Dans une note de novembre 2013, la direction de l’administration pénitentiaire précise les modalités de « prise en charge des détenus particulièrement signalés ». Un régime coercitif d’exception, qui viole les engagements de la France en matière de droits de l’homme.
Ils appartiennent « à la criminalité organisée ou aux mouvances terroristes », ils sont signalés « pour une évasion réussie ou un commencement d’exécution d’une évasion », qui peut avoir eu lieu de nombreuses années auparavant ou ils sont « susceptibles d’actes de grande violence », là encore sans qu’une évolution ne soit nécessairement prise en compte 1. Ils figurent au répertoire des « détenus particulièrement signalés » (DPS) et seraient environ 300. Une note de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) du 8 novembre 2013, non publiée, précise le régime qui leur est applicable. Axé sur une surveillance permanente et l’application automatique de mesures de contraintes élevées.
Une insulte aux RPE
Les « mesures spéciales de haute sécurité ou de sûreté […] doivent être appliquées à des individus et non à des groupes de détenus », indiquent les Règles pénitentiaires européennes2, adoptées par la France et dont l’administration pénitentiaire a fait sa feuille de route depuis 2006. La note DAP de novembre dernier prévoit à l’inverse qu’« un DPS est automatiquement placé sous surveillance spécifique renforcée ». Ce régime implique un « contrôle oeilleton […] réalisé à chaque ronde » de nuit, au cours duquel « l’agent rondier a pour mission de […] veiller à ce que le barreaudage soit visible et s’assurer de son intégrité ». Soit un réveil toutes les deux heures pour certaines personnes, en raison du bruit occasionné par l’oeilleton et de l’allumage de la lumière. Tombée dans l’oreille d’un sourd, la demande du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), en 2012, « de revoir les modalités de la surveillance nocturne des DPS. En particulier, l’éclairage des cellules ne devrait être allumé, la nuit, qu’en cas de nécessité avérée. (3) » Idem pour celle formulée par l’OIP, dans un communiqué du 13 février 2014 : que soit formellement proscrit tout réveil nocturne, la privation de sommeil pouvant s’apparenter à un traitement cruel, inhumain et dégradant, selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Secret médical aux oubliettes
Toutes les consultations médicales des DPS en milieu hospitalier doivent se dérouler « sous la surveillance constante du personnel pénitentiaire avec moyen de contrainte » (menottes et/ ou entraves), ajoute la note de la DAP. En 2004, le CPT avait pourtant demandé aux autorités françaises d’« amender » la réglementation en vigueur, « considérant que tous les examens/ consultations/soins médicaux de détenus doivent toujours s’effectuer hors de l’écoute et – sauf demande contraire du médecin concerné dans un cas particulier – hors de la vue du personnel d’escorte » (4). Pour la CEDH, le recours aux moyens de contrainte devrait être exceptionnel, apprécié au cas par cas, et non appliqué de façon générique à une catégorie de détenus (5).
La DAP exige en outre que les moyens de contrainte soient « renforcés » lors des trajets, notamment par « l’utilisation de la ceinture abdominale », à laquelle la note recommande d’associer une « chaîne de conduite » reliant le détenu à son escorte. Un dispositif « prohibé » par les Règles pénitentiaires européennes (règle 68-1). Lors d’une hospitalisation dans une Unité hospitalière sécurisée, « la présence de personnels des ERIS [équipes d’intervention, couramment appelées le GIGN pénitentiaire], armés, au sein de l’unité », peut également être décidée. Ils viennent renforcer les personnels de surveillance déjà affectés à ces structures.
La dignité si vite oubliée…
Au quotidien, les agents pénitentiaires se doivent d’« observe(r) le DPS ». Au centre de l’attention, son « comportement […] avec le personnel et les partenaires, ses relations en détention (ex. : a-t-il une aura en détention ? Est-il repéré comme leader ?), [ses] liens avec l’extérieur, ses habitudes en détention… ». La vigilance est de mise, par exemple, lorsqu’« un DPS [est] habillé chaudement, alors que les conditions météorologiques ne le nécessitent pas ». Les cellules font l’objet d’un « contrôle quotidien », d’une fouille « a minima une fois par mois » et de « fouilles approfondies » régulières. Les familles des DPS ne sont pas épargnées : « une attention doit être portée sur [leurs] relations avec les autres familles mais également sur leur comportement avec les agents ». Au parloir, « une surveillance visuelle peut être exercée en continu » et « le contrôle de la correspondance écrite et téléphonique peut être amplifié ».
De leur côté, les RPE affirment que « le bon ordre dans la prison doit être maintenu en prenant en compte les impératifs de sécurité, de sûreté et de discipline, tout en assurant aux détenus des conditions de vie qui respectent la dignité humaine » (règle 49).
La DAP semble omettre la seconde partie de la phrase.
Par Barbara Liaras
1. Circulaire du 15 octobre 2012
2. Règle 53-6, Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les Règles pénitentiaires européennes
3. CPT, Rapport au gouvernement de la République française relatif à la visite du 28 novembre au 10 décembre 2010
4. CPT, Rapport relatif à la visite effectuée dans le département de la Réunion du 13 au 20 décembre 2004
5. Par exemple Radkov et Sabev c/ Bulgarie, 27 mai 2014