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Deux adolescentes détenues illégalement à la prison de Saint-Denis de La Réunion

Cela fait près de six mois que Déhya, 17 ans, est en détention provisoire au centre pénitentiaire de Saint-Denis de La Réunion, un établissement qui n’est pourtant pas prévu pour accueillir des mineures. Affectée au quartier femmes, tout comme une autre adolescente, elle s’y retrouve d’autant plus isolée qu’elle ne reçoit aucune visite. Une atteinte aux droits récurrente, notamment dans les territoires ultramarins.

Le Code de la justice pénale des mineurs (CJPM) précise que « les filles mineures sont nécessairement incarcérées en EPM [établissement pour mineurs] ou en unités spéciales pour mineures au sein d’une maison d’arrêt, et ne peuvent pas être incarcérées en quartier de femmes majeures ». Mais en l’absence de structure réservée aux jeunes filles à La Réunion, c’est bien au quartier femmes qu’a été affectée Déhya, 17 ans, à son arrivée à la prison de Saint-Denis le 4 avril. Une adolescente de 14 ans, qui a quitté l’établissement courant septembre, s’y trouvait déjà depuis plus de six mois, seule parmi les adultes. Et une autre jeune fille, âgée de 16 ans, les y a rejointes cet été : c’est la seule mineure de son étage.

Un isolement de fait

Pour éviter tout contact avec les majeures, les adolescentes n’ont aucune activité en commun avec elles, et chacune de leurs sorties de cellule entraîne le blocage de tous les quartiers qu’elles traversent. Les deux jeunes filles se retrouvent donc isolées de fait, alors même que la circulaire sur le régime de détention des mineurs proscrit toute mesure en ce sens[1]. Qui plus est, Déhya ne reçoit aucune visite, sa famille vivant en métropole, tout comme elle avant son arrestation. Comme les personnes placées à l’isolement, elle passe la plus grande partie de son temps en cellule et n’est pas autorisée à travailler : « J’ai demandé au capitaine, qui m’a répondu : “Tu ne peux pas, parce que tu n’as pas le droit d’être avec les majeures.” » Même chose pour les formations. Reste l’école, deux heures par jour hors des vacances scolaires, avec l’autre adolescente.

En l’absence de personnel dédié et d’unité spécifique pouvant accueillir les activités des jeunes, l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ont imaginé un programme ad hoc, nécessairement insatisfaisant. Les quelques activités « collectives » qui leur sont proposées se limitent à elles seules, alors que les unités pour mineurs doivent normalement privilégier les temps collectifs regroupant les personnes en fonction de leur personnalité. Et si toutes ne sont pas d’accord pour suivre un atelier, l’activité ne résiste pas longtemps : « On faisait du théâtre une fois par semaine, mais D. et G. ne veulent plus en faire, donc l’activité est supprimée, regrette Déhya. Je suis pénalisée à cause de leurs choix. » La direction de l’établissement précise dans un courrier à l’Observatoire international des prisons (OIP) que Déhya a accès à deux séances de sport par mois – soit bien moins que les adolescents détenus au quartier mineurs hommes. Et d’après Déhya, « ce ne sont pas deux séances, mais une seule par mois. » La plupart des autres activités ont commencé après plusieurs mois d’incarcération : l’accès à la bibliothèque, par exemple, n’est possible que depuis juillet, d’après le courrier de la direction. « Et encore, c’est soit la bibliothèque, soit la promenade : il faut choisir », précise là encore Déhya. Un atelier percussions est tout de même prévu en mixité, avec des adolescents du quartier mineurs hommes, mais il n’a été mis en place qu’à partir du mois d’août et ne s’est tenu que trois fois : « C’est seulement quand la salle polyvalente est disponible, ce sont surtout les majeurs hommes qui l’utilisent ».

Privées des possibilités offertes dans les unités dédiées aux jeunes, les adolescentes ne peuvent espérer intégrer le régime « responsabilité », qui donne accès à davantage de « temps collectifs » pour « accroître l’autonomie du mineur et […] consolider son projet de sortie ». Elles ne peuvent même pas prendre de repas en commun, contrairement là encore à ce que prévoit le régime de détention des mineurs.

Ces fortes contraintes n’empêchent pourtant pas tout contact entre mineures et majeures au sein de la prison, la présence des adolescentes au sein du quartier femmes rendant la séparation poreuse. Leurs cellules jouxtent celles des adultes, incarcérées à plusieurs dans ce quartier où le taux d’occupation atteignait 175% au 1er août.

« quand je suis en cour de promenade, les majeures me parlent depuis leurs cellules. Certaines m’insultent, me menacent », confie Déhya.

Des conditions de détention dégradées

À ce régime de privation s’ajoutent des conditions de détention très dégradées. À l’arrivée de Déhya, les murs de sa cellule étaient écaillés et couverts de moisissures. Les deux adolescentes ont l’interdiction de cantiner des produits frais pour leurs repas : « Tu n’y as pas accès parce que tu es mineure, c’est comme ça », aurait-on répondu à Déhya en guise d’explication. Sollicitée par l’OIP, la direction a confirmé que les mineurs n’avaient pas accès aux produits frais car ils n’ont en principe pas de frigo en cellule, contrairement à Déhya. La circulaire sur le régime de détention des mineurs définit pourtant les cantines comme « un support intéressant pour mener une action éducative sur le rapport […] à l’hygiène alimentaire ».

Le quartier femmes du centre pénitentiaire de Saint-Denis est le plus surpeuplé d’Outre-mer, et le quatrième au niveau national. À l’étage où est détenue Déhya, six personnes se partagent une cellule prévue pour deux. Une situation qui contribue à la dégradation des cellules, et qu’aggrave encore la détention des adolescentes : l’encellulement individuel étant obligatoire pour les mineurs, les autres détenues doivent d’autant plus s’entasser.

Malgré tout, l’affectation de Déhya parmi les majeures n’a pas fait obstacle à son maintien en détention, prolongé le 6 août.

L’OIP demande la fin immédiate de cette affectation illégale et se montrera attentif à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant, censé être le « principe directeur de la procédure pénale applicable aux mineurs[2] », soit véritablement pris en compte.

Contact presse : Sophie Deschamps · 07 60 49 19 96 ·  sophie.larouzeedeschamps@oip.org

 

[1] Art. 4.7-3 de la circulaire du 24 mai 2013 relative au régime de détention des mineurs, JUSK1340024C

[2] Ministère de la Justice, circulaire du 25 juin 2021 présentant le CJPM