Free cookie consent management tool by TermsFeed

Aux origines de la « mutinerie » d’Aiton

Le 31 mai dernier, cinq détenus montaient sur le toit du préau du centre pénitentiaire d’Aiton. À l’origine de cette action, les conditions de détention, mais également la politique de la juge de l’application des peines, considérée comme trop sévère.

Si les médias locaux se sont fait l’écho, début juin, de ce qu’ils appellent une « mutinerie » dans la prison d’Aiton, rien n’a en revanche filtré sur les motivations des détenus. Ces derniers protestaient en partie contre le régime carcéral, jugé plus strict que dans d’autres centres de détention. « Celui d’Aiton partage ses infrastructures avec le quartier maison d’arrêt. Ça a des conséquences sur les activités proposées. Il y a par exemple moins de sport qu’ailleurs », explique un surveillant. Mais cette question n’était pas l’unique revendication des détenus : ils réclamaient également un transfert dans une autre prison, où ils pourraient être suivis par un autre magistrat en charge de l’application des peines. Ce problème n’est pas nouveau. En 2016 déjà, un mouvement collectif avait éclaté au centre pénitentiaire. À l’époque, le rapport de l’inspection générale de la justice relevait que l’origine des incidents « s’avér[ait] multiple et s’expliqu[ait] dans une large mesure par une politique d’aménagement des peines jugée trop sévère par une grande partie de la population pénale ». La situation ne semble pas avoir évolué depuis.

« Les aménagements sont accordés au compte-goutte et très souvent à la toute fin de la condamnation – six mois, un an avant la fin de peine – pour les plus chanceux », explique un ancien détenu. Un avocat du barreau d’Albertville renchérit : « J’ai eu des dossiers très bien ficelés, avec des avis favorables de tous, même du parquet, auxquels la juge de l’application des peines a opposé un refus. Quand j’ai des clients qui sont placés ailleurs, je leur dis : surtout, restez-là-bas ! » Un constat partagé par d’autres avocats intervenant régulièrement au centre pénitentiaire.

Dans le dernier rapport d’activité du service d’application des peines, on peut relever que sur les 258 jugements rendus en 2019, 73 ont octroyé une mesure d’aménagement de peine. Ce taux (28 %) est inférieur à ceux constatés dans d’autres centres pénitentiaires : à Bourg-en-Bresse en 2017, sur les 467 jugements prononcés, 229 accordaient un aménagement de peine, soit un taux d’acceptation de 49%.

Les chiffres sont similaires à Salon-de-Provence en 2017 (56 %), à Marseille (55 %) ou encore à Roanne (47 %) – ils sont cependant à relativiser, selon une source judiciaire, car en dehors de Roanne et Aiton, ces juridictions incluent les désistements dans les décisions d’octroi. Par ailleurs, parmi les libérations conditionnelles accordées aux détenus d’Aiton, près de la moitié étaient des libérations conditionnelles expulsions. Cette mesure, plus facilement octroyée puisqu’elle ne nécessite aucun suivi dans le pays d’accueil, reste éloignée de la philosophie de l’aménagement, qui devrait favoriser l’insertion sociale.

Face à des possibilités d’aménagement de peine qui apparaissent plus faibles qu’ailleurs, un certain découragement semble avoir gagné les détenus d’Aiton. « Souvent, les gars savent qu’ils vont essuyer un refus et baissent les bras, ils se résignent à aller au bout de leur peine », explique un avocat. Un renoncement qui gagnerait d’autres acteurs de la détention : « Il y a chez les Cpip [conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation] aussi, à mon sens, un certain découragement. On le voit dans des dossiers qui ne sont pas proposés. Il y a de l’autocensure quand on sait qu’on va à l’échec », abonde un autre avocat. Un surveillant complète : « Les détenus n’ont plus confiance dans le système de réinsertion. Certains ne veulent plus participer aux entretiens avec les Cpip car ils savent que ça ne débouche sur rien. » De son côté, la juge de l’application des peines (Jap) pointe le travail des Cpip, déplorant dans son rapport d’activité 2019 « plusieurs insuffisances », des transmissions de rapports « tardives » ou encore « une baisse de la qualité des projets proposés » en 2019. « Le travail des Cpip est happé par la maison d’arrêt. Et le processus d’aménagement de peine est une longue chaîne, dont le Jap n’est que le maillon final », abonde une source judiciaire. Elle explique aussi le moindre taux d’aménagement par le manque d’activités, dû au caractère mixte du centre pénitentiaire : « C’est un centre de détention qui est un peu une maison d’arrêt bis. Il y a moins d’activités, il est donc plus difficile de prouver des efforts sérieux de réinsertion. »

Jouer la carte de l’incident pour être transféré, un pari « risqué »

Face à cette situation, certains détenus espèrent être transférés. « Ils connaissent des gens incarcérés dans d’autres prisons pour la même affaire ou des affaires similaires, et les voient sortir plus rapidement. Forcément, ils nous disent qu’ils veulent changer d’établissement », explique le surveillant. Les temps d’attente pour un transfert vers certaines prisons sont cependant tellement longs que les détenus jouent parfois la carte de l’incident en espérant faire l’objet d’un transfert disciplinaire, généralement exécuté dans les jours qui suivent. « J’ai connu plusieurs mouvements pour forcer le transfert vers d’autres centres de détention, où la politique des Jap était jugée “moins pire”, comme Saint-Quentin ou Roanne », explique un détenu. Un pari « risqué » selon un juge de l’application des peines, la personne pouvant non seulement ne pas se retrouver dans le bon établissement, mais aussi se voir supprimer ses crédits de réduction de peine pour faute disciplinaire.

En attendant, à Aiton, la situation en matière d’aménagements des peines mine l’ambiance de l’établissement et les relations des détenus avec les surveillants. « Ça se ressent sur notre boulot, on a des tensions palpables avec des détenus qui ont l’habitude d’être très corrects. Il y a des dossiers bétons, avec aucun incident en détention, et les permissions de sortir sont refusées : les mecs montent en pression », explique un surveillant. « Pour moi, une partie des agressions, des mouvements, des rebellions est due à ça : il est dit qu’à Aiton, on ne sort pas », analyse un avocat.

De manière générale, si la politique d’aménagement des peines peut être génératrice d’incidents, elle peut aussi, à l’inverse, contribuer à apaiser le climat d’une détention. « Ça me semble logique, explique un juge de l’application des peines. Ces mesures représentent des soupapes qui permettent d’apaiser la détention. S’il y a des espoirs de voir une demande d’aménagement satisfaite, ou de bénéficier de permissions de sortir, il me paraît cohérent que les détenus se disent qu’ils ont intérêt à se tenir à carreau. Il est aussi certain que tous les aménagements qui permettent de faire sortir les personnes contribuent à faire baisser la surpopulation, ce qui induit une moindre tension en détention. » À Roanne, le directeur du centre du détention avait ainsi souligné en 2017[1] une baisse des phénomènes de violences – en dépit de l’augmentation de la population pénale –, faisant un lien entre la politique d’application des peines menée par le magistrat nouvellement en place et l’apaisement de la détention.

par Charline Becker

[1] Rapport sur l’application des peines dans le TGI de Roanne, année 2017.