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Justice des mineurs : une réforme au détriment du temps éducatif

Le projet de réforme de la justice des mineurs s’articule autour d’une nouvelle disposition phare : la césure du procès, qui encadre et formalise une procédure en deux temps. Mais les délais contraints dans lesquels il est prévu qu’elle s’applique sont irréalistes, a fortiori sans augmentation drastique des moyens. Pire, en confondant rapidité et efficacité, sa mise en œuvre se fera au détriment du travail éducatif. Une tendance encore accrue par l’extension des possibilités de recours à des procédures expéditives.

« Dans les cabinets des juges pour enfants, les parcours sont divers. Dans chaque cas, il faut prendre le temps de l’analyse et de l’action éducative, pour des situations jamais déterminées a priori », rappelle l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF)(1). S’il est une réalité sur laquelle tous les acteurs de la justice des mineurs s’accordent, c’est que la clé de l’accompagnement d’un enfant ou d’un adolescent en conflit avec la loi, c’est le temps. Ce temps, c’est la garantie du respect du principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif, réaffirmé tant dans les textes nationaux que dans les conventions internationales auxquelles la France est partie. Parce que « le travail éducatif ne se décrète pas, il se construit », comme le rappelle Vito Fortunato, éducateur et cosecrétaire national du syndicat SNPES-PJJ-FSU(2).

Ainsi, la justice des mineurs s’appuie sur des procédures qui s’inscrivent dans la durée, jalonnées par un suivi éducatif. Dans une majorité de cas, un jeune qui fait l’objet de poursuites va d’abord être présenté à un juge pour enfants qui, s’il a suffisamment de charges, pourra le mettre en examen. Cette audience de mise en examen sera l’occasion d’ordonner des mesures d’investigation sur les faits ou sur la personnalité du mineur mais, surtout, de mettre en place un accompagnement éducatif. « Il ne s’agit pas de sanctionner mais de faire évoluer le mineur avant le jugement, et que le juge puisse prendre cette évolution en compte lors du prononcé de la sanction », explique Sophie Legrand, juge pour enfant et secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (SM). À l’issue de cette première période se tient donc l’audience de jugement. Si le jeune est reconnu coupable, le juge peut prononcer de nouvelles mesures – voire une peine. C’est donc la logique d’une procédure en deux temps qui, si elle souffre déjà d’exceptions, domine actuellement la philosophie de cette justice spécifique aux enfants et aux adolescents. Une procédure néanmoins bancale juridiquement : d’une part parce qu’elle nécessite de passer par une procédure d’instruction (la mise en examen), alors que dans les faits, il est peu fréquent que des investigations complémentaires soient ordonnées. Et, d’autre part, parce que si l’on souhaite que le même juge assure une continuité entre les audiences, elle contrevient aux exigences du Conseil constitutionnel qui, en 2011, a considéré que, dans un souci d’impartialité, le juge qui instruit un dossier ne peut pas être le même que celui qui prononce la sanction(3).

Dans un double souci de simplification et de lisibilité, le projet de réforme porté par le gouvernement propose la mise en place d’une nouvelle procédure : la césure du procès. Formalisant ces deux temps, elle prévoit que la première audience soit l’occasion de se prononcer sur la culpabilité du mineur, et de remettre à une deuxième audience le prononcé de la sanction. Entre les deux, le jeune fera l’objet d’une nouvelle mesure, la « mise à l’épreuve éducative ».

Objectif affiché : prendre le temps de personnaliser la réponse pénale

Ce mécanisme de césure du procès pénal était réclamé par divers acteurs, dont les organisations de magistrats. Sa philosophie est effectivement séduisante : en séparant la décision de culpabilité du prononcé de la sanction, il permet, comme cela se fait actuellement, de prendre le temps d’étudier la personnalité, l’environnement et l’évolution de la personne mise en cause pour prononcer une peine individualisée et la plus adaptée possible à ses problématiques.

Outre qu’il s’agit ainsi du dispositif juridique le plus approprié pour formaliser une procédure en deux temps, la césure présente par ailleurs divers avantages. Plus compréhensible pour le mineur que la procédure actuelle – sous réserve qu’il reconnaisse les faits –, elle permet de « légitimer » la mesure éducative ordonnée à l’issue de la première audience. Elle permet également de mieux prendre en compte l’intérêt des victimes, l’indemnisation étant possible dès l’audience de culpabilité quand, aujourd’hui, les délais de jugement, et donc d’indemnisation, sont en moyenne de dix-huit mois. Enfin, en supprimant la mise en examen, elle retire au juge des enfants en charge du dossier ses missions d’instruction(4), et se met en conformité avec la décision du Conseil constitutionnel. Au total, elle propose un compromis entre des exigences qui ont des temporalités différentes : celle de la demande sociale pour une réponse pénale rapide ; celle de la victime qui aspire à obtenir une prompte réparation ; et celle du mineur qui « a besoin, dans un premier temps, d’une confrontation rapide à son juge puis, dans un second temps, d’un délai pour lui permettre d’évoluer et de démontrer sa capacité à réparer par la prise de conscience et par la réalisation d’actes concrets »(5).

Tous les acteurs de la justice des mineurs ne sont cependant pas favorables à cette procédure. Au Syndicat des avocats de France (SAF) par exemple, on s’inquiète de la disparition de la phase d’instruction et de difficultés accrues dans la préparation de la défense du mineur. Surtout, les professionnels s’inquiètent du rôle central que prend la notion de culpabilité dans le dispositif. D’abord, parce qu’il n’est pas sûr que celle-ci soit reconnue par le mineur : s’il conteste les faits, le travail éducatif mis en place à l’issue de la première audience perdra de sa légitimité. Par ailleurs, juges pour enfants comme éducateurs relèvent que le travail autour de la culpabilité s’éloigne du travail éducatif, en s’intéressant avant tout à l’acte et moins à la personne. « On ne va plus se questionner sur le pourquoi de l’acte, le positionnement du mineur, son histoire, sa scolarité, d’où il vient, etc. On passe à une logique “un acte, une responsabilité, une sanction” », explique ainsi Lucille Rouet, secrétaire nationale du SM. Le risque, dès lors, c’est de « répondre uniquement à l’acte de manière comportementaliste et pas à ce qui a fondé lentement le processus qui a fait que le jeune a posé, à un moment, cet acte en dehors de la loi », précise Vito Fortunato. Qui argue : « Quand on les regarde comme des personnes et qu’on ne s’arrête pas à l’acte qu’ils ont posé, alors ils prennent de la distance avec cet acte. »(6) Pour les professionnels, la mesure de « mise à l’épreuve éducative » symbolise ce changement d’état d’esprit en assimilant le temps éducatif au sursis probatoire (voir encadré). Le syndicat SNPES-PJJ-FSU dénonce ainsi un dispositif qui, en « transformant l’intervention des équipes éducatives en mission de probation, ce qui est complètement inadapté pour des adolescent·e·s en construction », représente un « dévoiement » du métier d’éducateur(7).

En réalité : une accélération du temps au détriment du travail éducatif

La temporalité de la césure, telle qu’elle est proposée par le projet de code des mineurs, vient malheureusement confirmer cette crainte d’une dissolution du travail éducatif dans des logiques de contrainte. Le gouvernement prévoit en effet d’encadrer l’ensemble de la procédure par des délais très courts : l’audience de culpabilité devra se tenir entre dix jours et trois mois après l’interpellation, puis l’audience de sanction dans les six à neuf mois suivants. Des délais avant tout intenables au vu des moyens de la justice. « Actuellement, dans nombre de tribunaux, la première convocation est à plus de trois mois et les mesures éducatives peuvent mettre plusieurs semaines voire plusieurs mois à débuter de manière effective », écrit le Syndicat de la magistrature, qui rappelle au passage que ces contraintes deviendraient inutiles – et les délais automatiquement raccourcis – si les effectifs de magistrats, greffiers et éducateurs étaient suffisants(8). Or, les créations de postes annoncées par le gouvernement ne suffiront pas à combler les manques, alertent le SM et le SNPES-PJJFSU.

Ces contraintes de temps, si elles devaient être tenues, soulèvent par ailleurs d’autres problèmes. Pour commencer, la brièveté du délai de convocation avant l’audience de culpabilité risque de mettre à mal un principe pourtant fondamental à la justice des mineurs : la continuité du suivi d’un jeune par un même juge. « En effet, il paraît improbable de parvenir à convoquer systématiquement le mineur à la fois dans un délai inférieur à trois mois et devant le juge des enfants en charge de son suivi », observe le SM. « À Tours, pour la première audience, on est sur des délais de quatre à cinq mois, voire six, parce qu’il n’y a pas assez de juges des enfants », explique Sophie Legrand. « Là, on nous fixe un délai qui doit être inférieur à trois mois. Si le juge des enfants habituel a déjà ses audiences remplies, on ira voir si le juge d’à côté a des créneaux de libres. » Au-delà des questions de ressources humaines, ce délai peut aussi ne pas permettre le travail d’accompagnement parfois nécessaire pour que le mineur reconnaisse sa culpabilité : « On a vu plein de cas où le premier réflexe d’un jeune qui a commis des faits, ça va être de dire “non ce n’est pas moi”. Ça peut être intéressant de l’amener – si vraiment c’est lui, parce qu’on ne sait pas au début – à être capable de le dire, d’assumer qu’il a fait quelque chose de mal, d’être capable de vivre avec ça, de bien le présenter au tribunal. Si on met des délais très courts, on ne peut pas faire ce travail avec lui », commente la magistrate. Autre problème : la réforme prévoit que la période de mise à l’épreuve coure à partir du prononcé de la mesure et non de la prise en charge du jeune par les services éducatifs. Si celle-ci tarde à se mettre en place, l’audience de jugement pourrait alors intervenir sans que la mesure éducative n’ait pu être menée à terme. In fine, les professionnels déplorent le manque de souplesse du dispositif. Une souplesse pourtant indispensable au travail d’accompagnement : « Beaucoup de jeunes, surtout si la mesure démarre avec trois mois de retard, ne peuvent pas évoluer en un délai aussi court. Ça conviendra peut-être à certains, mais pas à d’autres. Ceux-là, on va les empêcher de bénéficier du travail éducatif et on va les juger sur la sanction sans qu’ils soient allés au bout du processus », explique Sophie Legrand.

La multiplication des procédures de jugement rapide

Preuve, s’il en fallait, que le projet de réforme confond réactivité, rapidité et efficacité, celui-ci multiplie les possibilités de passer outre la procédure de césure, au détriment du travail éducatif. D’abord en prévoyant de regrouper toutes les affaires en un jugement unique en cas de réitération. Concrètement, si un mineur qui a été jugé coupable lors d’une première audience et soumis à une mise à l’épreuve éducative dans l’attente de la décision de sanction commet une nouvelle infraction, l’audience de jugement sur la sanction prévue initialement pourra venir sanctionner l’ensemble des faits commis. Si cette disposition a l’intérêt de prendre en compte les faits dans leur globalité, dans une logique « un mineur, un dossier », elle réduit les possibilités de proposer un travail éducatif adapté à la nouvelle infraction – et le temps qui peut y être consacré – en amont de la sanction, et empêche la souplesse parfois indispensable au suivi (voir encadré ci-dessous).

Surtout, le projet de code prévoit, dans certains cas, la possibilité de n’avoir qu’une audience unique, jugeant à la fois sur la culpabilité et sur la sanction. Ainsi, si le juge des enfants ou le tribunal pour enfants s’estiment suffisamment informés sur la personnalité du mineur, ils pourront décider de se passer de mise à l’épreuve éducative et statuer en une seule fois. Dans ce cas, ils ne pourront en théorie prononcer qu’une mesure éducative, sauf si le mineur a un antécédent ayant donné lieu à un rapport daté de moins d’un an : une condition floue qui ouvre à de nombreuses exceptions. Le projet prévoit également une procédure de défèrement pour audience unique. Celle-ci existe déjà aujourd’hui dans le cadre de la procédure de présentation immédiate – vouée à disparaître –, mais les possibilités d’y avoir recours seront désormais élargies. Un enfant de moins de 16 ans pourra par exemple être jugé en audience unique dès lors qu’il est « défavorablement connu », qu’il encourt une peine supérieure ou égale à cinq ans et que le parquet s’estime suffisamment informé sur sa personnalité. Un contresens pour le syndicat d’éducateurs SNPES-PJJ-FSU puisqu’il s’agit là de « situations complexes qui exigent au contraire plus de temps pour l’entrée en relation éducative, l’établissement d’un lien de confiance, la compréhension de la problématique individuelle et familiale, et la responsabilisation de l’enfant »(9). « Le temps des mineurs n’est pas celui des adultes », rappelle Carole Sulli, du Syndicat des avocats de France (SAF). « Peut-être que la première fois, ça sera compliqué, que la deuxième ne va pas marcher non plus, mais qu’au bout de la quatrième, ça va marcher. Et ça aura marché parce qu’on aura essayé trois fois avant. Il faut du temps ! Et ce temps, le projet ne le donne plus. » Et de préciser : « Si on va trop vite, on s’empêche de comprendre, si l’on s’empêche de comprendre, on passe à côté. Or les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain et il ne faudrait pas qu’on passe à côté d’eux. »

par Cécile Marcel


La « mise à l’épreuve éducative » ou la confusion des genres
La plupart des professionnels, mais aussi les observateurs extérieurs, dénoncent le choix du terme de « mise à l’épreuve éducative » et s’inquiètent de la confusion qui en découle entre des logiques d’accompagnement et des logiques de contrôle. Ainsi, l’Unicef constate que « la notion de “mise à l’épreuve éducative” trahit une vision faussée du rôle de l’assistance éducative. La mesure éducative semble n’être perçue que comme une forme de sursis probatoire, qui pourra dorénavant être assortie de multiples interdictions et obligations ». Pour la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), la confusion générée entre une mesure éducative et une peine (la mise à l’épreuve) reflète « une révolution inquiétante de la philosophie de la justice des mineurs ». Sophie Legrand, du Syndicat de la magistrature, explique : « Le principe de l’éducation c’est d’amener un jeune à se comporter différemment, qu’il reconsidère ce qu’il a fait. Cela implique de lui faire confiance, et que lui aussi fasse confiance à un adulte qui n’est pas là pour le surveiller. Dès lors que l’on introduit des notions de contrôle, on ne peut pas attendre de confiance. » Le syndicat d’éducateurs SNPES-PJJ-FSU y voit également une méconnaissance du fonctionnement de l’adolescent aux effets potentiellement désastreux. « L’adolescent, dans son rapport à la loi, va toujours chercher les limites, explique Vito Fortunato, représentant syndical. Donc si on le met à l’épreuve, il y a beaucoup de chances pour qu’il ne réponde pas aux contraintes. Et si la réponse est seulement une sanction, la spirale est enclenchée. »


Les risques d’un rôle accru du parquet
Certains acteurs de la justice des mineurs s’inquiètent aussi du rôle prépondérant que la réforme confère aux parquets, tant dans les choix d’orientation que dans le rythme d’audiencement, au détriment du juge des enfants et, in fine, du jeune.
Avec le nouveau projet, « le procureur aura la main sur toutes les convocations en jugement et choisira la juridiction à saisir », explique Sophie Legrand, juge pour enfants et représentante du Syndicat de la magistrature. « En maîtrisant le schéma procédural, le procureur de la République va, de fait, maîtriser le temps, résume Carole Sulli, du Syndicat des avocats de France (SAF). Avant, le juge des enfants pouvait décider dans certains cas d’audiencer tout de suite, et dans d’autres de laisser un peu de temps. On arrivait à échanger, discuter. Là, ce ne sera plus le cas. » Sophie Legrand se souvient par exemple du cas d’un jeune qu’elle a eu à suivre : « Je savais que j’avais un nouveau dossier à juger pour lui, mais je savais aussi que pour la première fois, il tenait son placement dans un autre département. Je me suis dit que ce n’était pas une bonne idée de le faire revenir car ça risquait de lui donner la tentation de fuguer – ce n’était pas facile pour lui d’être loin de sa famille. J’ai donc remis l’audience à plus tard. Et de fait, il n’a pas fugué. Le procureur, lui, n’a pas une connaissance aussi approfondie des jeunes, donc il y a un vrai risque que dans des situations comme celle-là, on n’arrive pas à avoir la souplesse suffisante. D’autant que souvent, les échanges avec les éducateurs sur un placement se font à l’oral. On ne nous fait pas des rapports écrits tous les jours. » L’association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), de son côté, redoute surtout l’augmentation des possibilités de recourir à une audience unique sur la culpabilité et la sanction : dans un « contexte de pénurie de moyens et d’encombrement des tribunaux » elle craint que les parquets ne soient tentés de faire « pour un nombre très important de mineurs, l’économie d’une seconde audience », renonçant ainsi à l’accompagnement prévu dans le cadre de la mise à l’épreuve éducative*.
* AFMJF, Commentaire du projet de code de justice pénale des mineurs.


(1) Emmanuelle Dufay, « La césure du procès pénal. Pour une justice éducative rénovée – une réforme du droit pénal des mineurs proposée par l’AFMJF »,
Journal du droit des jeunes, vol. 319, n° 9, 2012, p. 24-27.
(2) « Justice des mineurs, attention danger », débat à l’occasion de la Fête de l’Humanité, 18 septembre 2019.
(3) Décision n° 2011-147 QPC du 8 juillet 2011.
(4) L’ouverture d’une information judiciaire devant un juge d’instruction reste cependant obligatoire pour les affaires criminelles et possibles pour les affaires correctionnelles complexes ou mixtes.
(5) Emmanuelle Dufay, op. cit.
(6) « Justice des mineurs, attention danger », op. cit.
(7) « Abrogation de l’ordonnance du 2 février 1945 : oui au pari de l’éducation, non au code de justice pénale des mineur·e·s !, » SNPES-PJJ-FSU, 26 juillet 2019.
(8) « Observations du Syndicat de la magistrature sur l’avant-projet de réforme de la justice pénale des mineurs », 1er juillet 2019.
(9) « Abrogation de l’ordonnance du 2 février 1945 : oui au pari de l’éducation, non au code de justice pénale des mineur.e.s ! », op. cit.