En vue de l'examen de la proposition de loi « Droit de vote par correspondance des personnes détenues », l'Observatoire international des prisons - section française a partagé avec les commissionnaires aux lois du Sénat son analyse et ses recommandations relatives à l'exercice du droit de vote en prison.
- Décryptage de la PPL
Selon l’article L.12-1 du code électoral, une personne détenue peut actuellement voter :
- par procuration ou dans le cadre d’une permission de sortir[1], en s’inscrivant, au choix, sur la commune
– de son domicile ;
– de sa dernière résidence à condition que cette dernière résidence ait été de 6 mois au moins ;
– de sa naissance ;
– où est né, est inscrit ou a été inscrit sur la liste électorale un de ses ascendants ;
– sur la liste électorale de laquelle est inscrit son conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin ;
– sur la liste électorale de laquelle est inscrit ou a été inscrit un de ses parents jusqu’au quatrième degré.
- ou par correspondance, en s’inscrivant sur la liste électorale de « la commune chef-lieu du département ou de la collectivité d’implantation de l’établissement pénitentiaire, dans un bureau de vote correspondant à la circonscription ou au secteur qui comporte le plus d’électeurs inscrits sur les listes électorales ».
La PPL soumise à votre examen vise à interdire l’inscription des personnes détenues sur la liste électorale de la commune chef-lieu de la collectivité d’implantation de l’établissement pénitentiaire où elles sont incarcérées.
Le vote par correspondance ne serait alors possible que « sur la liste électorale de la commune où [la personne détenue] a élu domicile avant son incarcération ou sur la liste électorale de la commune de résidence d’un ascendant ou d’un descendant. En conséquence, elle sera affectée au bureau de vote correspondant à l’adresse de son domicile personnel ou du domicile d’un des membres de sa famille » (exposé des motifs).
- Enjeux de la PPL
La possibilité de voter dans sa commune d’habitation préalable à la détention serait, dans l’idée d’une normalisation de l’exercice du droit de vote en prison, à saluer.
Dans le cas présent, il n’en est cependant rien : cette possibilité viendrait se substituer à une autre, précisément pensée de manière « simplifiée » pour rendre plus effectif le droit de vote en prison, et ce sans aucune garantie autour de sa mise en œuvre.
En l’état, la PPL risque ainsi d’engendrer des difficultés logistiques en termes d’acheminement des bulletins de vote, telles qu’elle conduirait probablement à une restriction de fait du droit de vote des personnes détenues.
C’est d’ailleurs pour cela que les modalités actuelles du vote par correspondance ont été retenues en 2019. Dans son avis sur la loi organique de 2019, le Conseil d’Etat expliquait ainsi :
« l’obligation de s’inscrire dans un bureau unique dédié à cette modalité de vote vise à éviter les difficultés que comporterait la transmission à une pluralité de bureaux dispersés sur l’ensemble du territoire des bulletins recueillis sous pli fermé au sein d’un établissement pénitentiaire. »
Le rapport du Sénat de 2019 précisait quant à lui que le choix de la commune chef-lieu pour le vote par correspondance constituait :
« un compromis entre deux autres options envisageables.
D’une part, un bureau centralisateur aurait pu être institué au sein du ministère de la justice, sur le modèle de l’expérimentation menée pour les élections européennes. Ce dispositif n’est toutefois pas transposable aux élections comportant plusieurs circonscriptions (élections législatives, municipales, etc.).
D’autre part, les plis des personnes détenues auraient pu être décomptés dans toute commune d’inscription, au-delà des seuls chefs-lieux de département. L’étude d’impact relève toutefois les « problématiques logistiques » d’une telle option, « en raison du nombre très important de communes concernées (potentiellement autant de communes que de détenus inscrits ».
Le rapport ajoutait que le choix de la commune chef-lieu permettait en outre de réduire les risques de déstabilisation du corps électoral régulièrement pointés :
« dans seulement deux communes chefs-lieux le nombre de détenus, donc électeurs potentiels, dépasse 5 % des électeurs inscrits, avec 7,85 % à Évry-Courcouronnes [maison d’arrêt de Fleury-Mérogis] et 6,5 % à Basse-Terre [centre pénitentiaire de Baie-Mahault et maison d’arrêt de Basse-Terre] ».
- Un exercice du droit de vote en prison déjà limité
En complexifiant la procédure, la PPL soumise à vos discussions risquerait de venir annihiler les avancées visant à favoriser l’exercice du droit de vote des personnes détenues, déjà trop timides.
Une telle restriction serait en effet d’autant plus dommageable que le vote par correspondance a permis que le nombre de personnes détenues votant ces dernières années augmente nettement. C’est d’ailleurs une des rares promesses tenues par Emmanuel Macron en termes d’avancée des droits de personnes détenues : lors du discours donné à Agen en mai 2018, il avait en effet affirmé vouloir « que tous les détenus en France puissent exercer le droit de vote ».
Avant, les personnes détenues n’avaient que deux possibilités : voter par procuration, ou demander une permission de sortir pour se rendre aux urnes. Une opération complexe dans les deux cas. Pour voter par procuration, il faut trouver un mandataire inscrit dans la même commune que soi et lui transmettre son choix de vote de manière confidentielle alors que les courriers peuvent être lus et les communications téléphoniques écoutées. Quant à la permission de sortir, toutes les personnes détenues n’y sont pas éligibles[2], à commencer par celles en détention provisoire, qui représentent 26,5% de la population carcérale au 1er février 2025. Surtout, les permissions de sortir sont très rarement accordées.
Pour les élections européennes de mai 2019, 4 560 prisonniers avaient ainsi participé au scrutin dont 4 395 en votant par correspondance. Cela correspondait, au total, à quatre fois plus de votants que lors de l’élection présidentielle de 2017[3].
En dépit de ces progrès, le pourcentage de votants par rapport à la population carcérale disposant du droit de vote restait minime, de seulement 8%. En 2019, en effet, 55 000 personnes sur les 70 000 détenues pouvaient exercer leur droit de vote. Dans les 15 000 exclus, figurent les mineurs, les étrangers non européens et, de manière marginale seulement, les personnes privées par décision judiciaire de leurs droits civiques car, depuis 1994, la privation automatique des droits civiques lors d’une condamnation pénale est abolie.

En 2019, la modalité du vote par correspondance a été pérennisée[4] à compter du 1er janvier 2021[5] et la procédure d’inscription sur les listes électorales a été simplifiée[6]. Cette simplification était essentielle car, comme pour toute démarche administrative, c’est un parcours d’obstacles en prison. Les élections européennes de 2019 avaient en effet permis de mettre en lumière la nécessité de favoriser l’inscription sur liste électorale : seule la moitié des personnes détenues qui avaient manifesté le souhait de voter par correspondance était inscrite sur les listes électorales et avait donc pu le faire.
En juin 2021, pour les élections régionales et départementales, seules 5 000 et quelques personnes incarcérées étaient, selon la direction de l’administration pénitentiaire (Dap), inscrites sur les listes électorales, soit environ 11% des personnes détenues françaises, majeures et non déchues de leurs droits civiques[7].
Enfin, les dernières élections ont témoigné de la poursuite d’une hausse dans le pourcentage de personnes détenues votant parmi les personnes détenues françaises, majeures et non déchues de leurs droits civiques : 22% pour la présidentielle de 2022, 18,5% pour les législatives de 2022, 22,4% pour les européennes de 2024, et 21,8% et 19% pour les deux tours des élections législatives anticipées de 2024. A noter néanmoins que le premier tour de la dernière élection présidentielle avait donné lieu à des dysfonctionnements pratiques dans la mise en œuvre par l’administration pénitentiaire de la procédure du vote par correspondance : 489 bulletins exprimés par des personnes détenues n’avaient pas pu être pris en compte[8]. Ces éléments viennent au contraire confirmer la nécessité de ne pas complexifier la procédure.
- Recommandations
Ces réflexions nous conduisent à recommander, outre le rejet de la PPL qui est soumise à vos discussions, l’instauration de bureaux de vote en prison et la priorisation des permissions de sortir sur toute autre modalité de vote.
Concernant l’instauration de bureaux de vote en prison, c’est le choix qu’ont fait le Danemark et la Pologne, suivant le même modèle qu’à l’extérieur : registre électoral, isoloirs, urne, etc. En Pologne, le taux de participation des personnes détenues en capacité de voter est bien plus élevé : il était de près de 60% lors des élections législatives de 2011[9].
Ce choix permettrait de palier deux problématiques. D’abord, les personnes détenues doivent aujourd’hui exprimer leur choix avant le reste de la population française[10], et avant que ne débute la période de réserve électorale, ces deux jours de trêve médiatique censés « garantir la sincérité du scrutin et éviter toute forme de pressions intempestives sur les électeurs »[11]. Ensuite, le fait que les bulletins de vote des personnes détenues aient été, en 2022, dépouillés à la Chancellerie et que le ministère de la Justice ait décidé de publiciser le résultat des votes des personnes détenues à part – là où, pour le reste de la France, les résultats sont donnés par bureau de vote et donc selon un critère géographique – posent les personnes détenues comme une population à part.
Concernant la priorisation des permissions de sortir sur toute autre modalité de vote, il est essentiel que l’exercice de ce droit civique ne se fasse pas uniquement par correspondance et que cette dernière modalité ne vienne pas se substituer à la permission de sortir. Pourtant, 93% des personnes détenues votant pour l’élection présidentielle de 2022 ont voté par correspondance[12]. Plus largement, le nombre de permissions de sortir accordées dans le cadre d’une élection reste très faible et tend, depuis 2022, à décroître :
- 200 pour l’élection présidentielle de 2017
- 113 pour les élections législatives de 2017
- 55 pour les élections européennes de 2019 (première expérimentation du vote par correspondance)
- 187 et 196 pour les deux tours de l’élection présidentielle de 2022
- 173 et 174 pour les deux tours des élections législatives de 2022
- 140 pour les élections européennes de 2024
- 109 et 92 pour les deux tours des élections législatives de 2024.
[1] Dans la pratique, il paraît néanmoins illusoire de s’inscrire dans une commune géographiquement éloignée de l’établissement d’incarcération si la personne détenue souhaite voter dans le cadre d’une permission de sortir.
[2] Seules les personnes condamnées à une peine de prison inférieure ou égale à cinq ans, ou les condamnés à une peine supérieure mais qui en ont d’ores et déjà effectué la moitié (ou les deux tiers en cas de récidive) peuvent demander une permission de sortir.
[3] Tout juste un millier de personnes détenues avaient pu voter : 800 par procuration, 200 grâce à une permission de sortir.
[4] Loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.
[5] Les personnes détenues ont pu voter par correspondance lors des élections régionales et départementales de juin 2021 mais pas lors des élections municipales de 2020.
[6] Inscription systématique sur les listes électorales, en laissant aux personnes détenues le choix de la commune de rattachement, avec possibilité de vote par correspondante ouverte dans le chef-lieu du département.
[7] Le vote en prison fait son retour pour les élections régionales et départementales (ouest-france.fr).
[8] « Vote par correspondance en prison : près de 500 bulletins non pris en compte ».
[9] 46 101 votants, contre moins de 2,5 % en France (1 112 votants).
[10] Selon la circulaire JUSK2203024C de la direction de l’administration pénitentiaire du 18 février 2022, « les opérations de recueil des votes doivent se tenir dans les établissements pénitentiaires la semaine précédant le scrutin et au plus tard le samedi précédant un scrutin. […] Pour une élection présidentielle Pour le premier tour, les opérations de recueil des votes peuvent se tenir entre le deuxième lundi et le samedi précédant le scrutin. Pour le second tour, ces opérations se déroulent entre le lundi et le samedi précédant le scrutin ». En pratique, donc, le vote par correspondance en prison pour l’élection présidentielle peut se tenir jusqu’à plus de 10 jours avant le vote de la population française.
[11] Conseil constitutionnel.
[12] Ministère de la Justice, « Présidentielle 2022 : large participation des personnes détenues », 29 avril 2022 (mis à jour le 14 février 2023).