Plus de dix ans après sa création, l’assignation à résidence sous surveillance électronique (Arse), mesure censée se substituer à la détention provisoire, peine à décoller. Alors que le projet de loi de confiance dans l’institution judiciaire entend encourager son prononcé, décryptage des raisons de ce blocage.
Depuis la loi pénitentiaire de 2009, il est possible pour les magistrats de recourir à la surveillance électronique avant le jugement, comme une alternative à la détention provisoire. L’assignation à résidence sous surveillance électronique (Arse) consiste, comme son nom l’indique, à astreindre à son domicile une personne mise en examen à des horaires précis, et à veiller au respect de cette contrainte grâce à un dispositif de surveillance électronique capable de détecter la présence de la personne porteuse du bracelet. Mais onze ans après sa création, la mesure peine à s’imposer. En mai 2021, 423 personnes étaient placées sous Arse(1), quand le nombre de détenus prévenus dépassait les 18 500. Quant à l’Arsem, version mobile réservée aux infractions passibles d’au moins sept ans de prison et d’un suivi socio-judiciaire, elle concernait tout au plus cinq personnes. Comment expliquer ce flop auprès des magistrats ?
Incompatible avec l’urgence des débuts de procédure
La mesure est d’abord jugée trop lourde à mettre en oeuvre, particulièrement en début de procédure. Préalable indispensable, une étude de faisabilité (enquête devant permettre de déterminer si une mise sous Arse est techniquement possible(2)) doit avoir été diligentée par les services pénitentiaires d’insertion de probation. Or, « l’urgence des enquêtes judiciaires fait qu’il n’y a pas vraiment la possibilité pour les services de réunir les informations, explique Emmanuel Rodriguez, juge d’instruction représentant de l’Union syndicale de la magistrature (USM). Concrètement, c’est parfois impossible matériellement : il faut récupérer les coordonnées des personnes hébergeantes, parfois le téléphone est sous scellé, les personnes mises en examen n’arrivent pas forcément à citer de mémoire le numéro de leurs proches… » Des obstacles qui deviennent insurmontables quand les personnes sont sans domicile, bien qu’il soit en théorie possible d’être placé sous assignation à résidence dans un foyer. « Quand on est dans des configurations d’urgence où il faut décider d’un jour à l’autre que faire de la personne, on n’a pas forcément accès à ces types d’hébergements, où en général il y a de l’attente », complète Anne-Sophie Wallach, du Syndicat de la magistrature (SM).
En outre, « on n’est pas du tout aidés par l’institution, tout est fait pour que ça nous donne du travail supplémentaire : il n’y a pas de trame, on n’a aucun annuaire fiable, mis à jour pour savoir qui contacter pour réaliser l’enquête de faisabilité, poursuit la magistrate. Et puis elle met parfois un mois à nous revenir… Ça nous fait perdre du temps, c’est lourd, et au total, ça dissuade de l’utiliser ». Dans les faits, lorsque l’Arse est prononcée, « c’est surtout après une première période de détention provisoire. C’est rarement fait immédiatement », relève Anne-Sophie Wallach. Et encore moins dans le cadre de la comparution immédiate, procédure rapide par excellence génératrice de courtes mais nombreuses périodes de détention provisoire(3), dont le côté expéditif apparaît tout bonnement comme antinomique avec la mesure.
Le reproche formulé à l’égard de l’Arse tient aussi à son aspect « chronophage » pour des professionnels bien souvent débordés. En cause : la fréquence des alarmes qui émailleraient la mesure, et qui seraient le plus souvent dues à des retards justifiés a posteriori, mais aussi à des dysfonctionnements techniques. « C’est lourd pour tout le monde, souffle Emmanuel Rodriguez. Pour le justiciable parce qu’il est en stress dès qu’il bouge un peu, pour les services gestionnaires de la mesure parce que ça génère de la paperasse, et pour le magistrat qui doit traiter ces rapports. »
« Pas adaptée »
Si l’Arse est si peu employée, c’est plus fondamentalement parce que les magistrats doutent de la pertinence de la surveillance électronique à un stade présententiel. « L’Arse n’est pas adaptée aux cas de figure dans lesquels on prononce généralement la détention provisoire, explique Anne-Sophie Wallach. Si l’on craint que la personne récidive, ou si l’on veut prévenir des pressions sur la victime ou éviter des concertations avec des coauteurs le temps que l’enquête soit terminée, cette mesure offre moins de garanties que la détention provisoire. » « Elle ne permet pas non plus de s’assurer que la personne sera présente à l’audience : un gros malfrat qui veut se mettre en cavale ne sera pas impressionné par la rupture du bracelet », complète un juge d’instruction – un argument qui joue également en défaveur de l’Arsem. Pour Emmanuel Rodriguez, de l’USM, l’Arse souffre d’un « positionnement compliqué entre la détention provisoire, plus sécurisante, et le contrôle judiciaire », qui peut comporter le même type d’obligations, les contraintes techniques et la souffrance associée en moins. « L’Arse, ça permet juste de s’assurer que la personne est chez elle de telle heure à telle heure. Si on ne veut pas qu’une personne quitte les environs, qu’elle entre en contact avec une autre ou qu’elle se rende dans certaines zones, un contrôle judiciaire serré, avec des obligations et interdictions adaptées, est souvent suffisant tout en étant plus respectueux des libertés des personnes », souligne le juge. Du point de vue des magistrats et tout bien considéré, « le plus souvent, soit la détention provisoire s’impose, soit un contrôle judiciaire suffit », résume Anne-Sophie Wallach.
Enfin, un ultime élément – pour le moins problématique du point de vue de la présomption d’innocence – expliquerait la frilosité de certains magistrats : le fait que le temps passé sous Arse soit déductible de la peine de prison qui sera éventuellement prononcée. Cela revient à concevoir la détention provisoire comme une pré-peine, que l’assignation à résidence sous surveillance électronique ne saurait à leur sens égaler.
par Laure Anelli
(1) Article 131-4-1 du Code pénal.
(2) Dans leur enquête de faisabilité, les Spip s’assurent que trois critères soient réunis : qu’il y ait un domicile, que celui-ci soit alimenté de façon continue en électricité et que les personnes hébergeantes ou partageant le domicile consentent à la mesure.
(3) Lorsque la formation de jugement ne peut se réunir immédiatement (le week-end par exemple) ou que l’audience a fait l’objet d’un renvoi. La Commission de suivi de la détention provisoire évoquait dans son rapport 2017-2018 15 000 placements en détention provisoire dans le cadre d’une comparution immédiate pour l’année 2016. Ces placements durent en moyenne quinze jours, et la moitié n’excède pas trois jours.