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« L’Ancien régime n’est pas encore aboli au pays de l’administration pénitentiaire »

« À la suite d’un recours que j’avais formé pour conditions indignes de détention dans mon précédent lieu d’enfermement, j’ai été transféré dans un autre établissement. Mes conditions de détention se sont légèrement améliorées depuis ce transfert, mais de nombreux problèmes persistent.

Nous subissons ici deux fouilles intégrales par semaine, ainsi que des fouilles de cellule, alors même que nous ne voyons personne du fait de notre isolement. Les fenêtres sont quadruplement grillagées — barreaux, caillebotis, double maillage — ce qui rend l’air absolument irrespirable dans les cellules.

Mais ce qui me pèse le plus, au-delà des conditions matérielles, c’est la dérive arbitraire de l’administration pénitentiaire. Aujourd’hui, j’ai été entendu dans le cadre d’un « débat contradictoire » — qui n’a de contradictoire que le nom — à propos d’une proposition de la direction interrégionale visant à me placer au Quartier d’évaluation de la radicalisation (QER). La décision sera prise par eux, et le plus grave est que les documents cités pour motiver cette mesure, issus de la procédure, ne me sont pas accessibles, malgré mes demandes répétées.

Imagine-t-on un procès en cour d’assises où l’avocat général accuserait et jugerait sur la base d’éléments dont l’accusé et son avocat n’auraient même pas connaissance ? L’Ancien Régime n’est manifestement pas encore aboli dans le pays de l’administration pénitentiaire.

Je vous remercie pour votre travail. S’il existe un moyen de contribuer, de quelque façon que ce soit, à ce travail essentiel ou à d’autres combats, je vous prie de m’en informer.

À l’extérieur, j’étais membre d’un syndicat étudiant et je participais activement à des groupes de réflexion et à diverses actions collectives. Ici, je reste convaincu de l’utilité vitale de ce type d’organisations. Je crois en la défense unie des détenus par les détenus, et c’est ce genre de structure que j’aimerais voir émerger un jour, malgré un cadre légal très contraint. Je ne vois pas pourquoi les droits garantis par l’article 11 de la CEDH (liberté de réunion et d’association) nous seraient refusés. Certes, nous ne pouvons pas nous réunir physiquement, mais nous pouvons correspondre : c’est bien par correspondance que s’organisait la Première Internationale.

Quoi qu’il en soit, on ne peut que vous être reconnaissant. Vous faites le travail que nous aurions dû pouvoir faire nous-mêmes.

Témoignage reçu à la permanence d’Alerte et d’Accès aux droits de l’OIP le 21 octobre 2025

Aller plus loin : 

En prison, l’expression collective des personnes détenues est structurellement entravée. L’organisation même de l’institution carcérale repose sur l’isolement, la fragmentation des individus et la dissuasion de toute dynamique collective. Dans ce contexte profondément atomisant, toute tentative d’action commune est perçue comme une menace à l’ordre pénitentiaire et fait l’objet d’un contrôle étroit, voire de sanctions disciplinaires.

Les droits collectifs pourtant reconnus par l’article 11 de la CEDH — liberté d’association, droit de se syndiquer, liberté d’expression collective — demeurent largement théoriques derrière les murs et sont neutralisés par un cadre réglementaire restrictif, une interprétation sécuritaire des règles et l’absence de mécanismes permettant leur exercice effectif. Ainsi, la prison apparaît encore aujourd’hui comme un espace où les droits collectifs sont niés, réduits à des chimères, alors même qu’ils constituent un levier essentiel de défense des droits, de participation citoyenne et de dignité.