Depuis onze jours maintenant, le mouvement des syndicats de surveillants et la multiplication des blocages de prisons donnent à voir un système pénitentiaire à bout de souffle. En voulant sortir de ce conflit social au plus vite, le gouvernement a cependant fait le choix de céder à certaines des revendications les plus répressives des syndicats. Une régression qui accélère la plongée de la politique pénitentiaire dans une spirale sécuritaire contreproductive et attentatoire aux droits de l’homme.
« Ce qui nous était demandé par les organisations syndicales [se] retrouve très globalement [dans les propositions] » a reconnu la ministre jeudi soir. Alors que son ministère a amorcé un vaste projet de réforme sur le sens de la peine dans le cadre des Chantiers de la Justice, les annonces du gouvernement Philippe augurent d’une accélération des mutations sécuritaires du système carcéral.
Le gouvernement promet d’abord de massifier une approche ultra-sécuritaire de la prise en charge des détenus considérés comme radicalisés ou dangereux. Le nombre de places réservées dans des « quartiers spécifiques devant garantir les conditions d’étanchéité totale » devrait ainsi exploser : alors que Jean-Jacques Urvoas avait annoncé la création de 125 places au sein de six quartiers pour détenus violents (QDV), le gouvernement envisage de multiplier ce chiffre par dix en proposant 1350 places. L’ancien ministre avait prévenu que « les règles de sécurité les plus strictes leur seront appliquées » avec « fouilles régulières, changements de cellules, limitation des effets personnels… » et restriction des contacts avec les autres détenus. Aujourd’hui, le gouvernement ajoute l’installation de passe-menottes aux portes des cellules et le menottage des détenus durant leurs déplacements. Ce qui ressemble dangereusement au retour des quartiers de Haute sécurité (QHS) dans les prisons françaises, fermés en 1982 par Robert Badinter qui dénonçait leur « régime inhumain ».
La pratique du regroupement, qui conduit à rassembler des personnes aux « niveaux d’ancrage très disparates » dans la radicalisation, avait par ailleurs été épinglée par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL). Car, comment imaginer que les soumettre à un régime extrêmement coercitif et stigmatisant, propre à nourrir le sentiment de désaffiliation et à renforcer leur adhésion à une identité commune, puisse contribuer à contenir leur ressentiment et à les faire renouer avec la société ? Si les détenus concernés n’ont plus aucun espoir de réhabilitation, si la façon dont ils sont étiquetés en fait des personnes n’ayant plus rien à perdre, le principal risque est de les voir s’ancrer dans le cercle vicieux de la violence.
Ces quartiers s’ajoutent aux 150 places déjà prévues dans les quartiers d’isolement pour les détenus jugés les plus dangereux. Or, les effets délétères de l’isolement total sur les détenus sont connus, au point que cette pratique a été qualifiée de « torture blanche »[1] : altération des sens, déstabilisation des repères spatio-temporels, décompensation psychologique… « Pour la plupart, l’isolement prolongé rend complètement fou. La mort psychique qui en résulte est un phénomène très inquiétant », raconte un praticien. « En l’absence de relations humaines, soit la personne parle toute seule, soit elle ne parle plus. Très vite, sa pensée devient anémiée, car il n’y a plus de mots, mais la recherche de sensations immédiates. Donc des automutilations, des gens qui se cognent la tête contre le mur… »
En outre, loin d’être réservée à la prise en charge des détenus considérés comme dangereux, la démarche sécuritaire du gouvernement contamine l’ensemble de la prison. En témoigne la proposition d’étendre les possibilités de poursuites disciplinaires contre les détenus ou de créer de nouvelles sanctions « infra-disciplinaires » pour réprimer « certains actes mineurs ». Mais aussi, le projet à peine masqué[2] de réformer l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009 pour permettre à nouveau un usage massif des fouilles à nu en détention, pratique pourtant condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme comme attentatoire à la dignité humaine[3]. Et ce pour quel gain en matière de sécurité ? En 2016, la CGLPL relevait en effet qu’ « aucune donnée significative ne permet de démontrer que l’instauration par la loi pénitentiaire d’un cadre restrictif de recours aux fouilles a eu pour conséquence d’augmenter l’introduction d’objets interdits en détention ».
La voie dans laquelle s’engage le gouvernement est donc celle d’une atteinte massive aux droits fondamentaux des personnes détenues en remettant au goût du jour des dispositifs abandonnés pour leur nocivité et leur antagonisme profond avec les droits de l’homme. Sans que cette régression ne garantisse que soit atteint l’objectif de sécurité qu’elle prétend poursuivre. Ainsi que l’expliquait très récemment l’ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté Jean-Marie Delarue[4], « ce n’est pas en multipliant les mesures de force et de contrainte que l’on va renforcer la sécurité dans les prisons. […] Plus de sécurité, c’est renforcer le modèle français dans ce qu’il a de plus négatif. Je crois qu’il faut dans l’intérêt même des surveillants renforcer un lien de confiance, construire les détenus comme des personnes responsables et à ce moment-là la sécurité reviendra dans les prisons. »
« Reconnaître la prison comme une violence institutionnelle nous semble être un préalable à toute réflexion sur les causes et les réponses » à apporter aux violences, affirmait le Syndicat national des directeurs pénitentiaires en 2010. Or, avec ces propositions, le gouvernement passe à côté des causes de cette violence : les conditions indignes de détention, aggravées par la surpopulation, l’absence de sens d’une peine sans contenu, la déshumanisation des relations entre surveillants et personnes détenues, la confiscation de la parole et de tout moyen de protestation…
En allant dans le sens de certaines revendications des syndicats de surveillants, le gouvernement fait le choix de ne pas écouter d’autres voix, qui au sein de l’administration pénitentiaire, ont pu appeler à une autre politique ces dernières années. Enterrées, les conclusions d’un groupe de travail composé de personnels pénitentiaires et de chercheurs qui, afin de réduire la violence en prison, appelait en 2007 l’administration pénitentiaire à « questionner et mettre à plat l’ensemble de son dispositif sécuritaire défensif » et « donner sa place à la dignité des relations sociales en développant la vie sociale en détention » – donc à l’exact opposé de ce qui est proposé aujourd’hui, où l’accent est mis sur l’isolement et la répression. Oublié, le Rapport Brunet-Ludet[5] sur l’expression collective des détenus qui expliquait qu’« il est nécessaire de pouvoir construire un système de relations sociales internes qui associe la parole de ceux qui sont gardés avec celles de ceux qui gardent afin de désamorcer certains conflits, de libérer l’espace de la parole et de créer les échanges sociaux, propres à tout milieu où des hommes vivent ensemble et cohabitent, fût-ce malgré eux. » L’illusion sécuritaire semble avoir de beaux jours devant elle.
Contact presse : Pauline De Smet – 07 60 49 19 96
[1] Ainsi que le soulignait la CNCDH en 2004 dans une étude sur les droits de l’homme en prison, 11 mars 2004.
[2] Cf tract de l’UFAP du 25 janvier 2018.
[3] CEDH, 2006, Frérot c. France.
[4] Invité des Matins de France Culture, mardi 23 janvier 2018.
[5] Le droit d’expression collective des personnes détenues, 2010.