L’avis du 6 février 2014 du Contrôleur général sur la mise en œuvre de la rétention de sûreté tombe à point nommé. En guise de bilan des quatre premiers placements entre 2011 et 2013 au Centre socio-médico-judiciaire de sûreté de Fresnes (CSMJS), le réquisitoire est sévère.
L’un des retenus y a été « placé à tort le 24 août 2013 ». Il avait été condamné à une peine de dix ans de réclusion alors que la procédure ne peut concerner que des personnes condamnées à une peine d’au moins quinze ans. C’est au terme de « 88 jours de privation de liberté irrégulière » que la mesure a été levée. Les trois autres personnes ont été placées conformément aux dispositions de la loi, selon la procédure d’urgence, pour manquement aux obligations imposées dans le cadre d’une surveillance de sûreté.
Pour autant « la seule inobservation des obligations dont est assortie une surveillance de sûreté ne caractérise pas d’évidence » un état de « dangerosité » justifiant une rétention de sûreté, estime Jean-Marie Delarue. Ce qu’illustre le cas des deux personnes qui se trouvaient au Centre lors de la visite du Contrôle, du 9 au 11 octobre 2013. « L’une a méconnu sciemment les obligations de la surveillance de sûreté parce qu’elle estimait elle-même (pour des raisons liées à sa psychologie) que sa place était en rétention de sûreté ; les facultés de compréhension de l’autre étaient telles qu’il mesurait sans aucun doute assez mal la portée des contraintes qui lui étaient imposées », estime le Contrôleur. Et de s’insurger : « l’absence d’estime de soi » et des « ressources intellectuelles limitées » ne sauraient suffire à établir un « état de dangerosité ». En outre, les premiers retenus ayant été placés pour des durées allant de 41 à 88 jours, le Contrôleur souligne qu’il s’agit d’échéances « pendant lesquelles il était vain d’espérer une modification de leur état ». Dès lors, quel pouvait être le bien fondé de ces décisions ? N’étaient-elles pas basées sur un « constat d’origine contestable » ? Le Contrôleur porte un regard tout aussi sévère sur les modalités d’exécution de la mesure. Alors que la rétention de sûreté est présentée dans la loi de février 2008 comme une « prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de la mesure », donc comme « un instrument d’évolution destiné à mettre fin au caractère “dangereux’’ de la personne », précise le Contrôleur, les conditions de rétention observées sont « loin de répondre aux objectifs assignés par la loi. En premier lieu, l’inactivité des personnes retenues est la règle: rien n’est organisé pour leur occupation. Il n’existe, par exemple, […] aucun projet éducatif, aucune activité professionnelle, non plus qu’aucune activité de plein air. » Abandonné devant son poste de télévision, l’un des retenus entendus fait part de son angoisse : « C’est un centre fantôme, mais moi je suis là, je suis bien réel ». Il précise : « Nous avons trois visites d’un quart d’heure par semaine (infirmier du SMPR, psychiatre, CIP) ; le reste du temps on ne voit personne. Les personnels ne sont présents qu’à l’ouverture et à la fermeture des portes et pour distribuer les repas ».
Alors que trois des quatre retenus l’ont été pour manquements à leur obligation de soins, le projet de prise en charge thérapeutique, qui « repose essentiellement sur des thérapies de groupe » n’a pu être mis en œuvre, compte tenu du « faible nombre de personnes retenues ». L’administration s’est opposée à leur participation à des groupes thérapeutiques organisés à l’unité psychiatrique du centre pénitentiaire de Fresnes, car « aucun texte ne permet cette possibilité ». Aucun des quatre n’a en outre bénéficié, à sa sortie, d’un suivi spécialisé pour auteurs d’infraction à caractère sexuel, ce qui aurait probablement été bien plus utile qu’une rétention dont le Contrôleur souligne la « vacuité ». Il a beau s’en défendre, le Contrôleur interroge la mesure de rétention de sûreté en elle-même, ou tout au moins « le bien-fondé d’une privation de liberté appliquée aux personnes ayant méconnu les obligations d’une surveillance de sûreté ». « L’enchaînement des causes » ayant conduit les retenus au CSMJS (condamnation à une réclusion criminelle de plus de quinze ans pour un des motifs pour lesquels la rétention de sûreté peut-être ordonnée ; placement sous surveillance judiciaire puis sous surveillance de sûreté et non respect des obligations de cette dernière), constitue pour le Contrôleur un échafaudage juridique fragile. Il conduit « à une redéfinition ou à une modification de la portée de la peine », qui pourraient être sanctionnées au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Sera- t-il entendu, alors que s’ouvrent les débats parlementaires sur un projet de réforme pénale renonçant à la promesse socialiste de supprimer la rétention de sûreté ?
Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Avis du 6 février 2014 relatif à la mise en œuvre de la rétention de sûreté et Rapport d’enquête au Centre socio-médico-judiciaire de sûreté du 16 décembre 2013