« Il revient aux personnes détenues elles-mêmes de faire preuve de bon sens au sein de la cellule et ne pas laisser toujours le même dormir au sol », telle est la préconisation du directeur de la maison d’arrêt de Nanterre, en réponse à un courrier d’avocate du 6 mai au sujet des conditions indignes de détention de son client, jeune majeur dormant sur un matelas au sol dans une cellule partagée avec deux autres personnes détenues. Alors que la surpopulation carcérale atteint au 1er mai un nouveau record, avec un taux d’occupation de 163% en maison d’arrêt et 5 234 matelas au sol, il semble donc que l’administration pénitentiaire n’ait pas d’autre recours que d’invoquer la responsabilité des personnes détenues dans l’amélioration de leurs conditions de détention.
Pour sa première incarcération, D., 19 ans, se retrouve, après dix jours au quartier arrivants, placé directement dans une cellule de 9m2, déjà occupée par deux personnes. Dernier arrivé, il se voit contraint, selon l’usage, d’être celui des trois qui dort sur un matelas au sol. « Je m’allongeais, je ne pouvais plus respirer tellement il y avait de poussière », témoigne-t-il. En raison d’une fuite d’eau dans la cellule, son matelas est imbibé d’eau, ce qui rend tout repos impossible. Il finit par obtenir d’être affecté dans une autre cellule, mais est à nouveau contraint de dormir sur un matelas au sol. La surpopulation, en plus de l’absence totale d’accès aux activités et des conditions de vétusté et d’insalubrité extrêmes à Nanterre rendent son quotidien insupportable : « Je suis en train de vivre un truc que personne ne pourrait vivre plus de 48 heures », confie-t-il à son avocate.
Par deux fois, l’État a été condamné pour l’indignité des conditions de détention à la maison d’arrêt de Nanterre. Dans son ordonnance du 30 juin 2023, le juge avait ordonné des travaux d’urgence, notamment pour le système d’aération, de chauffage et l’installation électrique défaillants, et rappelé que la surpopulation, ainsi que la promiscuité et le manque d’intimité qu’elle engendre, « sont susceptibles d’exposer les personnes qui y sont soumises à un traitement inhumain ou dégradant ».
Pourtant, lorsque l’avocate de D. saisit la direction au sujet des conditions de détention de son client, celle-ci n’annonce aucune mesure susceptible de rendre les conditions de détention un peu plus supportables. Elle se contente de préciser l’effectif historique de l’établissement, 1 160 personnes détenues pour 592 places, effectif « qui n’a jamais été aussi élevé », et 130 matelas au sol. Pire, elle invite à considérer le phénomène comme une fatalité : « Votre mail, comme ceux de vos confrères, ne changeront malheureusement rien à la situation ».
Plutôt que d’en appeler au « bon sens » des personnes détenues pour s’accommoder de conditions de détention indignes, ne serait-il pas largement temps que la justice et l’administration pénitentiaire prennent leurs responsabilités ? L’OIP rappelle que la surpopulation carcérale n’est pas une fatalité, mais un choix politique. Les mesures efficaces sont connues : mise en place en urgence d’un mécanisme contraignant et national de régulation carcérale (à l’instar du Royaume-Uni), dépénalisation de certaines infractions, développement des peines alternatives à l’incarcération, limitation de la détention provisoire, suppression des procédures de comparution immédiate…
Avec un taux moyen d’occupation dans ses prisons de 134 %, de 163% dans les maisons d’arrêt où deux tiers des personnes détenues y sont enfermées, 23 établissements à plus de 200%, et près de 2 000 matelas au sol de plus que l’an dernier, combien de temps l’État français continuera-t-il à faire fi de ses nombreuses condamnations par des juridictions nationales et internationales, et à maintenir les traitements inhumains qu’elle fait subir aux personnes détenues ?
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