La Défenseure des droits a enquêté sur les violences infligées par une surveillante à la mère d’une personne détenue à la prison de Fleury-Mérogis lors d’un parloir, en 2020. Elle confirme « un usage injustifié de la force » et souligne que les agentes impliquées ont rendu compte de l’incident « de manière inexacte ».
Il aura fallu près de quatre ans pour que soient reconnues les violences dont Madame M. a été victime alors qu’elle rendait visite à son fils à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, en août 2020. Des actes qui lui ont valu une incapacité totale de travail à hauteur de trente jours, les médecins ayant constaté un « traumatisme de l’épaule et du poignet gauche », une « fracture non déplacée » au coude gauche, ainsi qu’un « retentissement psychologique important » et de l’« anxiété ». Dans une décision en date du 12 avril 2024, la Défenseure des droits reconstitue le déroulement de ces violences et formule un certain nombre de recommandations à l’attention du ministre de la Justice.
Le jour des faits, Madame M. retrouve son fils, au parloir de Fleury-Mérogis, dans un état qu’elle qualifie de « catastrophique ». Outre ses vêtements sales et déchirés, il est dans un état d’agitation profonde dû à son enfermement au quartier disciplinaire et à la privation de son traitement médicamenteux depuis plusieurs heures. Alertés par ses cris, les surveillants décident de mettre fin au parloir de manière anticipée et le ramènent de force en cellule. Madame M. décrit une intervention brutale, ponctuée par ses adjurations répétées de « cesser de le frapper ».
Si, en l’absence de tout autre élément que les témoignages opposés de Madame M. et des surveillants, la Défenseure des droits ne peut établir de manquement à cet égard, il n’en est pas de même pour ce qui suit. Après le départ de son fils, des surveillants enjoignent à Madame M. de sortir, l’accompagnant malgré ses protestations et la tenant par le bras. À la sortie de la zone des parloirs, alors qu’elle tente d’échapper à leur contrôle, elle est violemment poussée en arrière et tombe sur le dos. Elle précise être restée au sol un certain temps, incapable de se relever en raison de douleurs au bras gauche, et avoir demandé l’intervention des pompiers.
Dans leurs comptes-rendus professionnels, les agents pénitentiaires décrivent Madame M. comme « menaçante ». Le chef de la détention écrira que « la mère hystérique, vocifère envers moi et des agents ». En des termes très similaires, les deux surveillantes impliquées assurent que Madame M. a « mis son doigt sous le cou » d’un collègue et « attrapé le cou » de l’une d’elles avant d’être repoussée par la seconde, puis qu’elle a « trébuché et s’est laissée tomber ». Elles ajouteront que ces incidents ont « retardé le parloir des autres familles de plus d’une heure ».
Pourtant, lors du visionnage des images de vidéosurveillance, la Défenseure des droits a pu constater un tout autre déroulement. D’abord, seulement trois minutes se sont écoulées entre la fin du parloir et le moment où Madame M. a atteint la grille de sortie. Ensuite, une douzaine de surveillants l’entouraient, si bien que le risque qu’elle ait pu représenter un danger « n’est pas caractérisé », pas plus que la « nécessité d’intervenir physiquement » pour l’éloigner. Quand bien même la visiteuse « a fait un geste pour se dégager de leur emprise et a lancé brusquement son bras » vers une surveillante. Enfin, sur la base des enregistrements de vidéosurveillance, la Défenseure des droits constate que l’autre surveillante « a attrapé Mme [M.] de manière brutale puis a donné une impulsion qui a provoqué [sa] chute », conservant une « attitude physique menaçante » quand la visiteuse était à terre.
De tous ces éléments, la Défenseure des droits estimera que « l’usage de la force à l’égard de Mme [M.] n’était pas nécessaire » et que cette surveillante « a effectué un geste non réglementaire, brutal et non maîtrisé ».
Non contente de rappeler le cadre strict de l’usage de la force, la Défenseure des droits souligne aussi le décalage entre les versions coordonnées des agents et les images de vidéosurveillance, rappelant l’obligation pour les agents de rendre compte des incidents tels qu’ils se sont réellement produits. Sans ces vidéos, les allégations de Madame M. auraient en effet été confrontées aux seuls comptes-rendus professionnels mensongers et elle n’aurait jamais pu être reconnue victime de violences injustifiées. Cette affaire interroge donc à nouveau sur la force probante de ces écrits et leur fiabilité lorsque leur auteur est impliqué dans l’incident.
Si la Défenseure des droits a le pouvoir d’enquêter et de faire des recommandations, celles-ci n’ont aucun caractère contraignant, et l’autorité administrative indépendante ne peut ordonner de mesure de réparation. Madame M. envisage désormais des poursuites administratives ou pénales – mais pour ce faire, elle a besoin d’obtenir une copie des images de vidéosurveillance. Elle a entamé plusieurs démarches administratives à cet effet, mais ses demandes sont à ce jour restées lettre morte.
Par Benjamin Giacco
Cet article a été publié dans le Dedans Dehors N°124 : Dix fois plus de suicides en prison qu’à l’extérieur