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Dire ce qu’il faut faire pour que la prison change

La consultation des acteurs du monde pénitentiaire a fait émerger un grand nombre d’attentes. Pour que cette prise de parole se transforme en perspectives concrètes, les États généraux sont entrés dans une seconde phase. Objectif : créer les conditions d’émergence d’une politique de réforme dynamique et profonde.

S’appuyant sur les constats partagés et les attentes convergentes exprimés par les acteurs du monde pénitentiaire au cours de la consultation, ainsi que sur le renversement de perspectives proposé par les instances françaises et européennes de protection des droits de l’homme, les organisations participantes aux États généraux ont travaillé ensemble à l’élaboration de trois documents : des « cahiers de doléances », un « manifeste » et une « déclaration finale ».

de la consultation au manifeste

Directement issu de la consultation, le premier document compile en 110 pages les éléments de réforme les plus souvent retenus par les répondants, ordonnés en quatre grandes thématiques : le respect des droits de l’homme dans la prison, le contenu du temps passé en prison, les soins pour les personnes malades détenues et la préparation à la sortie de prison. Dans chacune de ces parties, sont en outre rappelés le pourcentage de personnes qui ont énoncé telle ou telle attente, des extraits des réponses aux questions ouvertes qui figuraient en conclusion du questionnaire, ainsi que les recommandations en la matière du Conseil de l’Europe, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, des rapports d’enquête parlementaires de 2000, etc., le tout enrichi d’éclairages ponctuels sur certaines « bonnes pratiques » étrangères, voire françaises. Ainsi constitués, ces cahiers de doléances ont nourri la réflexion des États généraux et abouti au manifeste. Composé de deux parties, ce manifeste réunit, de façon plus synthétique, les « éléments déterminants de la transformation de la condition pénitentiaire » (lire p.48), mais également « les conditions d’élaboration de la réforme » (p.52). En effet, « tirant les enseignements de la période récente », et notamment du renoncement des gouvernements et parlements qui se sont succédés depuis 2000 à voter une loi pénitentiaire, les États généraux ont souhaité formuler des « éléments de méthode » et des « principes d’élaboration » de la réforme. Par exemple, la loi pénitentiaire « ne saurait être laissée aux bons soins du seul ministère de la justice », mais « devrait être confiée à une “mission interministérielle pour la réforme de la condition pénitentiaire“, conduite par une personnalité “incontestable et incontestée“ et composée des représentants de tous les ministères concernés mais aussi de personnalités qualifiées de la société civile ». Enfin, des cahiers de doléances et de ce manifeste, les États généraux ont tiré la déclaration finale, c’est-à-dire les dix principes fondamentaux, constitutifs d’une « profonde réforme du régime des prisons et des droits des personnes privées de liberté », qui ferait de l’enfermement une sanction de dernier recours, placerait la prison dans l’État de droit et affirmerait la réinsertion comme une mission centrale de l’administration pénitentiaire (p.64).

la journée de clôture

L’ensemble de ces documents ont été rendus publics le 14 novembre 2006, au cours d’une journée de « clôture » qui s’est tenue à la Maison de la Radio, à Paris, et durant laquelle les organisations participant aux États généraux ont réitérés collectivement leur détermination à faire aboutir les revendications exprimées lors de la consultation (p.56). À cette occasion, différentes personnalités, fortement investies dans la protection des droits des détenus, ont apporté leur soutien à la démarche, dit leur espoir de la voir aboutir et l’impératif d’y parvenir. Le Premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet, est ainsi venu rappeler la nécessité d’une loi pénitentiaire et d’un contrôle extérieur (p.46). Joël Thoraval, président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, est également intervenu au cours de l’après-midi, afin de mettre en perspective les résultats des États généraux avec les recommandations de la Commission et insister sur la nécessité « de changer notre regard sur la réalité du monde carcéral » (p.60). Marc Nève, du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), Nathalie Duhamel et Tassadit Imache, de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, Liliane Daligand, de l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation, ou encore l’ancienne garde des Sceaux Marylise Lebranchu, étaient également présents (p.62). Mais aussi des personnes anciennement détenues, des proches de personnes incarcérées, des médecins intervenant en prison, des visiteurs, etc. Ponctuée de débats et de la diffusion de dix courts-métrages (lire ci-contre), la journée s’est achevée par la lecture, par Robert Badinter, de la déclaration finale, et par son adoption à l’unanimité des participants.

un appel à l’engagement des candidats

Les États généraux ont décidé de soumettre cette déclaration aux candidat(e)s à la Présidence de la République, afin que chacun(e) prenne position et s’engage. Pour les organisations participantes en effet, s’il est clair que la réforme doit mobiliser l’ensemble des pouvoirs publics, impliquer la société civile et déboucher sur un débat national, il l’est tout autant qu’un engagement personnel et sans ambiguïté des candidats est la condition sine qua non pour qu’enfin soit mise en œuvre la réforme tant attendue, et tant de fois repoussée. La campagne électorale constitue en cela un « moment privilégié » et qui, a souligné Robert Badinter, « ne se représentera pas de sitôt ». Comment obtenir une telle réforme autrement ? « Quand on descend dans la rue… Les prisonniers descendent dans la rue ? Quand on est un lobby puissant qui peut bloquer le fonctionnement de la société… Les prisonniers sont un lobby puissant qui peut bloquer le fonctionnement de la société ? » C’est lors des élections présidentielles et législatives de 1981 que s’est joué le sort de la peine de mort en France. C’est certainement dans les prochains mois que sera scellé le sort de la prochaine réforme des prisons. Adeline Combet et Stéphanie Coye


Une mobilisation médiatique sans précédent

Du lancement de la consultation à la journée de clôture, en passant par la présentation des résultats, chaque moment fort des États généraux aura bénéficié d’une large couverture médiatique. Si la mobilisation de journaux comme Libération ou Le Nouvel Observateur n’étonnera pas – l’intérêt de leur rédaction pour la question des prisons n’étant plus à démontrer –, l’investissement d’une radio publique, d’une chaîne de télévision privée et d’une société de production doit être particulièrement souligné. Considérant « vital qu’une démocratie soit interrogée sur le sort qu’elle réserve à ceux qui sont devenus ces enfants les plus fragiles » et qu’il fallait pour cela donner à la démarche des États généraux « l’écho journalistique qu’elle méritait », France Inter a en effet choisi de soutenir la démarche, en accueillant la journée de clôture dans ses locaux et en consacrant, le 20 octobre comme le 14 novembre, plusieurs émissions à l’événement. Autres partenaires, Canal + et Cinétévé, une société de production présidée par Fabienne Servan Schreiber, ont décidé d’accompagner la démarche en mettant un place un dispositif exceptionnel, afin de « lever un peu le voile » et « ainsi enclencher une prise de conscience du plus grand nombre, motiver le débat, et faire évoluer les mentalités sur ce problème fort contemporain auquel aucun citoyen ne peut rester insensible ». Dans un premier temps, la chaîne cryptée a diffusé, dès le 1er novembre et pendant dix jours, une série de petits programmes, produits par Cinétévé et réalisé par Jean-Pierre Gras. Intitulés « Prisons hors la loi », ces modules d’1mn45 pointaient l’écart entre les textes législatifs ou règlementaires, rappelés par des personnalités,(1) et leur application dans les prisons françaises, au travers de témoignages de proches de personnes incarcérées ou d’anciens détenus. Pour compléter ce dispositif, Canal + a en outre invité, le 14 novembre, plusieurs membres des États généraux dans ses émissions avant de diffuser, en première partie de soirée, des courts-métrages réalisés en prison et un documentaire, intitulé « La honte de la République ». Produit également par Cinétévé contre vents et marées, ce fi lm est construit autour de témoignages, d’images d’archives et de reconstitutions, son réalisateur, Bernard George, n’ayant pas obtenu l’autorisation de filmer en détention. Qualifi é de « coup de poing » par le magazine culturel Télérama, ce film a pour objectif, selon Fabienne Servan Schreiber, d’ « alerter l’opinion publique sur l’état de nos prisons, indigne d’un pays démocratique ». Parce que, explique Bernard George, « si la télévision doit servir à quelque chose, c’est sur ce terrain là qu’il faut agir ».

(1) Julien Clerc, Patrick Poivre d’Arvor, Florence Aubenas, Albert Jacquard, Bruno Solo, Véronique Vasseur, Sandrine Bonnaire, Bernard Kouchner, Christine Boutin et Sylvie Testud. Ces programmes peuvent être regardés sur le site de l’OIP (www.oip.org)

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