Il y a deux ans et demi, j’ai été recrutée par l’hôpital de Draguignan comme kinésithérapeute à la maison d’arrêt.
« Un contrat à 50 %. En pratique, cela signifie 3 heures par jour, du lundi au vendredi… pour plus de 700 détenus.
Chaque jour, je peux voir six personnes. Six personnes sur 700.
Parmi elles, une vingtaine sont en fauteuil roulant. La prison de Draguignan est supposée être adaptée aux personnes en situation de handicap.
Alors je fais des choix. Forcément.
Chaque matin, j’ouvre ma boîte aux lettres, où m’attendent les demandes de soin. Il y en a au moins une par jour, souvent plus. Elles ont déjà été triées par l’administration pénitentiaire, puis par le médecin. Et malgré cela, je dois dire non.
Je dois refuser. Je me sens mal. Tous les jours.
J’ai demandé du matériel de base pour exercer correctement mon métier : un simple coussin demi-lune à 30 euros. Refusé.
On m’a répondu : “Il n’y a pas de budget pour la prison.”
J’ai attendu six mois pour obtenir une bouteille d’huile de massage. En attendant, mes mains se sont abîmées, ma peau s’est déchirée.
Je me demande : l’hôpital facture mes actes, non ? Alors pourquoi ai-je le sentiment d’être juste un numéro ?
Et pourquoi faire semblant que notre maison d’arrêt “a une kiné” alors que je ne peux pas faire mon travail ?
Je suis enfermée, moi aussi, dans une pièce, sans moyens. Avec la violence latente, les conditions indignes, et cette impuissance.
Alors oui, je vais arrêter. Et je suis triste. Triste pour les personnes détenues, privées de soins. Triste de devoir abandonner une mission que j’ai acceptée avec conviction.Triste surtout de voir à quel point on les oublie.
Et je veux que chacun se rappelle : la prison, ça peut arriver à tout le monde. »
Témoignage reçu à la permanence de l’Observatoire international des prisons le 23 juin 2025
Après la lecture de ce témoignage, poursuivez la réflexion avec notre revue Dedans Dehors dédiée à l’accès aux soins spécialisés en prison (juillet 2022) — un dossier plus que jamais d’actualité. Les besoins de santé en détention sont immenses. Non seulement les personnes détenues présentent, en moyenne, un état de santé plus dégradé que la population générale, mais leurs conditions de détention les rendent encore plus vulnérables. Pourtant, les obstacles à une prise en charge de qualité sont nombreux. Le suivi médical nécessaire à certaines pathologies apparaît souvent incompatible avec les contraintes sécuritaires et matérielles de l’enfermement. C’est ce que révèle cette enquête fouillée à lire dans ce numéro toujours disponible à la commande en cliquant ici.