Free cookie consent management tool by TermsFeed

Ils s’engagent… sans réserve

La très grande majorité des candidats sollicités par les États généraux s’accorde sur le diagnostic posé sur notre système carcéral et, fait nouveau, sur les principes fondamentaux de la profonde réforme à accomplir. D’Olivier Besancenot à François Bayrou, en passant par Arlette Laguiller, Marie-George Buffet, Dominique Voynet, Ségolène Royal et Corinne Lepage, chacun affirme clairement son attachement à la réforme de la condition pénitentiaire soumise à leur appréciation. Leur engagement est sans réserve, témoignant de la constitution d’un consensus démocratique et républicain inédit.

Ségolène Royal, Parti socialiste (PS)

« Il faut rompre avec la politique du «toujours plus d’enfermement » qui veut nous faire croire que «plus de prison… c’est plus de sécurité», alors que cette politique a manifestement échoué dans la lutte contre la montée des violences. Les nombreux rapports sur les prisons et le fonctionnement du système pénitentiaire insistent sur les conséquences désastreuses de la situation dans les prisons pour les détenus comme pour les personnels qui y travaillent. Ils sont parfois entendus, mais ils sont rarement suivis d’effet. Les conséquences des actes délictueux et surtout criminels sont, pour les personnes qui en sont victimes, douloureux et parfois irréparables. L’État doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour aider et accompagner les personnes auxquelles un tort a été fait. Mais il ne doit pas céder à une logique de vengeance : les souffrances et la perte de leur dignité infligées aux condamnés ne peuvent en aucun cas compenser la douleur des victimes. Nous avons trop longtemps laissé dériver nos prisons d’une manière inhumaine et irresponsable. Il faut, pour renverser cette tendance, une réforme fondamentale. C’est pour cela que je veux, rapidement, faire adopter une loi pénitentiaire qui rappellera que la privation de liberté est une sanction grave, lourde de conséquences pour celui qui la subit et pour sa famille, qui doit donc être prononcée avec mesure. Au travers des dix engagements qu’ils soumettent aux candidats à l’élection présidentielle, les États généraux de la condition pénitentiaire posent, à mes yeux, les bases d’une telle réforme. D’abord, il y a en prison des personnes qui n’ont rien à y faire et qui doivent être sanctionnées autrement ou orientées vers d’autres institutions. Les études montrent que les auteurs de petits délits récidivent moins s’ils sont soumis à une peine alternative comme le travail d’intérêt général. La politique pénale doit, autant que possible, développer ces modes de sanction. Les condamnés âgés, malades, lourdement handicapés ou en fin de vie et ceux qui souffrent de graves troubles psychiatriques doivent relever de structures de soins adaptées. Il faut également, en retenant les leçons d’Outreau, restreindre le recours à la détention provisoire qui fait de la France le champion européen en la matière, en limitant cette mesure aux personnes soupçonnées des infractions les plus graves, et en encadrant strictement les durées d’enfermement des personnes en attente de jugement. Ensuite la prison ne saurait demeurer le lieu de l’arbitraire. La loi pénitentiaire reconnaîtra aux personnes détenues, à l’exception de la liberté d’aller et de venir et des droits qu’une décision de justice leur aurait retirés, l’intégralité des droits de l’homme et du citoyen. Seule une prison respectueuse des droits de l’homme permettra d’aider les délinquants à retrouver le chemin du respect des lois et des règles de la vie en société. La loi doit défi nir précisément les conditions dans lesquelles des sanctions disciplinaires sont prises et soumettre ces décisions au contrôle de la justice. La loi doit faire en sorte que les services publics s’exercent en prison, comme à l’extérieur, et que les droits à la santé, à la formation, au travail, au maintien des liens familiaux, soient reconnus. Elle doit faire de la prison un temps utile pour le détenu et la société, en préparant les détenus à leur sortie avec la mise en place d’actions de formation et d’aide à la recherche d’emploi. Il est démontré que rendre à la société des personnes sans logement, sans projet professionnel, ayant perdu tout lien familial ne peut que favoriser la récidive. A l’inverse, l’aménagement systématique de la peine, qui permet, de manière encadrée et contrôlée, de distinguer, dans le temps de la sanction, un temps d’incarcération et un temps d’accompagnement dans le monde libre est la clef de la réinsertion des personnes détenues. Il faut faire en sorte que les durées de détention ne rendent pas impossible toute perspective de réinsertion. Cette politique suppose que la mission des surveillants, qui sont, ne l’oublions pas, des fonctionnaires de justice, soit mieux considérée, afin que ces personnels soient pleinement associés à ce processus de réinsertion. La loi pénitentiaire doit également créer un organe de contrôle, spécifique et indépendant, afin de garantir son application effective. Le système pénitentiaire fonctionne aujourd’hui dans une contradiction permanente : à l’écart des règles et exigences de la société libre, il est supposé permettre aux personnes détenues de retrouver le chemin d’une vie responsable et respectueuse du droit. Les réformes de nos prisons, proposées par les États généraux de la condition pénitentiaire, visent à sortir de cette contradiction, pour que nos sanctions pénales aient un sens pour ceux qui sont condamnés, pour ceux qui ont en charge de les exécuter et pour la société toute entière. C’est pourquoi je m’engage, si je suis élue, à les mettre en œuvre. »

François Bayrou, Union pour la démocratie française (UDF)

« La situation des prisons françaises est une honte pour notre République. Elle est une image humiliante de la “patrie des droits de l’homme“. Elle doit nous scandaliser. Depuis des dizaines d’années, les observateurs de France et d’Europe alertent l’opinion publique, sans succès. Le dernier rapport de Gil-Roblès mettait la France face à ses responsabilités. Les États généraux de la condition pénitentiaire étaient donc une nécessité démocratique. Il faut maintenant poursuivre le travail que vous avez initié : opérer une profonde réforme du système pénitentiaire français, en lui fixant des missions précises, en lui donnant les moyens de ses missions, pour qu’il soit digne d’un État de droit, conforme aux normes européennes. Voici les axes d’une loi fondatrice d’une nouvelle politique pénitentiaire : 1. L’incarcération doit être le dernier recours. Parce qu’elles sont surpeuplées et déshumanisées, les prisons sont aujourd’hui une école du crime. Toutes les alternatives à la prison doivent être développées, en particulier pour les plus jeunes et pour les petits délits : recours au contrôle judiciaire, mise en place systématique de travaux d’intérêt général et de mesures de réparation, internats pour les mineurs. 2. L’État de droit est la règle commune. La loi pénitentiaire devra garantir son respect en prison : confidentialité, sanctions disciplinaires décidées dans des conditions qui respectent le principe du procès équitable et soumises à un contrôle rapide du juge, rencontres régulières entre détenus et personnels pénitentiaires, droit de vote effectif. Comme le dit le rapport Canivet, “le détenu doit être, par principe, considéré comme un citoyen à part entière“. 3. La privation de liberté doit donc être la seule sanction infligée aux détenus. Les droits fondamentaux doivent être garantis en prison : – Droit à la dignité de la personne : dans des prisons peuplées en moyenne à 117 %, et jusqu’à 150 %, parler de dignité des détenus est une illusion. Sauf demande spécifique de leur part, la règle doit être : une cellule, un détenu. – Droit à la santé : en particulier par le traitement des troubles psychologiques et des conduites addictives. Les personnes dont l’état de santé, physique et psychique, rend le maintien en détention indigne, doivent être libérées pour faire l’objet d’un placement au sein de structures d’accueil et se soins. – Droit à la formation et à l’activité : toute personne privée de liberté doit exercer une activité, qu’il s’agisse de formation générale ou professionnelle, de travail au profit de l’établissement pénitentiaire ou à l’extérieur de l’établissement. C’est ce qui se passe en Allemagne, au Danemark, en Italie, ou en Espagne. Tout travail doit donner lieu à rémunération. Ce droit à l’activité doit être régi par les règles communes. – Droit au respect de la vie familiale : généralisation des unités de vie familiale, qui permettent un retour progressif à la vie sociale et familiale, et qui jouent un rôle majeur dans la réinsertion du détenu ; rapprochement du lieu de détention et du lieu de résidence de la famille. 4. La prison doit préparer la réinsertion du condamné à sa sortie de prison. C’est une de ses missions fondamentales, et elle doit l’organiser pendant la détention. Par le respect des droits fondamentaux du détenu, d’une part : former le détenu, lui donner une activité, favoriser le maintien des liens familiaux, sont autant de moyens de réinsertion et de lutte contre la récidive. Par l’aménagement des peines, d’autre part : toute peine devrait être exécutée en partie en milieu fermé, en partie en milieu ouvert. La libération conditionnelle doit être la règle, à condition que l’on renforce le rôle des travailleurs sociaux dans l’accompagnement socio-éducatif de la sortie de prison. Aujourd’hui, avec 5,8 % des condamnés, la France est le dernier pays, parmi les 45 membres du Conseil de l’Europe, pour le nombre de libertés conditionnelles accordées. 5. La loi doit instaurer un organe indépendant de contrôle des prisons et du respect des droits des détenus, auquel ces derniers puissent s’adresser, et qui ait un pouvoir effectif de contrôle permanent, de visite, d’évaluation, de recommandation, d’injonction, de publication des rapports. Par ailleurs, la nouvelle loi pénitentiaire devra être l’objet de l’évaluation annuelle du Parlement. 6. Cette réforme des prisons doit transformer profondément la condition des détenus autant que les conditions de travail des personnels de l’administration pénitentiaire. D’une part parce que la lutte contre la surpopulation, la volonté de préparer la réinsertion par la formation et le maintien des liens familiaux, la médiation des conflits par le droit et le placement des malades mentaux dans des structures de soins réduiront la tension et les violences dont sont victimes les surveillants. D’autre part, parce que, dans le cadre de cette réforme, le travail, difficile, accompli par les personnels de surveillance sera plus transparent, mieux connu et reconnu, et qu’ils se verront proposer, par la formation continue, des possibilités de diversifier leurs compétences et d’accéder à des postes et des carrières plus différenciées. 7. L’augmentation du budget de la justice et de l’administration pénitentiaire est une nécessité. C’est un gros effort d’investissement que nous devons conduire en 10 ans. Enfin, parce que l’état des prisons est un signe de l’état de notre société, les engagements pris pour réformer le système pénitentiaire doivent l’être de façon transpartisane, pour interpeller avec force l’opinion publique. C’est la démarche des États généraux, à laquelle je m’inscris sans réserve.

Olivier Besancenot, Ligue communiste révolutionnaire (LCR)

« Nous étions présents lors de la journée des États Généraux de la condition pénitentiaire le 14 novembre où vous avez présenté la déclaration finale et vos propositions. Tout d’abord, il me semble important de saluer le travail que vous avez entrepris. En effet, le débat sur la condition pénitentiaire n’est pas facile à imposer dans le paysage politique alors même que, depuis plusieurs années, de nombreux rapports ont mis en évidence l’urgence de s’attaquer à cette question. La difficulté à laquelle on se heurte à chaque fois qu’est abordée la question de conditions de détention est la même : dans un premier temps, forte émotion devant les conditions inhumaines de détentions décrites et dénoncées dans ces différents rapports et dans un deuxième temps manque de volonté politique des différents partis amenés à gouverner pour s’attaquer à une véritable réforme de la condition pénitentiaire. Ce manque de volonté politique s’explique en partie par une pensée de plus en plus sécuritaire, et par la peur de se confronter à une opinion publique façonnée par les théories sécuritaires et aussi par l’idée ancienne que le détenu doit payer sa faute non seulement par la privation de liberté mais aussi par une privation des droits élémentaires. Il suffit de voir et d’analyser le contenu des différentes lois votées ces dernières années – loi Vaillant sur la sécurité intérieure puis l’ensemble des lois Perben et Sarkozy – pour comprendre que tout en affirmant la nécessité d’une réforme de l’administration pénitentiaire, les différents gouvernements adoptent des lois qui visent à durcir les peines et à criminaliser une partie de la population, notamment la plus précaire. En effet, tout l’arsenal législatif va de fait contre la limitation de la détention provisoire et la recherche de peines alternatives à l’incarcération en favorisant la logique du tout carcéral. Le sens de la peine et la réinsertion des détenus ont été absents des préoccupations du législateur. Votre proposition d’une loi pénitentiaire et le contenu de celle-ci constituent une rupture salutaire avec un système carcéral basé sur l’humiliation. Je partage votre volonté de redonner dignité et accès aux droits élémentaires aux détenus comme le font vos propositions. Il est difficile d’affirmer que la France est le pays des Droits de l’Homme quand une partie de sa population est privée de ses droits. Cela s’applique aux détenus comme aux sans-papiers et à la partie de la population exclue par la pauvreté de l’accès aux droits fondamentaux. Pour les détenus, retrouver le droit à la santé, à la formation, au travail rémunéré par un vrai salaire ainsi que l’application du code du travail, le droit au respect de l’intimité et aux relations familiales nous semble essentiel. La question de l’incarcération de plus en plus fréquente de malades atteints de graves troubles psychiatriques et de fortes souffrances psychiques doit être réglée autrement que par l’enfermement en prison. Je souscris à l’ensemble de vos propositions avec un questionnement sur l’utilité du maintien des quartiers disciplinaires. En effet, même en partant du principe que les instances disciplinaires soient largement réformées, la réponse aux transgressions des règles de vie des établissements pénitentiaires par les détenus, ne doit pas être le transfert dans des quartiers disciplinaires dont nous pensons qu’ils doivent disparaître. Par ailleurs, le plan en cours de constructions d’établissements pénitentiaires pour mineurs m’inquiète fortement car je ne pense pas que l’enfermement systématique des mineurs soit adapté à leur éducation et à leur réinsertion. La réforme ambitieuse que vous proposez implique des moyens importants et surtout un changement en profondeur de la culture pénitentiaire actuelle. Cette réforme devra s’accompagner de mesures fortes pour limiter l’incarcération en développant les peines alternatives et les libérations conditionnelles. Il me semble qu’une sensibilisation de la population comme vous avez commencé à le faire avec la tenue des États Généraux est un des moyens de convaincre l’opinion publique de la nécessité de cette réforme. Je m’engage à soutenir pleinement votre démarche et si j’étais en situation de responsabilité, je porterais l’ensemble de vos propositions. La France ne peut pas continuer à bafouer les droits humains des détenus. »

Marie-George Buffet, Parti communiste (PC)

« Je me suis tenue informée avec la plus grande attention de l’initiative des “États généraux de la condition pénitentiaire“. Votre choix de donner la parole aux détenus eux-mêmes comme aux personnels de l’administration pénitentiaire, aux familles comme aux magistrats et avocats, aux intervenants associatifs, médecins, enseignants, aumôniers, répond à une forte exigence et constitue une initiative citoyenne particulièrement utile. J’approuve et soutiens les dix propositions que vous soumettez aux candidats à l’élection présidentielle. Elles correspondent, et je m’en réjouis, aux positions et aux luttes menées de longue durée par les organisations progressistes, et le Parti communiste, aux côtés de beaucoup des organisations signataires du Manifeste des “États généraux“. Le débat politique et moral sur les prisons n’a jamais cessé dans notre pays et n’a pas, aujourd’hui encore, reçu de réponse. L’état des prisons françaises a été, voici déjà six ans, qualifié “d’humiliation pour la République“ par deux commissions parlementaires unanimes, auxquelles avaient participé les députés et sénateurs communistes. À beaucoup d’égards, la situation est aujourd’hui plus grave qu’à l’époque. Vous me demandez si je suis prête à défendre comme candidate à la présidentielle vos dix propositions. Je m’y engage. Oui, “la peine privative de liberté doit être une sanction de dernier recours…“ Oui, “les personnes dont l’état de santé, psychique ou physique, est incompatible avec la détention doivent être libérées…“ Oui, “en prison il faut consacrer le respect de l’État de droit…“ Oui, “il faut reconnaître l’ensemble des libertés et droits fondamentaux aux personnes détenues à l’exception de la liberté d’aller et venir…“ Oui, “il faut garantir l’exercice du droit à la santé, à l’hygiène, au maintien des liens familiaux et des droits sociaux. La préparation à l’insertion sociale et professionnelle doit être garantie…“ Oui, “les sanctions disciplinaires doivent être prises dans des conditions qui respectent les principes du procès équitable, de la santé et de la dignité…“ Oui, “il faut instaurer un contrôle extérieur des prisons…“ Oui, “l’anticipation, la préparation et l’accompagnement du détenu à sa libération sont des missions fondamentales de l’administration pénitentiaire…“ Oui, “le parlement doit évaluer régulièrement les politiques pénitentiaires…“ Oui, “la réforme des prisons requiert une prise en compte particulière des personnels pénitentiaires…“ Ces principes devront être inscrits dans une nouvelle loi pénitentiaire qui devra être adoptée très rapidement par le Parlement qui sera issu des prochaines élections. Ils devront aussi permettre que toute condamnation soit aussi l’occasion, pour la personne concernée, d’un nouveau départ dans la vie. S’agissant de cette loi, je rappelle qu’à l’époque du gouvernement de la gauche plurielle, un projet existait qui allait dans la bonne direction. Malheureusement, sous la pression d’une violente campagne de la droite, le gouvernement de l’époque a manqué de courage politique et y a renoncé. Si la gauche gagne cette fois, il ne faudrait pas qu’il en soit de même. Je veux ajouter quelques réflexions. Si nous voulons que la prison soit l’ultime recours, il faut se donner les moyens de multiplier les réponses alternatives à l’enfermement. Il est infiniment plus juste, plus porteur d’avenir, et moins coûteux pour la société, et pour le budget de l’État, de mettre en œuvre, voire d’inventer, de telles réponses, notamment en ce qui concerne les jeunes. La prévention, sous toutes les formes et dans tous les domaines (social, éducatif…), doit être développée pour faire reculer la délinquance. Pour finir, quelques mots sur les condamnations à perpétuité, les très longues peines, les peines de sûreté et les libérations conditionnelles. Lors de la suppression de la peine de mort en 1981, un débat public avait permis de faire triompher l’idée profondément progressiste et humaniste, qu’aucune personne ne pouvait être privée de la vie, car aucune indignité ne pouvait être considérée comme définitive. Tout être humain est susceptible d’évoluer. Aussi, ne serait-il pas temps de s’interroger sur le sens de la perpétuité et des peines de sûreté supérieures à 15 ans ? Quant à la libération conditionnelle, il est prouvé qu’elle est un facteur de réinsertion et non de récidive. Pour toutes ces raisons, je vous confirme que, si le peuple français me confi e des responsabilités, je ferai mienne les propositions du Manifeste des “États généraux de la condition pénitentiaire“. »

Dominique Voynet, Les Verts

« Il faut dire la vérité aux Français : le système carcéral engendre des violences dans les établissements, nie les droits humains des détenus, ne prépare pas leur sortie. Il engendre souffrances et désordres dans la société et ne résout rien quant à notre capacité à vivre ensemble. La campagne pour les élections présidentielles ne peut éluder cette question essentielle. Je me prononce pour la mise en place d’une loi pénitentiaire. Les propositions des États Généraux sont une bonne base de contenu. J’observe, toutefois, qu’il ne sera pas possible de faire l’économie d’un examen approfondi de notre droit pénal et notamment des questions qui touchent à la détention provisoire, à la longueur des peines mais également aux moyens budgétaires accordés à la justice. La privation de liberté doit en effet être le dernier recours, avant et après le jugement. D’où la nécessité de repenser, et les peines alternatives (réparation des dommages, travaux d’intérêt généraux, peines aménagées pour permettre de travailler etc.), et les moyens de la prise en charge – sociale, éducative, médicale – des personnes qui ne relèvent pas de la prison. On trouve également en prison des gens qui n’ont rien à y faire : je pense aux infractions simples au droit au séjour par exemple. Et on n’utilise pas assez les dispositions de la loi Kouchner permettant la sortie de détenus malades, très âgés ou lourdement handicapés. Les personnes dont l’état de santé, psychique ou physique, est incompatible avec la détention doivent être libérées. Cette proposition répond aux préoccupations du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui constate, dans un avis de décembre 2006 que les détenus atteints de pathologies mentales graves représentent 20 % de la population carcérale. Elle répond également aux attentes des personnels pénitentiaires qui ne sont pas formés pour prendre en charge des personnes malades. Concrètement, il faudra dégager les moyens suffisants pour mettre en place des structures adaptées. En gardant à l’esprit que si la prison ne doit pas accueillir des personnes souffrant de maladies psychiatriques, l’hôpital psychiatrique n’a, quant à lui, pas vocation à devenir un lieu d’enfermement ! On parle souvent des conditions matérielles dans lesquelles sont détenues les personnes. Mais il n’est pas moins primordial de garantir le respect des droits et de la citoyenneté des détenus. En particulier, l’accès à l’information et le droit de vote, doivent pouvoir s’exercer. La loi doit effectivement organiser et garantir l’exercice du droit à la santé, à l’hygiène, au maintien des liens familiaux et des prestations sociales, à l’éducation, au travail, à la formation et à l’insertion sociale et professionnelle des personnes détenues. De la même façon, le droit des personnes détenues à être incarcérées dans des établissements proches de leurs familles doit être reconnu. Car maintenir et resserrer des liens familiaux étroits permet de ne pas “punir“ les proches de façon inhumaine, et de mieux préparer la sortie. À ce titre, je suis favorable à la généralisation des parloirs privés et des unités de visite familiales. Je veux aussi évoquer la question du travail, peu valorisant et misérablement rémunéré : la mise sous plis d’encarts publicitaires ou l’ensachage de gadgets n’apprennent rien et ne préparent pas la sortie. Les détenus doivent avoir accès à un travail qualifiant et justement rémunéré, à des formations, à des activités manuelles ou intellectuelles qui leur permettent d’envisager leur sortie dans les conditions les moins difficiles. La question de la réinsertion sociale doit être traitée durant la détention. Ce qui suppose que des moyens accrus soient mis au service des services de la justice, de l’emploi, et des associations qui travaillent avec les personnes sortant de détention. Les sanctions disciplinaires ne peuvent découler que d’une décision prise dans les conditions qui respectent le principe du procès équitable ; elles doivent assurer le respect de la santé et de la dignité de la personne du détenu. L’arbitraire, encore trop fréquent en la matière, ne peut être admis. Si des sanctions sont prises en direction d’un détenu, elles doivent être motivées, et le détenu doit pouvoir effectuer un recours. L’isolement garantit-il le respect de la santé et de la dignité de la personne détenue ? Je ne le pense pas. D’une façon plus générale, la transparence à l’intérieur des établissements pénitentiaires, avec le regard de tiers, constitue une bonne garantie contre l’arbitraire et l’abus de pouvoir. La création d’un organe de contrôle extérieur me paraît en effet indispensable. Je ne suis pas sûre que la proposition du garde des sceaux, qui a souhaité confi er cette mission au médiateur de la République, soit adéquate. Le médiateur règle en effet des litiges entre des administrations et des usagers ! Un organisme sous contrôle parlementaire apparaît préférable. La réforme des prisons requiert une prise en compte particulière de la condition des personnels pénitentiaires. C’est l’évidence, le débat national doit faire de la place à tous les «acteurs» de la prison et notamment les personnels qui doivent se sentir formés, épaulés et accompagnés dans une mission difficile, et encore souvent mal considérée. Là encore, la question budgétaire revêt une importance particulière. »

Arlette Laguiller, Lutte ouvrière (LO)

« J’ai pris connaissance avec le plus grand intérêt de la déclaration finale des “États généraux de la condition pénitentiaire”, et je suis parfaitement d’accord avec la totalité de ces dix points, c’est à dire avec le contenu de la loi que ces États généraux proposent. Que la peine privative de liberté soit considérée comme une sanction de dernier recours, que les détenus malades soient pris en charge dans des structures de soins adaptées, ou libérés quand cette libération ne met personne en danger, et qu’en particulier les auteurs d’infraction souffrant de troubles psychiatriques préalables à leur délit, ou acquis en détention devraient être soignés dans des structures spécialisées, sont des principes qui devraient aller de soi à notre époque. Que la prison ne soit pas un lieu de non-droit (ce qui est paradoxal pour une institution qui est censée œuvrer au respect du droit) où les détenus peuvent être soumis à des sanctions disciplinaires sans procès véritable et sans recours, qu’un contrôle extérieur puisse veiller au respect de ces principes, et être justement un recours pour les détenus qui estimeraient que leurs droits ne sont pas respectés, devrait aussi aller de soi dans une société qui se veut démocratique. La fonction prioritaire de la prison devrait être d’œuvrer à la réinsertion, non seulement professionnelle, mais aussi sociale des détenus, alors que dans les conditions actuelles elle contribue trop souvent à les désocialiser encore plus. Bien évidemment, la mise en application d’un tel programme demanderait, pour mettre fin au scandale que constituent les conditions actuelles d’incarcération, comme pour améliorer les conditions et la formation du personnel pénitentiaire, des moyens matériels et financiers bien supérieurs à ceux qui sont actuellement consacrés au budget de la justice. Je ne pense malheureusement pas, ni dans le présent, ni dans le futur, avoir une influence qui permette de changer cet état de fait, mais mon soutien vous est totalement acquis. »

Corinne Lepage, Cap 21

« Nos prisons sont pleines et le taux récidive ne baisse pas. Pire encore, les prisons sont devenues des lieux d’initiation à la grande délinquance. Nous pouvons certes fermer les yeux sur ceux qui y sont, en priant aussi pour ne pas être dans le nombre croissant des innocents passés par les geôles de la République… La politique pénitentiaire oriente ses dépenses vers des programmes de construction, en vue d’augmenter les capacités d’accueil. Mais le problème est ailleurs. Je ne crois pas que plus de prisons, même “plus confortables“, apporte un début de réponse à la problématique carcérale. La question est bien essentiellement celle de l’usage de l’outil “prison“ dans les moyens à disposition de la justice. Celle-ci ne peut être envisagée que comme ultime recours. Cessons de vouloir poser une nouvelle attelle sur le corps malade de l’institution judiciaire et attachons-nous à élaborer, ensemble, une justice efficace et humaine, jusque dans l’application des peines. À cet égard, la présence d’auteurs d’infraction souffrant de troubles psychiatriques s’oppose à l’accomplissement de la mission du service public de la Justice. Il est indispensable de créer rapidement des structures d’accueil dotées des moyens humains adéquats pour accueillir ces malades et leur assurer une prise en charge adaptée. Depuis des années, l’administration pénitentiaire semble sourde aux appels des instances nationales et internationales pour une amélioration des conditions de traitement et de vie des détenus. Pire, les prisons sont devenues des lieux surpeuplés, où la violence et les dérives répressives sont la règle. Parallèlement à la sophistication des dispositifs de sécurité, on observe une militarisation du personnel, avec par exemple la création d’unités de surveillants cagoulés destinées à empêcher toute protestation. La prison ne doit pas être un lieu d’humiliation et de répression poussant à la haine et à la récidive. C’est pourquoi, la loi doit y consacrer le respect de l’État de droit. N’est-ce pas le minimum que nous puissions attendre, au nom de l’égalité gravée au fronton de nos bâtiments publics ? La personne détenue doit avoir accès aux mêmes droits que ceux auxquels un citoyen peut aspirer en dehors. Le maintien des liens affectifs du détenu avec sa famille doit être une priorité, qui passe par le choix d’un établissement de proximité et de taille humaine. Par ailleurs, le régime disciplinaire doit y être conforme aux principes du procès équitable : il est fondamental que le sentiment de justice existe en prison en étant une réalité quotidienne perceptible par tous. Quant aux mesures disciplinaires attentant à la santé ou à la dignité, elles doivent être sanctionnées, comme autant d’entraves au fonctionnement de la justice. La prison ne saurait être un facteur d’exclusion exacerbée, mais au contraire de reconstruction, de compréhension, de réflexion pour le condamné. Pour cela, il convient d’accorder la politique pénitentiaire avec la politique sociale. Et il est du devoir de l’État d’assurer une pleine et entière réinsertion en fin de peine, par un travail mené avec le condamné en vue de sa réintégration sociale et économique. Les exemples européens ne manquent pas. La réforme de l’institution pénitentiaire implique de prendre pleinement la mesure de ce que la réinsertion est une mission de service public, qu’elle nécessite de consacrer à ce travail les compétences nécessaires en termes de santé, de formation et de suivi. Ceci ne peut être réalisé que par un personnel adéquat, différent du personnel ayant à sa charge la surveillance. Dans le même temps, ce dernier doit avoir conscience de cette mission pour rendre quotidiennement effectif la sauvegarde de la dignité et perceptible le rôle assigné par la prison. Une instance de contrôle indépendante et ouverte aux membres de la société civile, aux avocats et aux instances internationales doit garantir une transparence totale sur le fonctionnement de nos prisons et assurer le respect du droit européen. La question de la sanction doit être posée en termes philosophiques. La sanction n’est pas une punition comme elle est souvent envisagée, à l’image de celle donnée à un jeune enfant qui a fait une bêtise. L’acte délictuel est une atteinte à la cohésion sociale. La société se doit donc de réparer le préjudice commis par l’un de ses membres et de s’assurer de la pleine compréhension de cet acte. Il peut être de nature psychiatrique, auquel cas la réponse ne peut être que psychiatrique. Il peut s’inscrire comme expression d’une situation de marginalisation de l’individu l’ayant commis. Dans ce cas la mise à l’écart temporaire peut être nécessaire afin de protéger les autres membres de la société, de se donner le temps de comprendre les mécanismes de l’acte et de trouver une solution. L’acte peut être l’expression d’une volonté délibérée de nuire au plus grand nombre pour servir son intérêt personnel. Ne nous trompons pas de but : si la prison est le seul et dernier recours, il ne doit en aucun cas être considéré comme une punition mais comme un temps d’analyse commune afin de déterminer la solution la plus efficace pour une réinsertion complète du délinquant. Nous devons aussi prendre en compte la souffrance des victimes et les accompagner sur le chemin d’une demande de justice qui ne saurait être l’expression d’une vengeance. Cette association dans un triptyque victime justice délinquant est à poser au cœur de toute réflexion sur les prisons et leur usage. La réconciliation et le pardon sont un objectif moral peut-être inaccessible. Mais sans doute celui que nous devons nous assigner, en but ambitieux d’une démocratie vivante. Pour toutes ces raisons, je m’engage, si je suis élue, à appliquer les principes contenus dans la déclaration finale des États généraux de la condition pénitentiaire. »