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À Beauvais, violences et humiliations

Violences physiques, agressions verbales, fouilles à nu abusives, harcèlement : les alertes concernant le comportement du personnel du centre pénitentiaire de Beauvais parviennent en nombre à l’OIP. La situation n’est pas nouvelle : fin 2020 déjà, le Contrôle général des lieux de privation de liberté dressait un constat alarmant.

Ouvert en 2015, le centre pénitentiaire de Beauvais est un établissement moderne, doté de « végétation et de lumière afin de créer une atmosphère apaisée »[1] et relativement peu sujet à la surpopulation[2]. Pourtant, depuis plusieurs années, les témoignages de détenus affluent, décrivant des violences physiques et psychologiques perpétrées par des surveillants, des fouilles à nu abusives, des insultes racistes, des menaces, des intimidations. « Que dire de la maison d’arrêt de Beauvais si ce n’est que j’y ai été déshumanisé, sali et humilié au quotidien ? », écrit un homme l’été dernier. En décembre 2020, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) avait réalisé une visite non annoncée de la prison, après avoir reçu « un nombre important de signalements » pointant la fréquence et les modalités des fouilles intégrales ainsi que les provocations, violences verbales et physiques des surveillants sur les détenus[3].

Deux ans plus tard, la situation reste inchangée. Des détenus et leurs proches continuent d’alerter sur le comportement des surveillants : « Ils nous cherchent sans arrêt », affirment plusieurs personnes incarcérées faisant l’objet de brimades et de remarques au regard de leur motif d’incarcération, leur orientation sexuelle ou leur couleur de peau. « Par exemple, une fois, l’équipe de surveillants est passée à côté d’un détenu qui a discuté avec moi, et ils lui ont lancé “Alors, tu sers la main à des jihadistes ?”, illustre un homme. Une autre fois, ils ont réveillé un détenu à deux heures du matin pendant leur ronde de nuit, ce dernier s’est énervé, et les surveillants ont crié bien fort à l’étage “Ferme ta gueule, pointeur !” » En février dernier, une détenue transgenre aurait fait l’objet d’insultes de la part d’une surveillante qui lui aurait dit : « Vu la gueule que tu as, je plains tes enfants. »

Plus inquiétants encore, malgré l’intervention du CGLPL en 2020, des témoignages faisant état de violences physiques continuent de nous parvenir. « Je vous écris pour vous signaler des violences par des surveillants au quartier disciplinaire (QD). Des détenus se font tabasser et restent nus pendant des heures quand ils y sont placés », alerte un détenu en février dernier. Une détenue transgenre explique que les surveillants l’ont « jetée par terre » sur le chemin du QD, ont « resserré ses menottes », lui ont « pincé [les] parties intimes ». Quelques jours plus tard, toujours au QD, ils l’auraient « plaquée par terre en étoile de mer, avec un genou maintenant sa tête au niveau de la joue, un autre genou sur la colonne vertébrale » et lui auraient « arraché une poignée de cheveux. » Ils auraient ensuite pratiqué une fouille intégrale dans des conditions d’atteinte à son intégrité physique.

Véritable secret de polichinelle, ces violences sont la plupart du temps passées sous silence. « Les surveillants frappent les détenus les plus vulnérables », précise une personne incarcérée. « Ceux qui subissent ces violences ne font aucune démarche pour se défendre : ils n’ont ni les outils ni la motivation pour le faire », complète une autre. Pour justifier les débordements, des agents rédigeraient de faux comptes-rendus d’incident (CRI) : « Des CRI imaginaires, explique un détenu. Très souvent ils écrivent que le détenu les a menacés “de les retrouver une fois dehors”. »

L’activité disciplinaire est d’ailleurs soutenue – voire même, comme l’indique la Contrôleure, « nettement plus importante que celle pratiquée dans des établissements accueillant une population pénale analogue en nombre et en profil »[4]. Elle occasionne presque toujours des sanctions qui sont pour l’essentiel des placements en cellule disciplinaire, avec ou sans sursis. Ainsi, sur 667 procédures en 2021, 623 ont entraîné le prononcé d’une sanction, dont 224 placements en cellule disciplinaire (et 355 avec sursis). Des procédures en partie nourries par la fréquence des fouilles corporelles – et en particulier des fouilles intégrales.

Fouilles à nu récurrentes et humiliantes

« Je suis fouillé à nu après chaque parloir, même si c’est un parloir avocat », expose ainsi un détenu en février 2022. Un autre estime qu’il est fouillé à nu quatre fois sur cinq après les parloirs. Et même lorsque le parloir est vitré, la compagne d’un détenu indique que ce dernier est fouillé intégralement avant et après chacune de leurs rencontres. Les décisions ne sont généralement pas notifiées aux personnes détenues. Néanmoins, il s’agit de décisions administratives communicables[5]. Or, une personne détenue précise : « J’ai demandé le justificatif de ces fouilles, et la direction a répondu qu’on ne communiquait pas ces documents aux détenus », précise l’un d’eux. Lors de sa dernière visite, le CGLPL soulignait également : « Les fouilles à corps ne sont pas […] toujours motivées. »

Un temps, l’administration justifiaient la fréquence de fouilles à nu, pratiquées aussi à l’issue des promenades, par le volume particulièrement élevé des projections de colis à Beauvais (6440 projections en 2020). La mise en service de l’équipe locale de sécurité pénitentiaire (ELSP) en mai 2021 a fait chuter le nombre de ces projections – 2174 en 2021 – mais pas celui des fouilles, dont la pratique demeure banalisée à l’issue des parloirs : « Les objets illicites ou dangereux parviennent [aux personnes détenues] soit par projection en service de nuit, […] soit par le biais des visites au parloir », justifie le rapport d’activité de l’établissement.

Pire, ces fouilles à nu sont régulièrement effectuées dans des positions humiliantes et déshumanisantes. « Il y a toujours plusieurs surveillants, et la porte du local n’est jamais fermée complètement », commente un détenu. Un autre décrit : « Une fois qu’on est déshabillé, […] les surveillants nous font faire une flexion, et ils se baissent pour voir notre anus. » Un troisième dépeint des fouilles intégrales « particulièrement poussées. Les surveillants écartent les fesses des détenus ». Des pratiques interdites par les textes[6], qui prévoient notamment que la fouille à nu doit être réalisée en principe par un seul agent, dans un local situé à l’abri des regards extérieurs, et qu’il ne peut en aucun cas être demandé au détenu de se pencher une fois déshabillé. Les conditions de réalisation des fouilles avaient déjà été pointées par le CGLPL en 2020 : « De très nombreux détenus ont témoigné de modalités de fouille dégradantes, telles que des ordres du personnel de surveillance de “faire des squats”, de prendre la position “du pantin désarticulé”, de soulever les testicules ou encore de s’écarter fortement le pli fessier pendant les fouilles. Des images de vidéosurveillance faisant apparaître des surveillants accroupis, regardant longuement l’anus de la personne détenue fouillée ont été visionnées par les contrôleurs. Les fouilles sont réalisées devant plusieurs surveillants, jusqu’à six, parfois hors des salles de fouille alors que l’établissement pénitentiaire en est richement pourvu. »

Des agents inexpérimentés et mal encadrés

Le manque d’expérience d’une grande partie des agents ainsi qu’un défaut d’encadrement expliqueraient en partie ces dérives. « Ce sont des bandes de petits jeunes qui jouent les cowboys », lance un détenu. Fin 2020 le CGLPL décrivait un personnel « peu expérimenté, peu contrôlé et peu évalué. » Deux ans plus tard, le problème persiste. « Je suis à Beauvais depuis quatre ans, et j’ai vu les choses évoluer mais pas dans le bon sens. Beaucoup de nouveaux surveillants sont arrivés. Ils répondent aux détenus avec des insultes, de la violence physique et psychologique », constate un homme. Comme dans de nombreux établissements neufs, construits loin des zones urbaines, le centre pénitentiaire peine à séduire durablement les agents. Le turn-over y est donc important(7), malgré la mise en place d’une prime de fidélisation(8). Cette même année, sur un effectif total de 278 surveillants, 34 nouveaux sont arrivés, pour beaucoup des sortants d’école. Ainsi, 38 % des agents étaient âgés de moins de 30 ans(9), et près de 75 % (208 agents) avaient une expérience dans l’administration pénitentiaire de moins de cinq ans. Un regrettable cocktail : « Le turn-over récurrent et une faible ancienneté conduisent à des procédures professionnelles peu ou mal intégrées, et qui peinent à s’installer durablement, a fortiori quand la rotation des personnels s’opère au niveau de l’encadrement », concède la direction de la prison. En effet, au manque d’expérience des nouveaux agents s’ajoute celui des premiers surveillants, censés assurer leur encadrement. En 2021, dix-sept premiers surveillants ont été affectés à Beauvais en sortie d’école, sur un total de trente postes(10).

Saisie au sujet de ces violences et brimades et interrogée sur les solutions qu’elle comptait y apporter, l’administration affirme avoir engagé des démarches, comme celle d’augmenter les effectifs d’officiers « pour permettre le tutorat des personnels de l’établissement ». Une formation à la « gestion des conflits » est proposée depuis 2020 aux personnels « pour s’aguerrir à la mécanique de désescalade de la violence ». Cette formation – non obligatoire – a vocation à « répondre à la faible expérience des personnels, confrontés à la frustration des personnes détenues, le but étant de pouvoir infléchir les tensions en disposant d’outils ou techniques adaptées »(11). Elle a été suivie par 107 personnes. Il existe également une formation « déontologie », mais celle-ci n’a réuni que 21 participants en 2021.

Malgré la mise en place de ces quelques mesures, les comportements dénoncés se reproduisent parmi certains agents, et la situation n’évolue pas. Les détenus sont à bout : « Il y a tout pour craquer ici, je n’en peux plus », se désole un détenu, quand un autre déclare : « J’ai une enfant de deux ans dans la région parisienne. On me propose une affectation au centre de détention de Maubeuge, et même si c’est très loin de chez moi, c’est un sacrifice que j’accepte car je préfère partir d’ici. »

Par Pauline Petitot

Cet article provient du Dedans Dehors N°116 : Peines nosocomiales, quand l’enfermement n’en finit pas

[1] Rapport d’activité 2021 du CP de Beauvais.
[2] 610 détenus pour 586 places, soit un taux d’occupation de 104 % en maison d’arrêt au 1er septembre 2022.
[3] CGLPL, Rapport de visite de la deuxième visite du CP de Beauvais, 3 au 11 décembre 2020.
[4] C’est-à-dire environ 600 détenus, majoritairement âgés de 18 à 30 ans, et incarcérés pour atteintes à la personne et/ou infractions liées à la législation sur les stupéfiants.
[5] Circulaire du 15 juillet 2020.
[6] Article R.57-7-81 du code de procédure pénale, circulaire du 15 juillet 2020.