En prison, on attend pour tout. Et avec la surpopulation, on attend encore plus longtemps : les personnels sont débordés et l’accès aux soins, au travail ou aux activités, déjà très limité, est encore plus restreint. Au prix de la santé et de l’accompagnement des personnes détenues, de tensions accrues, et d’une détention toujours plus vide de sens.
« J’en avais marre de passer mes matinées à l’infirmerie »
Les surveillants n’ont jamais le temps, même quand on met le drapeau… […] Le monsieur qui est au rond-point, il dit tout le temps : « Le surveillant va passer vous voir », mais il ne vient jamais. On est tellement nombreux qu’ils n’ont pas le temps de parler avec nous – pourtant ça serait bien de pouvoir parler un peu de temps en temps avec un surveillant sympa. Mais ils sont tout seuls pour un étage, et sur un étage, il y a 100 cellules. Du coup, les mouvements, c’est le bordel, et il faut attendre pour tout. Quand on est dans la salle de douche, par exemple, on est enfermé, et ils ouvrent quand ils ont le temps. […] Pareil, quand on est à la chapelle, il faut attendre au moins une demi-heure pour se faire ouvrir et retourner en cellule. […]
Moi j’avais un traitement de substitution à prendre tous les jours à l’infirmerie. Mais je l’ai arrêté, parce que j’en avais marre de passer mes matinées à l’infirmerie. Je partais à 9h et je rentrais à midi… juste pour prendre mon traitement. Et je ne vous raconte pas la salle d’attente : on est au moins trente dans une petite pièce de 12m2, tout serrés… « Porte bleue, porte verte », on n’entend que ça toute la matinée. Par contre, les médecins ne sont jamais passés me voir en cellule, pas une seule fois. Alors que j’avais un lourd traitement à suivre. À un moment, même, ils savaient que j’étais suicidaire, mais ils m’ont donné rendez-vous [à l’unité sanitaire]. J’ai eu toutes les peines du monde à me déplacer.
— G.F.
« J’attends, j’attends, en souffrant »
Tous les problèmes d’attente, qui sont déjà énormes à la base, sont encore décuplés par la surpopulation. L’attente, l’attente… J’ai attendu six mois pour être inscrit au sport. J’en faisais beaucoup dehors, et en prison j’ai pris un bide phénoménal. Ne pas pouvoir faire de sport pendant six mois, c’était horrible. Et c’est pareil pour tout, les cours, le culte… J’attends des réponses que je n’ai jamais, c’est interminable. Je demande à travailler depuis deux ans et demi que je suis incarcéré, mais rien. Et toujours ce prétexte, peut-être fallacieux : « Il y a trop de demandes. »
Cela vaut pour les activités que Darmanin qualifie de « ludiques », mais aussi pour les soins. Cela fait deux ans que je demande à voir un psychiatre, un psychologue, mais je n’ai toujours aucun suivi sérieux, alors qu’on sait que je suis suicidaire depuis vingt ans, que je deviens fou en prison… […] J’ai eu une sciatique comme je n’en avais jamais eu de ma vie : je suis resté cloué au lit pendant des semaines sans pouvoir aller uriner, je hurlais de douleur, j’avais envie de me foutre en l’air… Mais toujours l’attente. On a fini par faire des examens et comprendre ce qu’il y avait, mais je n’ai toujours pas de solution. J’attends, j’attends, j’attends, en souffrant. — L. V.
Les parcours judiciaires et carcéraux affectés
Forcément, qui dit surpopulation carcérale dit […] agents surchargés et donc peu réceptifs, délais allongés pour tout, [y compris] pour les expertises, pour le départ en CNE [centre national d’évaluation], pour les appels/cassations… Parfois des extractions sont annulées, des audiences se tiennent en visio faute d’escorte, et j’ai l’impression que certaines instructions sont bâclées pour respecter le « délai raisonnable ». – S. C.
« Même les surveillants deviennent fous »
Avec la surpopulation, […] pour pouvoir accéder à quoi que ce soit, formation, travail, école, musculation, culte, bibliothèque, parloir, UVF [unité de vie familiale], ça met des mois et des mois, c’est une folie. L’examen des demandes d’aménagement ou de permission est super long aussi, on galère tous. […] Ça m’a pris 24 mois pour être transféré – et même pas là où j’avais demandé et où j’avais signé mon affectation ! Ils sont perdus, même la Disp [Direction interrégionale des services pénitentiaires] n’arrive plus à traiter les dossiers. Avec 82 000 détenus, plus personne n’arrive à gérer dans les établissements. Tout est long, on souffre, et ça crée beaucoup de tensions. Même les surveillants deviennent fous, ils me disent : « Je vais arrêter ! » C’est incroyable.
— P. A.
« Souvent des gardiens craquent »
J’aimerais travailler, mais avec tant de détenus pour vingt à trente postes de travail, c’est impossible. […] J’ai toujours dit au supérieur qu’il y avait trop de monde et je le vois, les surveillants doivent être partout. Il y en a quatre qui sont très gentils, humains, mais ils sont débordés et souvent des gardiens ou gradés craquent, insultent les détenus ou menacent de les gifler. En huit mois ici, rien n’a changé, toujours autant de monde, c’est très difficile. – K. L.