Après le rejet d’une première requête concernant l’indignité des conditions de détention au centre pénitentiaire de Saint-Étienne La Talaudière, le tribunal administratif a ordonné, le 29 mars, deux mesures marginales, qui seront sans effet sur les atteintes graves aux droits fondamentaux que subissent les personnes incarcérées dans cet établissement. Il porte au passage un coup de canif supplémentaire au droit à un recours effectif.
Après le rejet d’une première requête concernant l’indignité des conditions de détention au centre pénitentiaire de Saint-Étienne La Talaudière, le tribunal administratif a ordonné, le 29 mars, deux mesures marginales, qui seront sans effet sur les atteintes graves aux droits fondamentaux que subissent les personnes incarcérées dans cet établissement. Il porte au passage un coup de canif supplémentaire au droit à un recours effectif.
La prison de Saint-Étienne est notoirement surpeuplée, vétuste et insalubre. Au 1er janvier 2023, le taux d’occupation au quartier homme était de 158,1 %, et de nombreuses personnes détenues étaient contraintes de partager une cellule à trois, l’une d’elles dormant sur un matelas posé au sol. À cette promiscuité s’ajoute un manque d’intimité : seule une demi-cloison faite d’une planche de bois extrêmement fine complétée d’un drap sépare les toilettes du reste de la cellule. « La surpopulation carcérale est un enfer pour les détenus » et source de tensions accrues au sein de l’établissement, relevait ainsi la députée Andrée Taurinya lors d’une visite effectuée en novembre 2022, à laquelle une journaliste de l’Observatoire international des prisons (OIP) a pu se joindre.
Les personnes détenues dans l’établissement sont en outre exposées à la grande vétusté des locaux et équipements : en août 2022, une partie du toit s’est ainsi envolée et une poutre se serait effondrée en pleine coursive. L’eau s’infiltre dans les cellules par les châssis des fenêtres, les murs sont cloqués et des flaques se forment régulièrement au sol. L’état du quartier disciplinaire est particulièrement déplorable. « Les murs sont couverts de graffitis, parfois de couleur marron. Nous nous demandons si des déjections ont été utilisées afin de couvrir le mur qui n’a pas été nettoyé depuis longtemps. Le sol est insalubre. Les toilettes sont entièrement rouillées. Des détritus sont coincés entre la fenêtre et la grille extérieure obstruant davantage les minces filets de lumière », relevait la députée. La situation n’est pas mieux à l’extérieur : jonchées de déchets, les cours de promenade n’offrent ni préau, ni sanitaire en état de fonctionnement. L’eau de pluie stagne faute d’écoulement, créant une flaque empêchant l’accès aux cabines téléphoniques. Dans le couloir extérieur qui mène aux cours, l’odeur est un mélange d’ordures et d’urine et les rats prolifèrent. À ces conditions sanitaires désastreuses s’ajoutent de graves carences dans l’accès aux soins : en novembre 2022, le délai d’attente pour voir le psychologue s’élevait à plus d’un an.
Cette situation n’est pas nouvelle. En 2019, un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) dressait un état des lieux alarmant des conditions de détention dans l’établissement et demandait à l’administration de garantir des conditions dignes d’incarcération. Le rapport dénonçait également un usage abusif des fouilles intégrales et les conditions indignes dans lesquelles elles étaient pratiquées. Les personnes détenues étaient notamment régulièrement fouillées à nu dans les douches, « à la chaîne » selon leurs mots, et sans intimité. Une pratique humiliante, qui se poursuivrait encore aujourd’hui, d’après de récents témoignages reçus par la section française de l’OIP.
Début mars, l’OIP et l’Association des avocats pour la défense des détenus (A3D) ont saisi le juge des référés de cette situation et demandé que soit prise en urgence une série de mesures afin d’y remédier[1]. Par une ordonnance de tri rendue le 10 mars 2023, le juge des référés a dans un premier temps rejeté cette requête, estimant notamment que « les requérants ne justifi[aient] pas d’une situation d’urgence impliquant qu’une mesure visant à sauvegarder des libertés fondamentales doive être prise dans un délai de quarante-huit heures. »
Cette décision, comme l’appréciation qui la fondait, était en contradiction flagrante avec la jurisprudence constante élaborée par le juge des référés en matière de conditions indignes de détention. Depuis plus de dix ans, des procédures de référé-liberté ont en effet été engagées avec succès pour agir contre les conditions indignes de nombreuses prisons : aux Baumettes, à Ducos, Nîmes, Fresnes, Remire-Montjoly, Nouméa, Faa’a Nuutania, Lorient, Toulouse ou encore Bordeaux[2]… Certaines de ces décisions ont par ailleurs été rendues par le Conseil d’État en formation collégiale, ce qui leur confère une autorité particulière. Elles montrent de façon unanime que, saisi de conditions de détention similaires à celles dénoncées à la prison de Saint-Étienne, le juge des référés a toujours estimé qu’il était de son office d’ordonner à l’administration d’engager des mesures visant à améliorer la situation – même lorsqu’elles découlaient de certains facteurs structurels (surpopulation, vétusté, etc.). Dans ces affaires, l’urgence a donc systématiquement été retenue. Et comment pourrait-il en être autrement, alors que plusieurs centaines de personnes sont quotidiennement exposées à des traitements inhumains et dégradants ? L’ordonnance initiale rendue par le juge des référés de Lyon n’était donc pas simplement discutable. Elle allait frontalement à l’encontre d’une politique jurisprudentielle claire et constante, régulièrement confirmée par des formations solennelles du Conseil d’État.
Les associations requérantes ont donc déposé un nouveau référé, citant ces diverses jurisprudences. Si celui-ci a été audiencé, la décision, rendue le 29 mars par le magistrat qui avait rejeté la requête initiale, est particulièrement décevante. Seules deux injonctions ont été retenues, l’une relative à la sécurisation d’un parafoudre et l’autre à la distribution régulière et gratuite de produits et objets de nettoyage nécessaires à l’entretien des cellules. En se contentant d’ordonner deux mesures mineures, le tribunal décide ainsi de fermer sciemment les yeux sur l’état désastreux de la prison de Saint-Etienne. Cette décision ne peut de surcroît qu’inquiéter sur l’interprétation de son office par le juge administratif et sur l’effectivité de son contrôle du respect, par l’administration, des droits et libertés fondamentales. L’OIP et l’A3D prévoient donc d’en faire appel devant le Conseil d’État.
Par Charline Becker
Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°118 – avril 2023 : Violences faites aux femmes, la prison est-elle la solution ?
[1] « Conditions de détention indignes à la prison de Saint-Etienne : des associations saisissent la justice », communiqué conjoint de l’OIP et de l’A3D, 9 mars 2023.
[2] T A Marseille, 13 déc. 2012, n° 1208103 ; CE, 22 déc. 2012, n° 364584; TA Fort-de-France, 17 oct. 2014, n° 1400673, CE, ord., 30 juill. 2015, n° 392043,TA Melun, 6 oct. 2016, n° 1608163 ; TA Melun, 28 avr. 2017, n° 1703085 ; CE 28 juill. 2017, n° 410677, CE, ord., 4 avr. 2019, n° 428747 et TA Guyane, 14 déc. 2022, n°2201749, CE 19 oct. 2020, n° 439372, CE, 2 mars 2021, n°449514, TA Rennes, 17 mars 2021, n°2101070, TA Toulouse, ord., 4 oct. 2021, n° 2105421, TA Bordeaux, 11 oct. 2022, n°2205214.