu le 23 mai (voir p. 28), la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) appelle à son tour à analyser les taux d’occupation au niveau de chaque quartier de détention, entendu « au sens le plus restrictif possible », pour « considérer les données chiffrées de densité carcérale au plus près de la réalité humaine ». Il en va du droit de l’opinion publique à être informée de l’urgence de la situation, sur un sujet d’intérêt général et toujours plus explosif.
Par Charline Becker et Prune Missoffe