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En prison pour soigner son alcoolisme

En difficulté pour respecter son obligation de soins, Virginie a vu son sursis avec mise à l’épreuve révoqué en novembre 2012, ce qui l’a amenée en détention en janvier. Condamnée pour conduite en état alcoolique, elle est venue rejoindre la liste des détenus de la maison d’arrêt déjà surpeuplée de Sequedin. Alors qu’est annoncée une politique pénale n’utilisant l’emprisonnement qu’en « ultime recours », l’incarcération des malades suit son cours...

Condamnée à deux mois d’emprisonnement assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve (SME) pour des faits de conduite en état alcoolique commis en 2008, Virginie ne conduit plus depuis cette date. Le suivi en alcoologie qu’elle a initié dans le cadre de son obligation de soins reste néanmoins insuffisant, si bien que le juge de l’application des peines a révoqué le sursis, sans tenir compte des difficultés psychologiques, physiques et sociales accumulées par Virginie, ni de l’absurdité de son incarcération. Le 7 février 2013, elle est ainsi venue augmenter la liste des détenus de la maison d’arrêt déjà surpeuplée de Sequedin (taux d’occupation de 138,6 % au 1er février).

« Des troubles neurologiques avec troubles de la marche »

Virginie a 42 ans, elle porte les conséquences physiques et mentales d’un alcoolisme ancré depuis de nombreuses années. Un certificat médical du 12 février 2013 atteste notamment de « troubles neurologiques avec troubles de la marche » qui lui imposent une aide pour tous ses déplacements. Elle est également sujette à des « trous de mémoire », et présente depuis peu des « troubles de la miction ». Son état de santé « nécessite des investigations en milieu hospitalier qui ne sont pas compatibles avec une incarcération », précise son médecin. Elle a également connu récemment un état dépressif suite à une procédure de divorce après laquelle elle s’est retrouvée sans domicile fixe, hébergée tantôt chez sa mère tantôt chez sa sœur.

Pendant sa mise à l’épreuve, elle n’est pas parvenue à respecter son obligation de soins, notamment en raison de ses difficultés de déplacement, de son état de santé mentale et du processus de prise de conscience nécessaire à l’engagement de soins en matière d’alcoolisme. « Malgré des analyses sanguines témoignant d’une consommation alcoolique particulièrement ancrée, Virginie n’avait jamais entrepris de suivi spécialisé » durant ses 18 mois d’épreuve, a ainsi noté le juge, décidant dans un premier temps de prolonger le délai d’épreuve de 18 mois supplémentaires. Bien qu’ayant assuré lors du débat contradictoire « avoir pris conscience de sa problématique alcoolique et de la nécessité de la traiter », Virginie n’a pu justifier au cours de ce second délai d’épreuve que de « deux rendez-vous honorés au Square [service de soins spécialisés en addictologie au centre hospitalier de Béthune] ». Le JAP a donc considéré qu’elle n’avait « jamais respecté l’unique obligation particulière de la mesure probatoire, à savoir l’obligation de soins ». et procédé, par jugement du 13 novembre 2012, à la révocation totale du SME, afin de « sanctionner les manquements constatés », quand bien même « le casier judiciaire de l’intéressée ne comporte aucune autre condamnation » et qu’« aucun élément ne permet de penser qu’elle aurait commis de nouveaux faits délictueux pendant la peine de sursis avec mise à l’épreuve ».

Un manque d’accompagnement ignoré

Dans cette décision, le magistrat raisonne en termes de respect formel d’une obligation, ce qui n’est ni dans l’intérêt de la probationnaire, ni de la société. Il néglige le processus motivationnel et de prise de conscience nécessaire à l’engagement dans des soins en alcoologie. Il ne tient pas compte de l’aggravation de l’état de la personne engendré par l’incarcération, entraînant un risque de rechute accru et des coûts plus importants pour la justice et la santé. Il ignore que le suivi de Virginie assuré par le SPIP, qualifié de « normal », n’a pu se mettre en place que douze mois après le début du second délai d’épreuve, le jugement de prolongation du délai d’épreuve ayant été prononcé sept mois après le terme du premier délai. Elle a alors bénéficié de quatre rendez-vous, en octobre et novembre 2011 puis en janvier et avril 2012. Des rendez- vous qui semblaient pourtant lui être profitables puisqu’à deux reprises, ils ont été suivis d’une consultation au service d’addictologie du centre hospitalier de Lens. La décision de révocation ne tient pas véritablement compte non plus du faible nombre de structures de soins en alcoologie dans le Pas-de-Calais et des longs délais d’attente qui en découlent : « Il faut bien compter trois mois pour un premier rendez-vous », confirme le juge de l’application des peines, déplorant ce décalage entre le moment où la personne manifeste sa volonté de se soigner et sa prise en charge effective. Entre temps, « la personne peut avoir perdu sa motivation et être retombée dans l’alcoolisation massive ». Quant à la possibilité d’un suivi à domicile, pertinent pour des personnes comme Virginie confrontées à des difficultés de mobilité et dont il peut être jugé préférable qu’elles ne conduisent pas, « cela ne se fait pas », selon l’association square. Laquelle précise que « le seul dispositif existant vient de s’arrêter, faute de financement ». Ainsi, il n’existe d’autres solutions pour un suivi en alcoologie que de se déplacer à l’hôpital ou de se faire aider par son médecin traitant. Cette dernière option venait d’être prise par Virginie, qui allait mieux après avoir retrouvé un logement fin 2012, avait réduit sa consommation d’alcool et commencé à envisager de nouvelles solutions avec son médecin traitant.

Pas d’aménagement pour les très courtes peines

C’est dans ce contexte que Virginie est arrêtée le 7 février 2013 à son domicile et conduite au commissariat de Lens. Sa famille aura beau apporter en urgence les documents médicaux attestant de son état de santé très dégradé, dans l’espoir qu’elle puisse bénéficier d’un aménagement de peine… elle sera écrouée le soir même à la maison d’arrêt de Sequedin.

Contacté par l’OIP, le juge de l’application des peines (JAP) a indiqué qu’une fois le SME révoqué, son service « n’a plus la main sur un éventuel aménagement, le parquet ramenant généralement la peine à exécution. Si la personne signale des difficultés particulières, le parquet peut alors saisir le JAP en vue d’un aménagement de peine ». Ce qu’il n’a pas jugé utile de faire en l’espèce, pas plus qu’il n’a considéré l’état de santé de Virginie comme incompatible avec la détention.

En prison, Virginie a la possibilité de demander un aménagement de peine ou d’être « proposée par le SPIP [service pénitentiaire d’insertion et de probation] de Sequedin pour une SEFIP [surveillance électronique en fin de peine] », ce qui « peut aller très vite », indique le JAP de Béthune. Pas si simple, selon le SPIP, qui explique la difficulté d’élaborer un projet d’aménagement dans de brefs délais pour les très courtes peines, sauf « lorsqu’il y a un problème très grave et que le service médical signale un état de santé incompatible avec la détention ». Quant à la SEFIP, « un certain temps est nécessaire avant que la personne apparaisse sur les listes présentées au parquet de Lille. » Qui, en outre, a pour politique de ne pas examiner les reliquats de peine de moins d’un mois. Virginie exécutera donc sa peine en totalité, déduction faite des 14 jours de remises de peine réglementaires.

Est-ce bien la « peine » ?

Faute de dispositif adapté à l’extérieur, c’est donc en prison que Virginie connaîtra le sevrage. De sa cellule qu’elle ne quitte quasiment plus, Virginie écrit des lettres désespérées à sa famille. Elle aurait refusé le Valium qu’on lui proposait, estimant qu’il s’agissait d’une drogue. Elle se plaint d’avoir « mal partout, mal à en pleurer la nuit, aux jambes, à la colonne vertébrale et au bassin ». Virginie dit ne plus dormir la nuit, ne plus arriver à marcher, et uriner sans cesse. Alerté par l’OIP, le service médical a assuré que sa situation avait été prise en compte et qu’elle était vue régulièrement. Les examens nécessaires n’ont toutefois pas pu être programmés, « les délais d’attente à l’hôpital de rattachement étant plus longs que la durée de sa peine ». Sans cacher ses interrogations sur le sens de cette détention, le service médical indique cependant ne réaliser de signalement en vue d’un aménagement de peine « pour raisons médicales » que lorsque le pronostic vital est engagé ou lorsque les soins ne peuvent être prodigués en prison.

Une telle succession d’impasses illustre les limites de la peine de sursis avec mise à l’épreuve dans un contexte où les SPIP comme les structures sanitaires et sociales disposent de moyens d’accompagnement très restreints. Il donne à voir l’intérêt que pourrait représenter une peine de probation autonome, accompagnée de moyens renforcés. A condition néanmoins que la magistrature entame, elle aussi, certaines évolutions culturelles. dans ses préconisations sur la peine de probation, le jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive affirme ainsi que « le non-respect des règles et des conditions fixées dans le plan de probation n’entraînera pas automatiquement une sanction-couperet mais pourra appeler un effort pour mieux accompagner le condamné ». Tout l’inverse de la logique appliquée dans le cas de Virginie…

Anne Chereul