Entre le 1er et le 25 septembre, les personnes détenues au centre pénitentiaire de Ducos n’ont, sauf exception, pas eu accès aux consultations du Centre Hospitalier Universitaire de Martinique (CHUM). Les surveillants de l’équipe de sécurité pénitentiaire (ESP) avaient décidé de ne plus assurer la plupart des extractions médicales, empêchant ainsi la réalisation des soins et examens nécessaires. Ils ont depuis repris la mission à titre provisoire, dans l’attente de la signature d’un nouveau protocole sur le parcours de soins.
À l’origine de cette décision, un retour d’escorte à 22h pour une urgence médicale le 31 août. Les agents de l’équipe de sécurité pénitentiaire (ESP) de Ducos ont alors annoncé qu’ils n’assureraient plus que les extractions d’urgence et, sur l’insistance du centre hospitalier, les extractions pour une chimiothérapie. Résultat : la quasi-totalité des rendez-vous programmés ont été annulés en dépit des indications médicales. Au total, dans cet établissement comptant 1088 personnes détenues, seules 30 extractions ont été réalisées, au bénéfice de 12 patients. Et ce malgré le doublement de l’effectif de l’ESP en juillet. Les rendez-vous manqués ne pourront être assurés que dans plusieurs mois, étant donné les délais de rendez-vous du service hospitalier. Dans un communiqué de presse du 15 septembre, l’Association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP) et l’Association des secteurs de psychiatrie exerçant en milieu pénitentiaire (ASPMP) indiquent que « des professionnels de santé rapportent avoir subi des pressions, des intimidations et des propos mettant en doute leur compétence et leur intégrité », de la part d’agents pénitentiaires.
Pour pallier une partie des annulations d’escortes, l’équipe médicale s’est efforcée d’organiser des consultations spécialisées à l’unité sanitaire de la prison : « On a convaincu des spécialistes du CHU de venir consulter sur place. On a aussi réussi à financer un échographe. On passe une partie de nos journées à organiser la venue de spécialistes, à libérer nos bureaux », déplorait un membre de l’unité sanitaire. Mais ces efforts se font au détriment des consultations de médecine générale, faute d’espace et de temps.
Cette pratique a commencé bien avant le blocage du 1er septembre, les annulations d’extraction ayant fréquemment lieu au centre pénitentiaire de Ducos. En décembre 2024, une personne détenue au CP de Ducos, souffrant de graves troubles oculaires lui faisant perdre progressivement la vue, déclarait avoir attendu un an pour une opération chirurgicale, faute d’escorte. Les personnes détenues devraient pourtant bénéficier d’une qualité de soins équivalente à celle du milieu libre, comme le prévoit la loi du 18 janvier 1994.
En violation de l’article L. 1110-5 du code de santé publique, qui garantit l’indépendance du soin médical, l’équipe de sécurité pénitentiaire de Ducos a donc décidé à la fois de la pertinence des extractions et des modalités de transport des patients. En effet, pour les extractions d’urgence, l’ESP demande l’intervention d’un transport médicalisé (SAMU, ambulance). « Les médecins connaissent bien leur travail, c’est à eux de déterminer si le transport nécessite ou non un véhicule médicalisé », proteste Tony Auster, représentant du personnel à la CDMT-Santé. La direction de l’administration pénitentiaire n’a quant à elle pas répondu aux questions de l’OIP sur l’initiative des agents de l’ESP.
Les conséquences de ces annulations d’extraction sont lourdes : délais rallongés, soins dégradés, santé menacée. Stéphane Lordelot, du syndicat pénitentiaire UFAP-UNSA, invoque quant à lui les risques de sécurité et réclame « la nécessaire priorité à donner au suivi des détenus présents dans [les] murs [de l’hôpital] ». Priorité difficile à réaliser dans les faits, compte tenu d’effectifs très réduits aux urgences du centre hospitalier.
Depuis la saisine du procureur, de l’ARS et de la direction de l’établissement pénitentiaire par la direction du CHUM ainsi que la mise en place de groupes de travail, les extractions programmées ont repris temporairement. Mais elles restent suspendues à la signature d’un protocole entre syndicats et direction. « Nous [la CDMT-Santé] avons posé comme condition à notre signature la reprise des extractions », précise de son côté Tony Auster.
La crise que connait actuellement le centre pénitentiaire de Ducos est un épisode supplémentaire dans les obstacles que rencontrent les équipes médicales, à l’échelle nationale, pour exercer leur métier en milieu pénitentiaire. Au point que l’APSEP et l’ASPMP demandent, dans un récent communiqué, « au gouvernement de se saisir en urgence » de la question du soin en détention.
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