Au cours de la journée du 14 novembre, plusieurs plages d’échanges entre la salle et les organisations partenaires ont été aménagés, l’occasion d’élargir le débat et d’approfondir certaines questions. Extraits de quelques interventions.
« une chance qui ne se retrouvera pas »
Robert Badinter, sénateur et ancien garde des Sceaux. « […] J’ai été stupéfié quand j’étais à la chancellerie de voir la résistance sociale à l’amélioration de la condition des prisonniers. […] Durkheim avait raison. Durkheim disait que dans la pénalité, il y a toujours le mot peine et que ce à quoi aspire ceux qui sont hors de la prison, c’est que la prison soit douloureuse, qu’elle soit une peine […] où celui qui a manqué à la loi doit souffrir. Le vrai problème est là et je ne cesserai jamais de le dire. […] Il y a un ressentiment profond à cet égard qui ne peut se dissiper qu’à la condition d’explications, de faire mesurer que c’est de l’intérêt général, que quand on entre en prison on en sort, et qu’on ne doit pas en sortir pire qu’on y est entré, etc. Et c’est extraordinairement difficile. […] Mais l’occasion, la création de ces États généraux, c’est politiquement une chance qui ne se retrouvera pas, croyez-moi, de sitôt si nous la laissons passer. C’est pour cela que depuis le début, je milite au côté de l’OIP. Je me dis que nous avons là une chance politique exceptionnelle, lié aussi au calendrier. Pour le reste, pas besoin de vous le dire, vous connaissez la réalité politique, vous connaissez la vie française. Quand c’est qu’on obtient quelque chose, à part dans ces moments privilégiés ? Quand on descend dans la rue… Les prisonniers descendent dans la rue ? Quand on est un lobby puissant qui peut bloquer le fonctionnement de la société… Les prisonniers sont un lobby puissant qui peut bloquer le fonctionnement de la société ? Je pourrais continuer. Ici, c’est seulement nous, ceux qui sont hors de prison et peuvent agir pour eux […]. La tâche est difficile, le moment exceptionnel, il faut agir et je pense qu’on peut cette fois-ci y parvenir. Je ne vois pas d’autres moyens. »
« Les victimes parlent de prévention plutôt que d’incarcération »
Liliane Daligand, professeur de médecine et membre du conseil scientifique de l’INAVEM (Institut national d’aide aux victimes et de médiation). « […] Est-ce que les victimes ont un droit de regard sur la sanction et sur l’exécution de la peine ? Les associations d’aide aux victimes sont assez partagées sur cette question. Personnellement, je pense que les victimes doivent participer au processus judiciaire, dans la mesure où c’est parce qu’elles ont été victimes, parce qu’elles ont témoigné, que l’infraction va être qualifiée, que le procès va avoir lieu. Mais il me semble que la victime n’a pas son mot à dire sur la sanction elle-même. Ce n’est pas elle qui doit dire “Je demande telle peine“, ni, me semble-t-il, son avocat. Ce n’est pas elle qui juge. […] Les victimes que je rencontre ne demandent pas forcément l’incarcération. Je veux insister là-dessus. Les victimes ne répondent pas du tout à toute infraction uniquement par “prison, prison, prison“. La plupart souhaitent avant tout que l’auteur reconnaisse les faits et, surtout, qu’il y ait une sanction, même symbolique, qui arrête son geste de délinquance, ses infractions. Quasiment toutes les victimes se sont interrogées sur le rôle de la prison, sur son efficacité, et elles en sont arrivées aux mêmes conclusions que nous. À savoir que la prison, ce n’est pas l’idéal et qu’il vaut peut-être mieux faire éviter la prison aux délinquants, même à leurs propres délinquants, et entamer un travail de réflexion personnelle, de prévention. Les victimes parlent de prévention plutôt que d’incarcération. On se trompe quand on pense que les victimes réclament à corps et à cris la prison, voire la peine de mort. Elles effectuent un véritable travail sur la sanction, réfléchissent au sens de la peine et à l’inefficacité des prisons. Beaucoup serait très surpris s’ils écoutaient mieux les victimes. […] »
« À quoi servent les prisons ? »
Henry Malberg, responsable des questions justice au Parti communiste. « […] Il faut avoir le courage de dire que la sécurité ce n’est pas d’abord une question de répression, […] mais qu’il faut poser la question de fond du rapport avec la crise morale de la société, avec la crise sociale et avec le déficit d’espoir. […] Pour que la porte ne se referme pas, il faut faire ce que vous faites, demandez aux représentants des partis politiques qu’ils s’expriment clairement dans les mois qui vont venir. Il faut aussi pousser quelques questions : Quelles réponses de tous ordres à la délinquance de la jeunesse ? À quoi servent les prisons ? À quoi servent en prison les courtes peines ? Et il faut avoir le courage comme en 1981 de parler des longues peines et de la perpétuité. […] »
« Mon souvenir de garde des Sceaux, c’est la honte. »
Marylise Lebranchu, députée du Finistère et ancien garde des Sceaux. « [Le projet de loi pénitentiaire,] c’est dix mois de travail, des séances extraordinaires, une participation incroyable, dans une fenêtre ouverte. […] En Bretagne, il y a des mois noirs. Le mois de novembre 2001 a été plus noir que tous les autres. J’avais réuni des parlementaires des commissions d’enquête et des personnes du ministère de la justice, qui m’ont dit “On n’y arrivera plus. Il n’y aura plus de consensus possible“. […] J’en veux, personnellement, au Président de la République pour son discours du 14 juillet 2001 sur l’insécurité, sur le droit, sur le fait que la justice ne fonctionnait pas, et de ce renversement extraordinaire qui nous a conduits à ce mois de novembre. […] J’ai mal vécu 2002. Le texte était prêt. Je me disais qu’on allait le reprendre au parlement, qu’il allait passer tout de suite, parce que nous allions gagner. Mais nous avons perdu. Si le texte avait été voté, je n’aurai pas regretté 2002. […] J’aurai voulu qu’on soit battu en 2002 parce que nous avions pris le contresens de l’opinion publique et parce que nous avions été impopulaires. […] Je pense que la prison doit être l’ultime recours et que c’est de là qu’il faut partir. […] J’ai peur que si les bâtiments s’améliorent, s’il y a des douches, etc., l’ultime recours ne soit plus à l’ordre du jour. C’est horrible ce que je vais dire, mais certains détenus le disent avec moi : Tant qu’il y aura des prisons sales et insalubres, on pourra peut-être parler de la prison comme d’un ultime recours, mais le jour où, comme aux États-Unis, les prisons seront propres […], nous aurons tout perdu. […] Une revue bretonne m’a interrogé sur mon souvenir de garde des Sceaux. C’est la honte. C’est d’avoir honte des prisons, c’est d’avoir honte de ne pas avoir fait passer le texte. Je peux vous dire que les retours des citoyens lambda, ceux qui apparemment préfèrent la sécurité, la vengeance, le karcher ou autre, ces retours sont excellents. Donc, si nous sommes courageux enfin, il faut que ce texte passe, qu’il y ait un vrai débat parlementaire. […] »
« de simple bon sens »
Laure Baste-Morand, présidente de l’association Le Verlan et présidente d’honneur de l’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP). « J’ai eu la très grande surprise de voir il y a un mois un sortant de prison malade qui avait eu une libération conditionnelle et sorti sans papiers, sans carte vitale. On lui a donné un chèque du montant de l’argent qu’il avait sur son pécule, mais bien entendu il ne pouvait pas ouvrir de comptes en banque. Et comme il voulait habiter Marseille et qu’il faut sept semaines pour avoir une carte d’identité, on pouvait se poser la question de savoir pourquoi dans la constitution d’un dossier de libération conditionnelle, il n’y a pas l’établissement d’une pièce d’identité. C’est ce genre de détails qui sont de simple bon sens que l’administration pénitentiaire devrait avoir mis au point. Il y a une autre question que je voudrais poser : Est-il légal que 500 personnes soient “détenus particulièrement signalés“, qu’ils n’aient aucun droit à la vie sociale, qu’ils puissent être mis pendant des années à l’isolement, qui peuvent quelque fois ne pas participer aux offices, non sur une décision judiciaire mais sur une décision administrative prise par le ministère ? »
« Il est important d’avoir un contrôle externe »
Tassadit Imache, membre de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). « Tout le monde est conscient qu’il est important d’avoir un contrôle externe. Ce qui nous frappe depuis le début, c’est combien il est important pour les détenus que leur parole, leur témoignage, soient pris en compte. Notre travail est aussi l’occasion pour les surveillants de dire ce qu’il en est en effet des réalités, de leur travail, de leurs difficultés et de certains problèmes ou de certaines pratiques qui ne devraient plus être de cet âge. […] Nous avons fait des propositions, certaines ont été prises en compte, mais beaucoup de choses restent à faire. Nous sommes également très conscients de notre responsabilité, et notamment de notre propre déontologie. Lorsque nous nous rendons dans un établissement pénitentiaire, que nous entendons des détenus, qu’ils nous font confiance, que certains surveillants aussi évoquent des difficultés, nous sommes tout à fait conscients des enjeux et des espoirs que nous soulevons. […] Nous sommes tout à fait conscients que les choses évoluent lentement et que, une fois que nous sommes partis, que nous avons rendu un avis, que nous sommes plus ou moins entendu, les détenus eux sont pour la plupart toujours en prison. […] »