Le projet de loi sur la prévention de la récidive et l’individualisation des peines fait l’impasse sur une préconisation essentielle de la conférence de consensus : réformer la prison. De nombreuses peines continuent et continueront à s’exécuter en détention, dans des conditions antinomiques avec un objectif de prévention de la récidive. Revue de quelques options et mesures à prendre pour changer la prison.
C’est l’un des volets oubliés du projet de réforme pénale. Dans son rapport de février, le jury de la conférence de consensus appelait à une « réforme profonde des conditions d’exécution de la peine privative de liberté (1 ) » afin « d’atteindre l’objectif d’insertion », « condition sine qua non de la prévention de la récidive ». Cette préconisation faisait écho à un engagement de François Hollande lors de la campagne présidentielle : « Adapter les lieux d’enfermement à leur objectif de réinsertion dans la société, c’est ce qui permettra de lutter réellement contre la récidive » (réponse à l’interpellation de l’OIP en mai 2012). Cet engagement n’est pas tenu dans le projet de réforme pénale, et aucun autre texte n’est annoncé pour changer la prison.
Une expérience de ruptures et de pertes
« Les conditions de détention ne permettent pas en l ’état de préparer utilement la sortie et aggravent au contraire le risque de récidive pour une part de la population carcérale », a considéré le jury de consensus. Les prisons françaises restent en effet régies par une logique de bannissement et de châtiment: sécurité assurée sous un mode coercitif faisant l’impasse sur le dialogue et la prévention des incidents, absence de droit d’expression, limitation des contacts avec les autres détenus et le personnel, confinement en cellule l’essentiel de la journée pour une majorité de détenus, perte de toute intimité, interdiction des relations sexuelles (sauf pour la minorité d’établissements pourvus d’unités de vie familiale ou de parloirs familiaux), travail sous-payé et peu qualifiant… La condition de détenu exclut davantage de la communauté et du droit commun, encourage la survenance d’effets psychosociaux négatifs (régression psychologique, perte d’initiative ou rébellion avec augmentation des actes hétéro-agressifs, etc.).
De tels constats imposent de procéder à une refonte de la conception et du fonctionnement des établissements pénitentiaires. Pour le jury de la Conférence de consensus, une nouvelle approche de la sécurité, les contacts avec l’extérieur et les droits sociaux constituent « les priorités les plus urgentes de cette nécessaire évolution ».
Opter pour la « sécurité dynamique »
Détaillant son modèle de « sécurité dynamique », le Conseil de l’Europe donne le cap : le « bon ordre dans tous ses aspects » peut être obtenu « lorsqu’il existe des voies de communication claire entre les parties » et que les détenus bénéficient de « conditions de vie qui respectent la dignité humaine »2. Cette approche s’imbrique étroitement avec le principe de « normalisation », consistant à aménager la vie en prison « de manière aussi proche que possible des réalités de la vie en société » : notamment par des régimes « ouverts de détention » (portes des cellules ouvertes en journée et possibilité de circuler à l’intérieur de sa zone de détention). Mais aussi par des « occasions de développement physique, intellectuel et émotionnel » – via des activités la majeure partie de la journée. Il s’agit encore de donner aux personnes détenues la possibilité de « faire des choix personnels dans autant de domaines que possible de la vie quotidienne de la prison ». Et de favoriser la communication avec le personnel : « La sécurité dépend aussi d’un personnel vigilant qui communique avec les détenus, il sera plus réceptif à des situations anormales pouvant constituer une menace pour la sécurité. » (3)
Rapprochement familial et respect de l’intimité
Le jury de consensus appelle à « considérer effectivement la famille comme un acteur essentiel du parcours d’exécution de la peine du proche incarcéré » et, partant, à « améliorer les conditions de rencontre entre la personne détenue et ses proches ». Un objectif qui passe par la consécration formelle d’un droit au rapprochement familial (affectation dans un établissement proche du lieu d’habitation de sa famille). Dans les cas exceptionnels où ce rapprochement est impossible, la mise en place d’un système d’aides financières (pour les déplacements des visiteurs, sous conditions de ressources) doit être envisagée. Le respect du droit au maintien des liens familiaux passe aussi par une reconnaissance du droit de visite pour les proches qui n’appartiennent pas formellement à la famille (amis, enfants non reconnus…). Lesquels se trouvent aujourd’hui exposés à des refus de permis de visite, sans possibilité de recours si la personne qu’ils souhaitent rencontrer est en détention provisoire.
Qu’ils soient ou non membre de la famille, les visiteurs peuvent aussi se voir refuser, retirer ou limiter leur permis de visite pour des « motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions ». Pour le Conseil de l’Europe, les visites ne devraient jamais « être interdites lorsqu’il existe un risque en matière de sécurité mais faire l’objet d’une surveillance proportionnellement accrue ». Et les limites apportées au droit à la vie privée et familiale doivent être « le moins intrusives possibles », précise le commentaire de la Règle pénitentiaire européenne n° 24. En ce sens, il paraît nécessaire d’établir le principe de visites sans surveillance directe (sauf indices graves et précis de risque d’infraction ou d’atteinte à la sécurité de l’établissement), mais aussi de réserver l’ouverture du courrier aux cas où « il existe une raison spécifique de soupçonner que son contenu pourrait être illégal », et l’écoute des conversations téléphoniques à l’existence d’un risque en matière de sécurité ou de prévention des infractions.
Les mêmes modalités de contrôle pourraient s’appliquer aux téléphones portables. L’important trafic qu’ils suscitent serait limité s’ils étaient enfin autorisés, leur usage pouvant dès lors être supervisé et régulé. Dans le même registre, le Contrôleur général plaide en faveur d’un accès encadré à Internet pour les détenus, notamment à la messagerie électronique. Ayant observé « un tel dispositif aux États-Unis dans une prison de haute sécurité », il estime qu’il « y a plus une paresse conceptuelle qu’un réel danger à empêcher la communication par Internet » (4).
Reconnaître les droits économiques et sociaux
Autre enjeu d’une réforme pénitentiaire: mettre un terme à la dégringolade socio-économique des détenus et de leurs proches. Concrètement, il s’agirait de reconnaître aux détenus le droit aux allocations chômage (actuellement suspendues après quinze jours de détention) et au revenu de solidarité active (suspendu après soixante jours). Une réduction de moitié de l’allocation, telle que pratiquée pour les personnes hébergées en établissement sanitaire et social, permettrait de tenir compte de la prise en charge assurée par l’administration pénitentiaire. Ces mesures garantiraient aux personnes détenues des moyens de subsistance, limiteraient les phénomènes de racket et violence en détention, éviteraient les problèmes de réouverture de droits à la sortie et permettraient aux sortants de réintégrer la société dans de meilleures conditions.
Des aménagements devraient aussi être consentis afin d’assurer la protection du droit du travail aux détenus exerçant une activité. L’absence de contrat, de cotisation à l’assurance chômage, de procédure encadrée d’embauche ou de licenciement, de droit au Smic… tout comme le caractère souvent répétitif et non qualifiant des tâches privent de son sens la fonction de réinsertion assignée au travail carcéral depuis 1987. L’avènement du droit du travail dans les ateliers pénitentiaires permettrait le développement de contrats aidés et de l’emploi par des structures de l’insertion par l’activité économique (IAE), habituées à former et accompagner des personnes éloignées du marché de l’emploi.
Améliorer l’accès aux soins
Les indéniables avancées apportées par la réforme du 18 janvier 1994 ne sauraient masquer les carences persistantes. Ainsi de l’objectif, réaffirmé par la loi pénitentiaire, que « la qualité et la continuité des soins » soient « garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l’ensemble de la population ». Il ne pourra être atteint tant qu’une permanence médicale (médecin ou infirmier) ne sera pas assurée en soirée, nuit et week-end, en dehors des heures d’ouverture des unités sanitaires.
« L’intrusion peu admissible d’un régime carcéral dans l’occurrence d’un traitement thérapeutique (5) » se manifeste encore dans le recours quasi systématique aux menottes et entraves lorsque des détenus doivent être amenés à l’hôpital, « quel que soit le danger représenté (6) » ou leur état de santé. Pour des raisons de dignité et de proportionnalité de la contrainte, l’usage des menottes devrait être plus strictement encadré, et le recours aux entraves ou aux chaînes d’accompagnement reliant le détenu à un personnel de l’escorte proscrit.
Enfin, deux problèmes sanitaires restent exclus des dispositifs de soins développés à l’extérieur. La responsabilité de la prévention du suicide revient toujours au ministère de la Justice, avec une tendance à la traiter sous un mode de « gestion des incidents », alors que cette question de santé publique relève, pour toute autre population, du ministère de la Santé. De même, les plans de réduction des risques liés à l’usage de drogues ne franchissent pas les portes des prisons, exposant les personnes détenues à des risques accrus de contamination.
Alors dans l’opposition, la gauche avait défendu la plupart de ces mesures en novembre 2009, lors des débats parlementaires relatifs à la loi pénitentiaire. Il lui appartient aujourd’hui de les intégrer à la législation.
Marie Crétenot
(1) Conférence de consensus sur la prévention de la récidive, rapport final.
(2) Conseil de l’Europe, commentaire de la Règle pénitentiaire européenne n° 49, 2006.
(3) Conseil de l’Europe, Recommandation R(2003)23.
(4) J-M. Delarue in « Prisons : les détenus doivent avoir accès à Internet », NouvelObs.fr, 25 février 2013.
(5) CEDH, Duval c/France, 26 mai 2011 et Hénaf c/France, 22 novembre 2003.
(6) N. About, Avis n° 222 sur le projet de loi pénitentiaire fait au nom de la commission des affaires sociales, Sénat, 17 février 2009.
Des propositions déjà mises en œuvre… ailleurs
Au Danemark, une part importante de la formation initiale des personnels de surveillance est consacrée à la gestion des conflits (111 leçons). Elle est complétée tous les sept ans par une formation continue de cinq jours. Un tiers du parc carcéral est dédié aux prisons ouvertes, avec possibilité de circulation dans la détention et les espaces extérieurs. Tous les détenus condamnés y travaillent, étudient ou suivent une programme de prise en charge, dans le cadre d’une semaine de 37 heures comme à l’extérieur. L’accès à Internet et à une messagerie électronique est possible dans certains cas. A la prison de Jyderup, les détenus peuvent conserver un téléphone portable, qui est alors attaché dans la cellule. Les conversations et messages ne sont contrôlés que si nécessaire.
En Grande-Bretagne, les familles disposant de faibles revenus (inférieurs à 1 370 € bruts mensuels en moyenne) peuvent bénéficier d’une aide financière pour se rendre auprès de leur proche incarcéré, jusqu’à 26 fois par an. L’aide couvre les frais de transport, d’hébergement et de garde des enfants. Les agences locales de la sécurité sociale gèrent les paiements, sur la base d’attestations d’éligibilité transmises par l’administration pénitentiaire.
En Italie, le droit du travail est en bonne partie appliqué aux personnes détenues : congés payés, indemnités de chômage, prestations accidents du travail et maladie, etc. Les rémunérations ne peuvent être inférieures de deux tiers à celles prévues par les conventions collectives. Des exemptions du paiement des cotisations sociales et des dégrèvements fiscaux sont consentis aux entreprises. Chaque contrat d’une durée d’au moins trente jours, donne lieu à un crédit d’impôt, versé pendant les six mois qui suivent la libération si le contrat est maintenu.