Édito, par Cécile Marcel.
« Il est vrai que j’ai un casier judiciaire qui ne joue pas en ma faveur, j’ai commis un délit et j’ai été condamné. Je paie ma dette en étant privé de liberté, c’est déjà beaucoup. Pour la première fois de ma vie, je porte plainte ce qui vaut un appel au secours. » Ainsi commence cette lettre d’une personne détenue, qui raconte ensuite comment elle a été passée à tabac par un groupe de surveillants dans sa cellule en septembre dernier : « Tout le monde voulait mettre son coup, coups de rangers dans la tête, coups de poing, de pied. »
Combien de fois avons-nous, à l’OIP, reçu ces courriers désespérés et en colère de détenus qui déclarent avoir été violentés par des personnels pénitentiaires et demandent que justice leur soit rendue ? Alors que faire ? Les encourager à porter plainte auprès du procureur de la République, à voir un médecin pour se faire délivrer un certificat médical, les mettre en contact avec un avocat… Nous faisons tout cela, mais quelles seront leurs chances de voir un jour leur plainte aboutir ? Les inviter à saisir le Défenseur des droits, alerter nous-mêmes les organes de contrôle, évidemment aussi… Mais là encore, combien de saisines déclencheront une enquête, combien aboutiront à une décision et, dans cette hypothèse, quelles chances y a-t-il que les recommandations du Défenseur des droits soient entendues par l’administration ? Choisir plutôt de faire éclater l’affaire au grand jour ? Nous nous y efforçons, mais outre que cela peut mettre le détenu en danger, il nous faut vérifier, documenter, étayer les faits, une mission souvent impossible face à une institution qui, sur ce sujet, n’a jamais autant mérité son surnom de « petite muette ».
Alors, en consacrant un rapport d’enquête ainsi qu’un numéro spécial de notre revue aux violences perpétrées par des personnels pénitentiaires, ce n’est pas une affaire que nous souhaitons faire éclater au grand jour, mais tout un système. Un système qui permet à ces violences de se perpétuer, quand bien même elles resteraient le fait d’un petit nombre. Un système où des dysfonctionnements en série font qu’aucun des acteurs et institutions ne joue son rôle de garde-fou, où chacun s’en remet à l’autre pour rendre une justice qui, le plus souvent, ne vient pas. Un système enfin, sur lequel repose une chape de plomb. À l’heure où les violences policières sont régulièrement pointées du doigt, rappelons qu’il est un autre espace, non public, où la légitimité de la violence étatique devrait être questionnée et où aucun débordement ne devrait être toléré : la prison.