Êtres en construction, les enfants doivent faire l’objet d’une justice spécifique, dans laquelle l’éducation prévaut sur la répression. Lundi 19 mai, le Parlement a pourtant définitivement adopté un texte de loi qui piétine ces principes fondateurs de la justice des enfants : la proposition de loi « visant à aménager le code de la justice pénale des mineurs et certains dispositifs relatifs à la responsabilité parentale », déposée en octobre par Gabriel Attal, portée de manière transpartisane et examinée dans le cadre d’une procédure accélérée engagée par le gouvernement.
Les parlementaires ont ainsi décidé que les enfants pourraient désormais faire l’objet d’une comparution immédiate à partir de 16 ans[1], la procédure judiciaire la plus expéditive et la plus pourvoyeuse d’emprisonnement que connaisse la justice française.
Chez les majeurs, la comparution immédiate entraîne une probabilité de condamnation à de la prison ferme plus de huit fois supérieure à celle d’une audience classique. [2]. Résultat : 70% des peines prononcées sont des peines de prison ferme. En 29 minutes en moyenne d’audience[3], difficile en effet d’envisager une véritable prise en compte de l’individualité de la personne qui comparaît et de prononcer des alternatives à la détention – provisoire ou au titre de peine – pour lesquelles les juges exigent généralement des conditions d’hébergement et d’emploi stables. Expéditive et particulièrement répressive, cette procédure est ainsi également l’emblème d’une justice classiste et raciste, qui n’a de justice que le nom. « Si la clientèle pénale est en général plutôt pauvre, en comparution immédiate elle est encore plus pauvre, encore plus au chômage. Les personnes ont encore moins souvent de diplômes, sont le plus souvent étrangères ou d’origine étrangère. Les conduites addictives ou les problèmes psychiatriques sont encore plus prégnants »[4], résumait déjà en 2017 Virginie Gautron, maître de conférences en droit pénal et sciences criminelles. Les quelques recherches menées sur le sujet le confirment : à infraction et casier judiciaire équivalents, la probabilité d’être jugé en comparution immédiate est quasiment multipliée par deux pour une personne sans emploi, et par trois pour une personne sans domicile fixe ou née à l’étranger. Dès lors, étendre cette procédure aux mineurs de 16 à 18 ans reviendrait à leur appliquer une justice d’exception, rapide et brutale, inadaptée à leurs besoins éducatifs. Cela accroîtrait fortement leur exposition à l’incarcération, au mépris du principe fondamental d’une justice des mineurs tournée vers la réinsertion.
Le texte de loi fait également du principe d’atténuation de la responsabilité pénale l’exception, et non plus la règle, pour les enfants d’au moins 16 ans déjà condamnés par la justice. Les enfants de moins de 16 ans ne sont pas non plus épargnés : jusque-là, ils ne pouvaient pas être détenus plus de deux mois dans l’attente de leur jugement en matière correctionnelle ; ils pourront désormais l’être jusqu’à un an pour certains délits.
Multiplier le recours à l’incarcération des enfants les plus précaires et vulnérables, voilà donc le nouveau jalon répressif posé par nos gouvernants. Broyer encore davantage des vies en construction ne pourra pourtant jamais constituer une solution digne de ce nom. L’emprisonnement précoce ne fait qu’accentuer la marginalisation des personnes enfermées et renforcer les trajectoires délictuelles. Comment pourrait-il en être autrement ? La réalité des conditions de détention des enfants en France devrait en effet au contraire alerter et faire réagir les pouvoirs publics : incarcération dans des conditions indignes, atteintes aux droits fondamentaux de citoyens et citoyennes en devenir, ou encore carences structurelles en termes d’accompagnement social, éducatif et plus largement humain. Début mai, l’Observatoire international des prisons Section française (OIP) communiquait ainsi sur l’isolement illégal depuis plus d’un mois d’un adolescent à la prison d’Orvault, privé d’activités et de toute interaction avec d’autres jeunes. En mars, c’étaient les enfants incarcérés à la Valentine, à Marseille, qui avaient été régulièrement privés de cours. La situation alarmante et les conséquences désastreuses sur les enfants, et notamment leur santé mentale et physique[5], ont ainsi conduit l’OIP à mener une enquête de long cours en vue de la publication d’un rapport d’ici la fin d’année.
En adoptant des dispositions responsabilisant les parents, sous forme d’une nouvelle circonstance aggravante au « délit de soustraction des parents à leurs obligations » et d’amende civile, c’est sur leur propre responsabilité que nos gouvernants décident de fermer les yeux : celle de proposer une politique publique d’accompagnement des enfants enfin respectueuse des droits humains et des droits de l’enfant. Le Conseil constitutionnel, saisi hier par plus de soixante membres de l’Assemblée nationale, aura-t-il le courage de le leur rappeler ?
Contact presse : Sophie Deschamps – 07 60 49 19 96 – sophie.deschamps@oip.org
[1] Ils pourront être soumis à la procédure de comparution immédiate s’ils ont « déjà fait l’objet d’une mesure éducative, d’une mesure judiciaire d’investigation éducative, d’une mesure de sûreté, d’une déclaration de culpabilité ou d’une peine prononcée dans le cadre d’une autre procédure et ayant donné lieu à un rapport datant de moins d’un an » et s’ils encourent une peine d’au moins trois ans de prison. Si trois ans d’emprisonnement constituent effectivement une lourde peine, en particulier pour des enfants, c’est une peine très largement encourue, par exemple pour un vol simple.
[2] Virginie Gautron et Jean-Noël Retière, La justice pénale est-elle discriminatoire ? Une étude empirique des pratiques décisionnelles dans cinq tribunaux correctionnels, 2013.
[3] Raoult S. et Azoulay W., « Les comparutions immédiates au Tribunal de Grande Instance de Marseille, rapport pour l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux » (ORDCS), n°8, juillet 2016
[4] « Le procès des comparutions immédiates », live Mediapart du 28 juin 2017.
[5] Alice Simon, Les effets de l’incarcération sur les mineurs, Direction de la Protection judiciaire de la jeunesse, septembre 2023.