Ce lundi 16 juin à 15h, l'assemblée nationale examinera la proposition de loi visant à instaurer une participation des personnes détenues aux frais d'incarcération.
Déposée par Éric Ciotti, ce texte fait écho à l’annonce du ministère de la Justice dans sa lettre ouverte aux agents de l’administration pénitentiaire rendue publique le 28 avril.
L’article unique prévoit que les personnes détenues, ou leurs responsables légaux dans le cas des enfants incarcérés, financent une partie de leur détention.
Cette disposition concerne indistinctement les personnes condamnées et prévenues (à savoir 22 000 personnes incarcérées au 1er mai 2025 dans l’attente de leur procès, c’est-à-dire présumées innocentes, soit plus de 26% des personnes détenues dans les prisons françaises).
D’une part, toutes les études convergent vers le même constat : en prison, sont enfermées les personnes précaires.
Comme l’Observatoire international des prisons – section française l’a souligné dans un communiqué de presse publié en réaction à la lettre ouverte du ministère de la Justice,
« L’idée est aussi simple que brutale et consternante, tant ses auteurs semblent tout ignorer des parcours de vie des personnes détenues, principalement marqués du sceau de la précarité. Faut-il rappeler que plus de la moitié des personnes détenues sont sans emploi avant leur entrée en prison, près d’un tiers d’entre elles sont confrontées à une situation d’hébergement précaire et 8% se déclarent sans domicile. C’est d’ailleurs souvent cette précarité qui les a précipitées en prison ; une personne sans domicile fixe ayant huit fois plus de risque d’être condamnée à de la prison ferme que tout à chacun. »
Il a par également été documenté qu’environ 40% des personnes détenues ont fait l’objet d’une mesure d’assistance éducative dans leur enfance.
Ou encore que les personnes touchant moins de 300 € par mois ont, à infraction égale, trois fois plus de risques d’être condamnées à de la prison ferme que celles touchant au moins 1500 € par mois.
Autre chiffre issu du ministère de la Justice : une personne détenue sur cinq est indigente, c’est-à-dire a moins de 60 € par mois.
L’administration pénitentiaire elle-même notait récemment que les crises économiques faisaient partie des « deux contextes conjoncturels » qui accompagnent l’augmentation du nombre de personnes détenues. Ces crises, poursuivait-elle, « entraînent une augmentation du nombre de personnes dites « fragiles » (demandeurs d’emploi, personnes sans ressources, etc.), pour lesquelles, à infraction égale, des peines de prison fermes sont plus fréquemment prononcées ».
D’autre part, loin des clichés trop souvent relayés de personnes « logées, nourries, blanchies », les personnes détenues sont aujourd’hui majoritairement incarcérées dans des conditions indignes.
Comme l’Observatoire international des prisons – section française l’a souligné dans le communiqué de presse précité,
« Quand tant d’acteurs publics usent de la métaphore hôtelière pour évoquer le sort réservé aux plus de 82.000 personnes détenues, notre question est simple : combien vaut donc pour eux une nuitée dans les prisons françaises ? Ces prisons où sont entassées trois à quatre personnes dans 9 mètres carré 22h/24, l’une d’elles étant condamnée à dormir sur un matelas posé au sol. Ces prisons où les cellules et les équipements sont aussi délabrés que les services sociaux et d’insertion sont sinistrés. Ces prisons où les rats et les cafards pullulent dans une crasse innommable qui vaut à l’Etat d’être si régulièrement condamné par des tribunaux nationaux et internationaux. A combien fixent-ils le service proposé ? »
Les témoignages que reçoit quotidiennement l’OIP ne peuvent être plus clairs : « On est à 8 personnes dans 15m². Deux dorment par terre. On n’a pas de place, aucune intimité. On se marche littéralement dessus. Ce n’est pas propre, la douche est cassée. En gros, on est des chiens. »
Dans le dossier de presse relatif à son rapport d’activité 2023 publié en mai, le Contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL) précisait notamment : « L’espace disponible par personne, une fois déduite la surface des sanitaires et du mobilier, est le plus souvent très inférieure à 3m². »
Si la comparaison est en bien des points malheureuse, il convient de noter qu’au nom du bien-être des animaux, l’espace minimal requis pour leur hébergement est d’une surface de 5 m² par chien.
Sur les 83 681 personnes détenues au 1er mai 2025 dans les établissements pénitentiaires français, deux sur trois sont enfermées dans des prisons surpeuplées à plus de 150% en moyenne.
Elles étaient ainsi 53 056, en attente de jugement ou condamnées à une peine de maximum deux ans, à être recluses 22h sur 24, à plusieurs, dans un espace de 9m².
Parmi elles, 5 234 étaient contraintes à dormir sur un matelas au sol dans des cellules surpeuplées.
Plus d’une prison française sur quatre a déjà été condamnée au moins une fois pour traitements inhumains ou dégradants par les tribunaux administratifs français ou la Cour européenne des droits de l’Homme.
De nombreux témoignages de conditions indignes de détention sont reçus quotidiennement par l’OIP. Ils décrivent des cellules souvent vétustes, insalubres et infestées de rats, cafards ou punaises de lits, sans aucune intimité, dans une promiscuité intenable, avec des toilettes ouvertes sur la cellule, des températures glaciales l’hiver et étouffantes l’été, dans un désert d’accompagnement, d’activités et d’accès aux soins :
« Ma cellule a été inondée, j’ai des souris, cafards et fourmis qui grouillent partout. Je n’ai pas de toilettes dans la cellule, il y a seulement 2 WC pour 25 personnes. »
« Monsieur B. témoigne le 8 décembre : « Si je fais fondre du beurre dans une poêle, il redevient solide en 1 minute 45, tellement il fait froid. »
« Dans la cellule de mon mari, le chauffage n’est pas allumé, ils sont donc obligés de dormir avec leurs pyjamas, vestes et bonnets. »
Le kit d’hygiène fourni à l’arrivée en prison n’est pas toujours renouvelé. La distribution de produits de nettoyage est régulièrement considérée comme insuffisante par la justice. La mère d’une personne détenue témoignait ainsi auprès de l’OIP : « Mon fils me raconte qu’ils n’ont pas accès à des sacs poubelles dans les kits hygiène distribués. Les surveillants leur expliquent qu’ils ne sont pas là pour ramasser leurs déchets. Ils n’ont donc pas d’autres choix que de jeter leurs déchets par la fenêtre. »
Quant aux repas distribués, ils sont de qualité souvent médiocre, déficients en produits frais et en quantité insuffisante.
Dans ses recommandations en urgences sur la prison de Tarbes, publiées il y a un an, le Contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL) notait : « De nombreux détenus se plaignent d’avoir faim. […] À la fin d’un service, les contrôleurs ont constaté que les entrées étaient en nombre insuffisant pour nourrir tout le monde. »
Par ailleurs, tout est loin d’être gratuit en prison.
Comme l’Observatoire international des prisons – section française l’a souligné dans son communiqué de presse précité,
« Les défenseurs de cette contribution forfaitaire font également mine d’oublier que la prison participe de la paupérisation ».
Un rapport d’information parlementaire publié par le Sénat en 2002 indiquait : « Contrairement à une opinion communément admise, il est faux de dire que les détenus sont « nourris et blanchis » : ceux-ci doivent évidemment faire face à un certain nombre de dépenses, qui, si elles sont liées à leur « confort » personnel, sont incontournables dans la perspective d’un enfermement de plusieurs mois ou de plusieurs années. »
Selon le rapport d’Emmaüs France et du Secours Catholique publié en 2021, il faut en effet entre 300 et 800 € mensuels pour vivre décemment en prison, notamment pour acheter des produits du quotidien, dont les prix sont souvent beaucoup plus élevés qu’à l’extérieur :
- produits alimentaires pour compléter les repas distribués,
- ustensiles de cuisine, comme une plaque chauffante ou une bouilloire,
- produits d’hygiène pour se laver ou nettoyer sa cellule, en complément du kit distribué,
- timbres pour correspondre avec l’extérieur,
- cigarettes,
- location d’un petit frigidaire (quand c’est possible) ou d’une télévision (accès aux chaînes gratuites)…
Les crédits téléphoniques, moyen principal pour maintenir un lien avec ses proches et pour contacter son avocat, sont exorbitants : de 40 à 375 € mensuels pour appeler 10 minutes par jour vers un portable.
De nombreuses charges fixes continuent par ailleurs souvent de courir hors de la détention pour les personnes détenues :
- loyer de la famille,
- remboursement d’un crédit,
- factures diverses,
- pension alimentaire,
- dette pénale,
- indemnisation des victimes…
Or moins d’un tiers des personnes détenues a accès à un travail. Leur rémunération varie entre 20% et 45% du Smic, quand elle n’est pas à la pièce malgré son interdiction légale et les multiples condamnations par les tribunaux.
Enfin, le coût d’un système tout carcéral ne peut en aucun cas être attribué aux personnes détenues : il est la conséquence de politiques pénales répressives assumées décidées par le Gouvernement et le Parlement, qui s’engouffrent année après année dans une politique aussi coûteuse qu’inefficace par la construction incessante de nouvelles places de prison.
La dette générée par les constructions passées pèse aujourd’hui 5,4 milliards d’euros.
Quant au plan actuel de 15 000 nouvelles places de prison à horizon 2027, son coût est à lui seul estimé à 4,5 milliards d’euros, soit 300 000 € par place de prison.
S’il s’agit donc véritablement, comme l’indique l’exposé des motifs de la proposition de loi, de faire « face à l’extrême tension budgétaire » de la France, les solutions, portées de longue date par les organisations de terrain du milieu prison-justice, sont nombreuses. Parmi elles, celle – évidente – de cesser de construire toujours plus de prisons et d’incarcérer toujours plus.