Faute de politique réfléchie et harmonisée, faute de moyens, la peine de prison reste sans contenu. Le doublement des crédits alloués aux activités dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme permettra-t-il de rebattre les cartes ? Pas tant que ces activités ne seront pas pensées de manière structurée et qu’elles continueront à s’inscrire dans une logique sécuritaire.
« En théorie, on pourrait presque tout pratiquer à un moment ou à un autre d’une détention (…). Mais d’une part beaucoup de ces activités sont de faible durée (…), d’autre part un nombre restreint de détenus peuvent s’y inscrire. » Tel est le constat dressé, en 2008, par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté au sujet des activités en prison. Une analyse partagée par Jean-René Lecerf, rapporteur du projet de loi pénitentiaire, qui écrit la même année : « Le temps de l’incarcération, qui devrait être un temps utile, reste, en fait, un temps mort. »Et l’obligation d’activité, insérée dans la loi de 2009, pour « rompre avec le désœuvrement dans lequel beaucoup de personnes détenues sont trop souvent laissées », n’y a rien changé. Trois ans plus tard, chargés par le Sénat d’un rapport sur l’application de la loi pénitentiaire, Jean-René Lecerf et Nicole Borvo, font état d’un « bilan dans l’ensemble décevant ».
Le Conseil de l’Europe rappelle que les diverses activités auxquelles participent les détenus doivent les occuper en dehors de leur cellule au moins huit heures par jour
Une heure d’activité par jour et par détenu
La réalité est en effet alarmante, puisqu’en 2014 on atteignait péniblement une heure d’activités en moyenne par jour et par détenu [1], toutes activités confondues (socio-culturelles, sportives, éducatives ou de travail). Si bien qu’en régime portes fermées, comme c’est le cas en maison d’arrêt, la grande majorité des détenus passent en réalité vingt-deux, voire vingt-trois heures sur vingt-quatre à attendre enfermés en cellule, « en regardant la télévision, ou, dans le meilleur des cas, en discutant avec le co-détenu », note la sociologue Yasmine Bouagga. « Inacceptable », pour le Conseil de l’Europe, qui rappelle que les « diverses activités auxquelles participent les détenus doivent les occuper en dehors de leur cellule au moins huit heures par jour ».
En octobre 2014, la direction de l’administration pénitentiaire a fait part de son intention de passer à une offre de trois heures d’activités quotidienne en moyenne d’ici 2017. S’en donne-t-elle alors réellement les moyens ? Difficile à dire, tant le budget de l’administration pénitentiaire manque de transparence, les dépenses liées aux activités en détention ne constituant pas une ligne spécifique. Le budget prévisionnel 2015 prévoyait bien une augmentation des subventions allouées aux associations pour le développement, entre autres, d’activités culturelles et sportives (passage de 4,1 millions d’euros à 5,6), mais nul ne sait comment ces fonds ont été dépensés. Ni s’ils l’ont été entièrement ; l’année précédente, près de la moitié des crédits prévus n’avait finalement pas été consommée. Par ailleurs, cette hausse a été compensée par une baisse des dépenses prévues pour développer le travail pour le compte de l’administration pénitentiaire (service général), alors que le nombre de postes proposés était déjà particulièrement bas (8 400 environ pour plus de 68 000 détenus).
Le ministère de la Justice n’est pas le seul à blâmer. Le champ des activités relève en effet d’une multiplicité de financeurs. En l’absence de politique interministérielle concertée, les ministères de l’Education nationale – pour l’enseignement – et de la culture – pour les actions culturelles – ont leur part de responsabilité dans cette faillite, tout comme les collectivités territoriales. Et les effets de la décentralisation n’ont pas fini de se faire sentir, depuis que la compétence en matière de formation professionnelle a été transférée aux régions pour les prisons en gestion publique et les deux tiers des établissements en gestion déléguée. Pour exemple, la nouvelle majorité francilienne a annoncé mi-février l’arrêt d’un programme pilote qui devait permettre à 500 détenus de se former.
L’« impensé »… ou quand les priorités sont ailleurs
L’insuffisance des moyens en matière d’activités masque en réalité le manque d’une politique nationale réfléchie pour donner à la peine un véritable contenu. Ainsi, pour les sociologues Corinne Rostaing et Yasmine Bouagga, le temps carcéral est tout simplement « impensé ». Résultat : « Il existe en France presque autant de régimes [d’activités] que d’établissements », constate Corinne Rostaing. Réservées à une minorité de détenus et encore majoritairement occupationnelles, les activités sont en outre davantage utilisées à des fins de maintien de l’ordre en détention qu’orientées vers la réinsertion des personnes détenues, soulignent encore les sociologues. Les besoins sont pourtant criants : 22 % des personnes incarcérées éprouvent des difficultés de lecture, 43,4 % sont sans diplôme, et, selon un recensement de 2013, moins d’une sur cinq disposait d’un emploi avant l’incarcération[2]. Mais toute à son devoir de garde, l’administration semble reléguer sa mission « d’intégration » (art. D189 du Code de procédure pénale) au dernier plan de ses préoccupations.
Il faut dire que les politiques pénitentiaires menées depuis quinze ans ont fait le choix d’un tout-sécuritaire peu compatible avec le développement d’activités. A commencer par l’engloutissement du budget dans l’accroissement du parc carcéral et sa sécurisation, avec la construction de nouveaux établissements à la taille démesurée, éloignés des centres urbains et difficiles d’accès, et au fonctionnement privilégiant la télésurveillance sur le contact humain – autant d’obstacles au développement des relations dedans, mais surtout avec l’extérieur. Obstacles auxquels s’ajoute l’obsession du risque zéro, qui empêche de rassembler trop de personnes détenues dans un même lieu, limite le recours aux nouvelles technologies, comme Internet. Mais aussi justifie un contrôle accru sur le contenu des activités et transforme en mission impossible l’obtention de permissions de sortir exceptionnelles dans le cadre d’une activité. Ainsi, la pièce de théâtre mise en scène par Olivier Brunhes avec des personnes détenues de la maison d’arrêt d’Osny a-t-elle dû renoncer à la majorité de ses comédiens : dans le frileux contexte post-attentats, ils n’ont pas été autorisés à se produire sur scène.
2015, un tournant ?
Paradoxalement, cette même logique sécuritaire va changer la donne. Après les attentats de janvier 2015, l’oisiveté contrainte devient beaucoup moins acceptable pour l’administration pénitentiaire. Et le gouvernement. Non parce qu’elle est déstructurante et constitue un frein à l’insertion, mais parce qu’elle est perçue comme « le meilleur moyen de laisser le champ libre au prosélytisme » [3]. Dans le cadre du plan de lutte anti-terrorisme (PLAT), 3,4 millions d’euros supplémentaires ont ainsi été débloqués à compter d’avril 2015 et la dotation 2016 a été portée à 10,6 millions d’euros pour développer les activités. Avec un nouvel objectif : passer à cinq heures d’activités par jour et par personne détenue en 2017.
Après des années de financements précaires, les services pénitentiaires interrégionaux et locaux en charge de l’insertion disposent enfin de crédits leur permettant de mener une politique plus ambitieuse. Et de donner un sens et un contenu à la détention ? Pas vraiment, si l’on en juge par la précipitation dans laquelle ses fonds ont été dépensés. « Vers avril 2015 », raconte Danièle Mercier, présidente d’une association intervenant à la prison de Lille-Annœullin, « j’ai été appelée par le SPIP [service pénitentiaire d’insertion et de probation]. On m’a dit : « Ecoutez c’est urgent, on a reçu beaucoup d’argent. Lundi, il faut que vous nous proposiez des ateliers, chargez vos devis. C’est dans le cadre de la déradicalisation. » Même approche à Lyon-Corbas, où une association qui assure des stages de citoyenneté en milieu ouvert a été contactée pour définir en trois jours un module sur les « emprises carcérales » au quartier arrivants. Ici, des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation ont été associés à la définition du contenu et l’animation du groupe. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Des groupes de parole, comptés comme des activités, et ayant pour thème la laïcité, la citoyenneté, ou encore le vivre ensemble, se sont multipliés un peu partout. Mais dans « la plus grande anarchie », selon SNEPAP-FSU, principal syndicat de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, qui parle de modules parfois « construits en dépit du bon sens, sans évaluation préalable des publics amenés à y participer ». Le syndicat cite le cas d’un service « sollicité le lundi » pour orienter « dans les 48 heures » des détenus sur un module dont il ne savait « rien, ni du contenu, ni des animateurs ». Parallèlement, le Genepi, qui a refusé de s’inscrire dans le PLAT, a vu se réduire ses possibilités d’intervention. « Enormément d’ateliers de revues de presse ont été suspendus » immédiatement après les attentats, déplore sa présidente. « Nos créneaux ont été provisoirement réquisitionnés pour les activités de lutte contre la radicalisation, généralement des groupes de parole. » Un effet de la politique d’affichage dans laquelle s’est enferrée la direction de l’administration pénitentiaire (DAP). Se sentant « très observée » et sommée « d’être en capacité de justifier précisément des crédits obtenus dans le cadre du PLAT »[4], tout ce qui n’y rentre pas formellement ne semble plus prioritaire.
Effet d’aubaine
Le PLAT a néanmoins le mérite, dans certains établissements, de permettre de pérenniser l’existant, l’acquisition de nouveaux équipements sportifs, voire même de financer des actions qui ne devraient pas être assumées par l’administration pénitentiaire, tels les permanences d’accès aux droits sociaux. Pour la DAP, toutes les activités, « quelles qu’elles soient », sont bonnes à prendre : « sport, théâtre, arts plastiques, tout ce qui peut favoriser le lien social… », précise Géraldine Blin, en charge du pilotage du dispositif. Espérons aussi que ces fonds permettront le déploiement de nouvelles activités dans des domaines jusqu’ici délaissés. Pour 2016, la DAP invite ses services à mettre en œuvre des actions « autour du livre, de la danse, de la musique, de l’art plastique, du spectacle vivant », de l’insertion professionnelle ou des modules comme le programme « Parcours ».
Il est toutefois dommage que, dans cette nouvelle donne, tout doive se faire à travers le seul prisme de la « lutte contre la radicalisation ». Le sport est ainsi réduit à un moyen d’« apprentissage de règles communes dans le respect de l’autre », la culture à « un levier contre les replis identitaires ». Comme si ces activités n’avaient d’autre sens.
Par Laure Anelli et Marie Crétenot
Obligation d’activité vs pénurie ou les paradoxes du politique
L’administration n’est pas en capacité de garantir l’accès aux activités à tous les détenus. Pourtant, la loi pénitentiaire de 2009 prévoit que « toute personne condamnée est tenue d’exercer au moins l’une des activités qui lui est proposée »… Pour la sociologue Yasmine Bouagga, « c’est l’une des contradictions du politique. Au moment du débat sur la loi pénitentiaire de 2009, est apparue l’idée que, puisqu’on inscrivait dans la loi des droits des détenus, il fallait aussi inscrire des obligations. Il fallait que les condamnés soient acteurs de leur propre rééducation.
Les parlementaires ont insisté pour introduire une obligation d’activité pour les détenus, sans véritablement mettre les moyens qui allaient avec. Toute l’architecture du système pénal est pensée à travers l’individualisation de la peine, qui doit permettre d’ajuster la sanction pénale aux efforts de réinsertion du condamné ; des efforts de réinsertion que l’on va mesurer en particulier aux activités qu’il va entreprendre pour sa propre réinsertion. Or, l’accès à ces activités est très limité, en particulier en maison d’arrêt. Cela donne lieu à des situations assez paradoxales en commission d’application des peines : compte-tenu des délais d’attente, l’octroi de réductions de peine se décide parfois sur la base de la simple demande d’inscription à une activité, plutôt que sur la participation effective à une activité. Ou est tout simplement refusé. »
[1] DAP, fiche de mise en œuvre du Plan de lutte antiterroriste, 10 mars 2016.
[2] Chiffres Clés DAP, 2015 ; Question écrite n°28679, Journal Officiel, 01/10/2013.
[3] G. Blin in Le Parisien, cahier spécial, 26 février 2016.
[4] DAP, note d’orientations pour l’emploi des crédits PLAT, 16 février 2016.